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autre nom."

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plus ridicule madrigal que j'aie jamais lu." Le roi se mit à rire, et lui dit : "N'est-il pas vrai que celui qui l'a fait est bien fat?" 'Sire, il n'y a pas moyen de lui donner un "Oh bien !" dit le roi, "je suis ravi que vous en ayez parlé si bonnement; c'est moi qui l'ai fait." "Ah! sire, quelle trahison! que Votre Majesté me le rende, je l'ai lu brusquement." "Non, M. le Maréchal, les premiers sentiments sont toujours les plus naturels."

Le roi a fort ri de cette folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l'on puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi, qui aime toujours à faire des réflexions, je voudrais que le roi en fît là-dessus, et qu'il jugeât par là combien il est loin de connaître jamais la vérité.

MADAME DE SÉVIGNÉ À SA fille.

À Paris, lundi 1er jour de l'an 1674. Je vous souhaite une heureuse année, ma chère fille ; et dans ce souhait je comprends tant de choses que je n'aurais jamais fait si je voulais en faire le détail. . . . . Adieu, ma fille; je vous embrasse avec une tendresse sans égale; la vôtre me charme, j'ai le bonheur de croire que vous m'aimez.

MADAME DE SIMIANE À MONSIEUR.....

1732.

J'AI si peur que vous ne me souhaitiez la bonne année le premier, que je me dépêche de faire mon compliment; le voici bonjour et bon an, monsieur, et tout ce qui s'ensuit. Voilà mon affaire faite, et très-bien faite, je le soutiens; car trois mots qui viennent d'un cœur bien sincère et bien à vous valent un trésor.

SIMIANE (Pauline Adhemar de MONTEIL de GRIGNAN, marquise de),

Née à Paris en 1674, morte en 1737, fille de madame de Grignan, et petite-fille de madame de Sévigné.

VOLTAIRE À UNE DEMOISELLE

qui l'avait consulté sur les livres qu'elle devait lire. Je ne suis, mademoiselle, qu'un vieux malade, et il faut que mon état soit bien douloureux puisque je n'ai pu répondre plus tôt à la lettre dont vous m'honorez, et que je ne vous envoie que de la prose pour vos jolis vers. Vous me demandez des conseils, il ne vous en faut point d'autres que votre goût. L'étude que vous avez faite de la langue italienne doit encore fortifier ce goût avec lequel vous êtes née, et que personne ne peut donner. Le Tassea et l'Arioste vous rendront plus de services que moi, et la lecture de nos meilleurs poëtes vaut mieux que toutes les leçons; mais puisque vous daignez de si loin me consulter, je vous invite à ne lire que les ouvrages qui sont depuis longtemps en possession des suffrages du public, et dont la réputation n'est point équivoque'. Il y en a peu; mais on profite bien davantage en les lisant, qu'avec tous les mauvais petits livres dont nous sommes inondés. Les bons auteurs n'ont de l'esprit qu'autant qu'il en faut, ne le recherchent jamais, pensent avec bon sens, et s'expriment avec clarté. Il semble qu'on n'écrive plus qu'en énigmes. Rien n'est simple, tout est affecté; on s'éloigne en tout de la nature, on a le malheur de vouloir mieux faire que nos maîtres.

Tenez-vous en3, mademoiselle, à tout ce qui vous plaît en eux. La moindre affectation est un vice. Les Italiens n'ont dégénéré, après le Tasse et l'Arioste, que parce qu'ils ont voulu avoir trop d'esprit ; et les Français sont dans le même cas. Voyez avec quel naturel madame de Sévigné et d'autres dames écrivent; comparez ce style avec les phrases entortillées de nos petits romans. Je vous cite les héroïnes de votre sexe, parce que vous me paraissez faite pour leur ressembler. Il y a des pièces de madame Des

a Torquato Tasso, Napolitain, poëte célèbre (1581). Auteur de la Jerusalem délivrée.

b L'Arioste, de Reggio, poëte (1520, siècle de Léon X), auteur de Roland furieux et de plusieurs autres ouvrages.

houlières qu'aucun auteur de nos jours ne pourrait égaler. Si vous voulez que je vous cite des hommes, voyez avec quelle clarté, quelle simplicité notre Racine s'exprime toujours. Chacun croit, en le lisant, qu'il dirait en prose tout ce que Racine a dit en vers. Croyez que tout ce qui ne sera pas aussi clair, aussi simple, aussi élégant, ne vaudra rien du tout.

Vos réflexions, mademoiselle, vous en apprendront cent fois plus que je ne pourrais vous en dire. Vous verrez que nos bons écrivains, Fénelon, Bossuet, Racine, Despréaux, employaient toujours le mot propre. On s'accoutume à bien parler, en lisant souvent ceux qui ont bien écrit; on se fait une habitude d'exprimer simplement et noblement sa pensée sans effort. Ce n'est point une étude; il n'en coûte aucune peine de lire ce qui est bon, et de ne lire cela. On n'a de maître que son plaisir et son goût. Pardonnez, mademoiselle, à ces longues réflexions; ne les attribuez qu'à mon obéissance à vos ordres.

que

J'ai l'honneur d'être avec respect, etc.

VOLTAIRE (François-Arouet de),

Né en 1694, mort en 1778. Génie universel, il ne fut étranger à aucune gloire littéraire. L'Épopée lui doit le seul poëme français dont elle puisse s'enorgueillir, la Henriade. La Tragédie lui doit Edipe, Brutus, la Mort de César, Alzire, Mahomet, Zaïre, Mérope, etc. L'Histoire lui est redevable de Charles XII, Pierrele-Grand, le Siècle de Louis XIV, etc., etc.

