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s'élever une colonne qui monta en tourbillonnant, sifflant, s'alongeant toujours et touchant presque de sa tête aux nuages. C'était alors un spectacle admirable et sublime que ce pilier de cristal entre la terre et le ciel; les reflets du soleil l'avaient coloré de leurs mille nuances, et les couleurs de l'arc-en-ciel, qui s'y réunissaient comme dans un prisme, éclairaient le cône d'une lumière vive, pourprée, chatoyante, tandis que l'ombre, refoulée vers sa base, la faisait paraître sur un socle d'airain, supporté par des flocons de neige.

"Une trombe! une trombe!" s'écrièrent en même temps officiers et matelots.

À ces mots, j'éprouvai un moment de terreur involontaire: c'était la première fois que je voyais ce phénomène qui, dans les descriptions mensongères ou tout au moins exagérées que j'en avais lues, m'avait été dépeint comme très-dangereux. Je m'étais fait de cet accident de la mer une idée des plus terribles: il me semblait que nous allions être bientôt engloutis sous cette masse d'eau; mais l'expression calme des visages me rassura. Cependant le silence de l'admiration, et non celui de la terreur, régnait parmi les matelots, et toutes les précautions se bornaient à manœuvrer pour éviter la rencontre de la trombe.

Après avoir admiré pendant quelques instants cette scène vraiment magique, le capitaine cria:

"Mettez au sabord, et chargez la caronade de l'avant!" Et quand cet ordre eut été exécuté: "Lofe, timonier! lofe un peu...bien...gouverne comme cela. Attention devant!... Feua!"

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Le coup partit, retentit au dessus de l'abîme, et le boulet,

Langage tout maritime, dont voici l'explication:

1. Sabord, embrasure ou canonnière dans le bordage d'un vaisseau,

et par laquelle passe la bouche d'un canon.

2. Caronade, grosse pièce d'artillerie, courte et renflée à la culasse. 3. L'avant du vaisseau est la proue, c'est la partie qui s'avance la première dans la mer.

4. Lofer signifie venir au vent.

5. Le timonier est, sur un vaisseau, celui qui, posté au devant de l'habitacle, tient le timon du gouvernail pour conduire et gouverner sous les ordres du pilote.

coupant la colonne par sa base, elle trembla, chancela un instant, puis tomba tout à coup, semblable à une immense avalanche.

Quelques secondes après, l'Océan ne laissait plus aucune trace de ce phénomène extraordinaire. Nous avions repris notre course vers le couchant; le disque du soleil, caché à demi, nous éclairait encore de ses derniers rayons; la vaste mer, partout déserte, se rembrunissait peu à peu ; et l'élégant navire courait, bondissant de nouveau sur cette plaine houleuse avec la rapidité d'une flèche, comme s'il eût voulu lutter de vitesse avec l'astre du soir. Tout à coup la lumière sembla s'éteindre (dans ces climats l'obscurité succède au jour sans gradation); la transition fut presque subite: il n'y eut pas de crépuscule; et les flots, le sillage3, la mer, le navire, l'horizon disparurent, et tout s'évanouit à la fois dans les ombres de la nuit.

P. HENNEQUIN. Revue maritime.

HENNEQUIN (P.),

Auteur vivant. Né à Paris en 1799, l'un des rédacteurs de la Revue maritime, des Cent-et-un, etc.

LE REQUIN.

CE formidable squalea parvient jusqu'à une longueur de plus de dix mètres; il pèse quelquefois près de cinquante myriagrammes (mille livres), et il s'en faut de beaucoup1 que l'on ait prouvé que l'on doit regarder comme exagérée l'assertion de ceux qui ont prétendu qu'on avait pêché un requin du poids de plus de cent quatre-vingt-dix myriagrammes.

Mais la grandeur n'est pas son seul attribut; il a reçu aussi la force et des armes meurtrières; et, féroce autant que vorace, impétueux dans ses mouvements, avide de sang, insatiable de proie, il est véritablement le tigre de la mer. Recherchant sans crainte tout ennemi, poursuivant avec plus d'obstination, attaquant avec plus de rage, com

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Squale est le nom d'un genre de poissons qui comprend le chien de mer et le requin; prononcez scouale.

battant avec plus d'acharnement que les autres habitants des eaux; plus dangereux que plusieurs cétacés, qui, presque toujours, sont moins puissants que lui; inspirant même plus d'effroi que les baleines, qui, moins bien armées, et douées d'appétits bien différents, ne provoquent presque jamais ni l'homme ni les grands animaux; rapide dans sa course, répandu sur tous les climats, ayant envahi, pour ainsi dire, toutes les mers; paraissant souvent au milieu des tempêtes, aperçu facilement par l'éclat phosphorique dont il brille au milieu des ombres des nuits les plus orageuses, menaçant de sa gueule énorme et dévorante les infortunés. navigateurs exposés aux horreurs du naufrage, leur fermant toute voie de salut, leur montrant en quelque sorte leur tombe ouverte, et plaçant sous leurs yeux le signal de la destruction; il n'est pas surprenant qu'il ait reçu le nom sinistre qu'il porte, et qui, réveillant tant d'idées lugubres, rappelle surtout la mort dont il est le ministre. Requin est en effet une corruption de requiem, qui désigne depuis longtemps, en Europe, la mort et le repos éternel, et qui a dû être souvent, pour des passagers effrayés, l'expression de leur consternation à la vue d'un squale de plus de trente pieds de longueur, et des victimes déchirées ou englouties par ce tyran des ondes. Terrible encore lorsqu'on a pu parvenir à l'accabler de chaînes, se débattant avec violence au milieu de ses liens, conservant une grande puissance lors même qu'il est déjà tout baigné dans son sang, et pouvant d'un seul coup de sa queue, répandre le ravage autour de lui, à l'instant même où il est près d'expirer, n'est-il pas le plus formidable de tous les animaux auxquels la nature n'a pas départi des armes empoisonnées? le tigre le plus furieux, au milieu des sables brûlants, le crocodile le plus fort, sur les rivages équatoriaux, le serpent le plus démesuré, dans les solitudes africaines, doivent-ils inspirer autant d'effroi qu'un énorme requin au milieu des vagues agitées? LACÉPÈDE. (Voyez la page 100.)

