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Enfin une poussière obstinée imprimait des expressions capricieuses à tous ces objets dont les angles multipliés et les sinuosités nombreuses produisaient les effets les plus pittoresques.

Les plus coûteux caprices de dissipateurs morts sous des mansardes étaient là.... C'était le bazar des folies humaines. Une écritoire payée jadis cent mille francs et rachetée pour cent sous10, gisait auprès d'une serrure à secret dont le prix de fabrication aurait suffi à la rançon d'un roi.

Là, le génie humain apparaissait dans toutes les pompes de sa misère, dans toute la gloire de ses petitesses gigantesques. BALZAC.

BALZAC (Honoré de); auteur vivant.

Connu par plusieurs romans pleins d'esprit et d'originalité. Écrivain élégant, fertile et varié, M. de Balzac s'est assuré une place éminente parmi les littérateurs du 19e siècle.

UN OURAGAN AUX ANTILLESa.

TOUTE la plantation était plongée dans le sommeil. Le ciel d'azur brillait de son éclat ordinaire, et une légère brise soufflait par intervalles; enfin aucun des signes qui, dans les climats d'Europe, annoncent l'approche d'une tempête, n'existait dans ce moment.

Vers une heure du matin, le temps changea tout à coup, les étoiles s'éteignirent dans une atmosphère envahie par des vapeurs grisâtres qui descendaient sur la terre, semblables aux ailes de la tempête, enveloppant sa proie avant de la dévorer. Les myriades d'animaux divers qui remplissent les nuits des Antilles de leurs cris bizarres se turent à l'approche de cette grande convulsion de la nature: tout était immobile.

Les Antilles, archipel de l'Océan Atlantique, situé entre les deux Amériques. Cuba, la Jamaïque, Haïti et Porto-Rico, sont les grandes Antilles parmi les petites on remarque la Martinique, la Guadeloupe, à la France; la Barbade, à l'Angleterre, etc.

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Bientôt dans le lointain gronde le bruit sourd de la mer qui s'enfle et roule sur ses rivages. Les troupeaux à des plaintes étouffées font succéder de longs gémissements auxquels se mêle le gloussement des oiseaux domestiques. Soudain une brusque secousse, accompagnée d'un hurlement rauque, ébranle et fait craquer toutes les jointures de la charpente des maisons. Les arbres ploient et se relèvent en sifflant; chacun est debout sur sa couche, oppressé d'effroi. Un instant de silence succède à ce signal des éléments. Ah! qui peut décrire les angoisses des malheureux colons! Voilà l'ouragan, voilà l'ennemi! Quelle force humaine lui opposer!

Une nouvelle secousse fait crier la maison; le tonnerre gronde comme la décharge d'une batterie; la terre frémit sous les pieds, les toits semblent vaciller, les palissades s'abattre tous les cœurs sont saisis.

D'après les ordres du maître, le nègre de garde prend son lambis pour avertir les esclaves qu'ils doivent abandonner leurs cases et se réfugier dans l'habitation. Il court se placer à l'angle de la maison; et, se couchant jusqu'à terre pour offrir moins de prise au vent, il fait retentir les sons lugubres et prolongés de cette espèce de trompe naturelle.

Rien de plus triste et de plus imposant en même temps que le retentissement de cet appel au milieu d'une nuit d'ouragan. Dans les intervalles des bouffées de vent et des roulements sourds du tonnerre, la conque faisait entendre sa voix gémissante. Les hurlements des nègres, qui s'appelaient pour gagner la maison du maître, y répondaient; mais soudain tous ces bruits humains se perdaient sous les nouveaux fracas du vent, de la pluie et de la foudre auxquels se joignaient les mugissements des animaux qui semblaient implorer le secours de l'homme. De malheureux nègres se traînaient en se cramponnant aux racines, aux mottes de terre, à tout ce qui offrait quelque résistance. Des groupes presque nus, grelottant de froid, épuisés de fatigue, parvenaient à pénétrer pêle-mêle dans la maison,

tandis que d'autres, surpris et enlevés, roulaient à quelques centaines de pas en arrière, froissés, étourdis et forcés de recommencer cette effroyable lutte.

Dans ce moment tout était désordre, trouble et terreur: la furie dévastatrice de l'ouragan continuait, mais elle n'était pas encore à son plus haut degré de violence. La maison isolée, sans appui, ployait, pour ainsi dire, sous les coups de la tempête. À chaque instant elle pouvait s'abîmer. Une planche cédant, le vent s'engouffrait, et, comme un levier, faisait sauter la toiture.

L'économe et tous les noirs multipliaient leurs efforts pour assujettir par des cordes, des planches, des meubles, les endroits les plus faibles. Quelques-uns des nègres les plus robustes, étant sortis en se traînant, tentaient d'enfoncer dans la terre des pieux et des arcs-boutants pour appuyer la maison; mais telle était la furie de la tempête, que, pouvant à peine respirer, ils étaient forcés de s'étendre sur le ventre en se tenant les uns les autres. Par moment l'ouragan faisait taire sa grande voix; on entendait le bruit de la pluie qui tombait comme une multitude de cascades, le roulement de tous les torrents enflés et charroyant des forêts avec fracas dans leurs gorges profondes, le déchirement aigu des arbres et les sons plus sinistres encore que rendaient les essontes de la toiture sous lesquelles les vents se jouaient.