J.-J. ROUSSEAU À UN JEUNE HOMME

qui demandait à s'établir à Montmorency, où Rousseau demeurait alors, pour profiter de ses leçons.

Vous ignorez, monsieur, que vous écrivez à un pauvre homme accablé de maux, et de plus fort occupé, qui n'est guère en état de vous répondre, et qui le serait encore moins d'établir avec vous la société que vous lui proposez. Vous m'honorez, en pensant que je pourrais vous être utile,

Deshoulières. Célèbre poëte du siècle de Louis XIV.

b Voyez la page 186.

C Voyez les Modèles de poésie française.

et vous êtes louable du motif qui vous le fait désirer; mais, sur le motif même, je ne vois rien de moins nécessaire que de vous établir à Montmorency. Vous n'avez pas besoin d'aller chercher si loin les principes de la morale: rentrez dans votre cœur, et vous les y trouverez ; et je ne pourrai rien vous dire à ce sujet que ne vous dise encore mieux votre conscience, quand vous voudrez la consulter. La vertu, monsieur, n'est pas une science qui s'apprend avec tant d'appareil. Pour être vertueux, il suffit de vouloir l'être ; et, si vous avez bien cette volonté, tout est fait; votre bonheur est décidé. S'il m'appartenait de vous donner des conseils, le premier que je voudrais vous donner serait de ne point vous livrer à ce goût que vous dites avoir pour la vie contemplative, et qui n'est qu'une paresse de l'âme, condamnable à tout âge, et surtout au vôtre. L'homme n'est point fait pour méditer, mais pour agir: la vie laborieuse que Dieu nous impose n'a rien que de doux au cœur de l'homme de bien qui s'y livre en vue de remplir son devoir, et la vigueur de la jeunesse ne vous a pas été donnée pour la perdre à d'oisives contemplations. Travaillez donc, monsieur, dans l'état où vous ont placé vos parents et la Providence: voilà le premier précepte de la vertu que vous voulez suivre ; et si le séjour de Paris, joint à l'emploi que vous remplissez, vous paraît d'un trop difficile alliage' avec elle, faites mieux, monsieur, retournez dans votre province; allez vivre dans le sein de votre famille; servez, soignez vos vertueux parents: c'est là que vous remplirez véritablement les soins que la vertu vous impose. Une vie dure est plus facile à supporter en province que la fortune à poursuivre à Paris, surtout quand on sait, comme vous ne l'ignorez pas, que les plus indignes manéges y font plus de fripons gueux que de parvenus1. Vous ne devez point vous estimer malheureux de vivre comme fait monsieur votre père; et il n'y a point de sort que le travail, la vigilance, l'innocence et le contentement de soi, ne rendent supportable, quand on s'y soumet en vue de remplir son devoir. Voilà, monsieur, des conseils qui valent tous ceux que vous pourriez venir prendre à Montmorency: peut-être ne seront-ils pas de votre goût, et je crains que vous ne preniez pas le parti

de les suivre; mais je suis sûr que vous vous en repentirez un jour. Je vous souhaite un sort qui ne vous force jamais à vous en souvenir. Je vous prie, monsieur, d'agréer mes salutations très-humbles.

ROUSSEAU (Jean-Jacques),

Né à Genève en 1725, mort en 1778. Les ouvrages que cet écrivain célèbre a composés l'ont placé au rang des premiers prosateurs français. La clarté, l'ordre, la précision du style sont les qualités qui le distinguent. Il excella aussi dans la musique; son Devin de village est un chef-d'œuvre de grâce et de sensibilité.

RÉCIT D'UN VOYAGE EN CALABRE.

EXTRAIT D'UNE

LETTRE DE P.-L. COURIER.

...

UN jour je voyageais en Calabre. C'est un pays de méchantes gens, qui, je crois, n'aiment personne, et en veulent surtout aux Français. De vous dire pourquoi, cela serait long; suffit qu'ils nous haïssent à mort, et qu'on passe fort mal son temps lorsqu'on tombe entre leurs mains. J'avais pour compagnon un jeune homme d'une figure. . . . Je ne dis pas cela pour vous intéresser, mais parce que c'est la vérité. Dans ces montagnes les chemins sont des précipices, nos chevaux marchaient avec beaucoup de peine; mon camarade allant devant, un sentier qui lui parut plus praticable et plus court nous égara. Ce fut ma faute, devais-je me fier à une tête de vingt ans? Nous cherchâmes, tant qu'il fit jour, notre chemin à travers ces bois; mais plus nous cherchions, plus nous nous perdions, et il était nuit noire quand nous arrivâmes près d'une maison fort noire. Nous y entrâmes, non sans soupçon, mais comment faire? Là nous trouvons toute une famille de charbonniers à table, où du premier mot on nous invita. Mon jeune homme ne se fit pas prier: nous voilà mangeant et buvant, lui du moins, car pour moi j'examinais le lieu et la mine de nos hôtes. Nos hôtes avaient bien mines de charbonniers; mais la maison, vous l'eussiez prise pour un arsenal. Ce n'étaient que fusils, pistolets, sabres, couteaux, coutelas. Tout me déplut, et je vis bien que je déplaisais aussi. Mon camarade au contraire: il était de la famille, il riait, il • Calabre. Partie méridionale du royaume de Naples.

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