Cétacé, du grec Knτos (kétos), baleine. Les naturalistes donnent ce nom à tous les grands mammifères qui ont la forme de poissons.

ÉRUPTION DU Vésuve.

LE feu du torrent est d'une couleur funèbre; néanmoins, quand il brûle les vignes ou les arbres, on en voit sortir une flamme claire et brillante; mais la lave même est sombre, telle qu'on se représente un fleuve de l'Enfer; elle roule lentement comme un sable noir le jour, et rouge la nuit. On entend, quand elle approche, un petit bruit d'étincelles, qui fait d'autant plus de peur qu'il est léger, et que la ruse semble se joindre à la force: le tigre royal arrive lentement, secrètement, à pas comptés. Cette lave avance, avance, sans jamais se hâter, et sans perdre un instant; si elle rencontre un mur élevé, un édifice quelconque qui s'oppose à son passage, elle s'arrête, elle amoncelle devant l'obstacle ses torrents noirs et bitumineux, et l'ensevelit enfin sous ses vagues brûlantes. Sa marche n'est point assez rapide pour que les hommes ne puissent pas fuir devant elle; mais elle atteint, comme le Temps, les imprudents et les vieillards qui, la voyant venir lourdement et silencieusement, s'imaginent qu'il est aisé de lui échapper. Son éclat est si ardent, que, pour la première fois, la terre se réfléchit dans le ciel, et lui donne l'apparence d'un éclair continuel; ce ciel, à son tour, se reflète dans la mer, et la nature est embrasée par cette triple image de feu.

Le vent se fait entendre et se fait voir par des tourbillons de flamme dans les gouffres d'où sort la lave. On a peur de ce qui se passe au sein de la terre, et l'on sent que d'étranges fureurs la font trembler sous nos pas. Les rochers qui entourent la source de la lave sont couverts de soufre, de bitume, dont les couleurs ont quelque chose d'infernal. Un vert livide, un jaune brun, un rouge sombre, forment comme une dissonnance pour les yeux et tourmentent la vue.

Tout ce qui entoure le volcan rappelle l'Enfer, et les descriptions des poëtes sont sans doute empruntées de ces lieux. C'est là que l'on conçoit comment les hommes ont cru à l'existence d'un génie malfaisant qui contrariait les desseins de la Providence.

MADAME DE STAËL. (Voyez la page 80.)

LE GLACIER DU MONTANVERT.

[Le célèbre voyageur anglais Richard Pocock, avec son ami Windham, découvrit en 1741 la vallée de Chamouni, en Savoie, demeurée jusqu'alors à peu près inconnue.]

LA surface du glacier, vue du Montanvert, ressemble à celle d'une mer qui aurait été subitement gelée, non pas dans le moment de la tempête, mais à l'instant où le vent s'est calmé, et où les vagues, quoique très-hautes, sont émoussées et arrondies. Ces grandes ondes sont à peu près parallèles à la longueur du glacier, et elles sont coupées par des crevasses transversales, qui paraissent bleues dans leur intérieur, tandis que la glace paraît blanche à sa surface.

Entre les montagnes qui dominent le glacier des Bois, celle qui fixe le plus les regards de l'observateur, est un grand obélisque de granit qui est en face du Montanvert, de l'autre côté du glacier. On le nomme l'aiguille du Dru ; et en effet sa forme arrondie et excessivement élancée, lui donne plus de ressemblance avec une aiguille qu'avec un obélisque; ses côtés semblent polis comme un ouvrage de l'art; on y distingue seulement quelques aspérités et quelques fentes rectilignés, très-nettement tranchées1.

Lorsqu'on s'est bien reposé sur la jolie pelouse du Montanvert, et qu'on s'est rassasié, si l'on peut jamais l'être du grand spectacle que présentent ce glacier et les montagnes qui le bordent, on descend par un sentier rapide entre des rhododendrons, des mélèzes et des aroles, jusqu'au bord du glacier. Au bas de cette pente, on trouve ce qu'on appelle la moraine du glacier, ou cet amas de sable et de cailloux qui sont disposés sur ses bords, après avoir été broyés et arrondis par le roulis et le frottement des glaces. De là, on passe sur le glacier même, et s'il n'est pas trop scabreux et trop entrecoupé de grandes crevasses, il faut

• Rhododendron, arbrisseau toujours vert, appartenant à la familie des rosacées.

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Mélèze, arbre résineux; c'est le géant des arbres de l'Europe. Arole ou mieux Airelle, arbrisseau de la famille des bruyères, à baies molles et noires c'est le raisin des bois.

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