On eût dit le rire éclatant et moqueur de démons présidant à ces terribles fléaux. Mais bientôt tous ces bruits, tous ces sons, se confondirent avec les coups du tonnerre des Tropiques; le redoublement du vent et les frémissements du sol annoncèrent une nouvelle crise. Les hommes frissonnaient, et les femmes, à genoux autour de leur maîtresse, invoquaient le Seigneur.

...

Enfin une fenêtre enfoncée donna passage au vent qui frappa les cloisons comme un boulet de canon. La maison, bâtie presque de bois, fit entendre un craquement général. Le plafond et le toit enlevés se balancèrent un instant, puis s'envolèrent comme si une main de géant les eût arrachés.

Les poutres, les cloisons cédèrent, et au fracas de leur chute succéda un affreux silence. La tempête se reposait, satisfaite de son ouvrage.

Quelques instants après, ceux qui avaient survécu à cette horrible catastrophe sortirent des décombres. . . .

Il était cinq heures du matin; l'ouragan, fatigué de ses gigantesques efforts, ne se manifestait plus que par quelques faibles bouffées de vent; mais le monstre semblait en fuyant faire encore retentir sa voix dans l'âme terrifiée de ses victimes.

Partout sur la route et dans l'intérieur du pays on rencontrait des traces de l'ouragan. . . . Des habitations se montraient avec leurs cases abattues, leurs bâtiments écroulés ou privés de leur toiture, leurs plantations bouleversées ou détruites. Devant les maisons on ne voyait que quelques noirs immobiles dans diverses attitudes, ou un planteur, les bras croisés sur sa poitrine, la tête penchée, absorbé dans le calcul de ses pertes. Ailleurs, quelques hommes emportant des cadavres ou traînant les corps des bestiaux écrasés ou étouffés par le vent. Tout était muet; aucune voix humaine, aucun cri d'animal ne rompait ce silence funèbre; les oiseaux, cachés dans les trous des rochers, et à moitié engourdis, ne faisaient entendre aucun chant; les insectes avaient péri par myriades. On sentait que la mort avait passé partout. LEVILLOUX.

LEVILLOUX (de la Martinique);

Auteur vivant. Nous avons de lui Les Créoles.

UNE TROMBE EN MER.

Nous étions à cent lieues environ de Saint-Dominguea. Depuis que nous avions quitté les côtes de France, aucun événement n'avait marqué notre navigation. La brise, qui se faisait à peine sentir le matin, et qui nous avait

Saint-Domingue, aujourd'hui Haïti, île de l'archipel des Antilles. Sous le rapport de l'étendue, elle est la seconde des grandes Antilles. Cuba, qui est la première, est la seule possession importante que l'Espagne ait conservée en Amérique.

obligés de mettre toutes voiles dehors, commençait à fraîchir; bientôt, et presque sans transition, le vent s'éleva, devint impétueux, et notre brick fendit les ondes avec une effrayante rapidité. . . .

Quoique le vent se fût si subitement élevé, le temps était beau, la voûte du ciel était d'un bleu d'azur; au couchant, l'horizon, enflammé alors par le soleil qui descendait majestueusement dans la mer, avait l'aspect d'un vaste incendie la surface des eaux, resplendissante de lumière, ressemblait à un lac sans bornes de matières en fusion; et si par hasard quelque oiseau de mer venait à passer dans cette partie du ciel, nos yeux, qui ne le suivaient qu'avec peine, nous le montraient comme ces flammèches noires de papier brûlé, que leur légèreté élève au dessus des flammes. L'Océan, éclairé par les rayons du soir, ressemblait à un immense tapis de bronze que labourait rudement le navire. Nous gouvernions droit sur le soleil. Un spectateur, placé à distance, eût pu croire, sans doute, que nous allions être réduits en cendres en atteignant ce foyer enflammé, comme le moucheron qui voltige vers la bougie et vient ý brûler ses ailes; et, ce qui complétait cette scène merveilleuse et magique, c'est que l'ombre alongée du navire avec ses agrès1, que la mobilité des flots variait, changeait, modifiait de la manière la plus fantastique, représentait notre brick comme le géant de la navigation.

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Tout à coup de grosses lames blanches, tourbillonnantes, écumeuses, et que les rayons enflammés du soleil rendaient éblouissantes, vinrent frapper la proue de notre brick qui nageait alors au milieu des flots d'écume.

Cependant le bouillonnement de l'eau, s'étendant d'une manière circulaire, avait atteint déjà cent toises de diamètre environ; on eût dit, à voir ce roulement des ondes, que la mer était agitée par quelque convulsion intérieure. Bientôt l'eau s'éleva comme une petite colline, et marcha devant nous, se gonflant à mesure qu'elle avançait avec un bruit, un mugissement dont je ne pouvais deviner la cause, mais qui n'avait rien toutefois de bien effrayant. Peu à peu, et du milieu de cette montagne liquide, je vis naître, surgir,

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