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terrible, qui, par de fréquentes secousses, en ébranle les fondements.

Un jour que le peuple indien, répandu dans les campagnes, labourait, semait, moissonnait (car ce riche vallon présente tous ces travaux à la fois), et que les filles du Soleila, dans l'intérieur de leur palais, étaient occupées, les unes à filer, les autres à ourdir les précieux tissus de laine dont le pontife et le roi sont vêtus, un bruit sourd2 se fait d'abord entendre dans les entrailles du volcan. Ce bruit, semblable à celui de la mer lorsqu'elle conçoit les tempêtes, s'accroît et se change bientôt en un mugissement profond. La terre tremble, le ciel gronde, de noires vapeurs l'enveloppent, le temple et les palais chancellent et menacent de s'écrouler; la montagne s'ébranle, et sa cime entr'ouverte vomit, avec les vents enfermés dans son sein, des flots de bitume liquide et des tourbillons de fumée qui rougissent, s'enflamment, et lancent dans les airs des éclats de rochers brûlants qu'ils ont détachés de l'abîme: superbe et terrible spectacle, de voir des rivières de feu bondir à flots étincelants au travers des monceaux de neige, et s'y creuser un lit vaste et profond!

Dans les murs, hors des murs, la désolation, l'épouvante, le vertige3 de la terreur, se répandent en un instant. Le laboureur regarde et reste immobile. Il n'oserait entamer la terre qu'il sent comme une mer flottante sous ses pas. Parmi les prêtres du Soleil, les uns tremblants s'élancent hors du temple; les autres consternés embrassent l'autel de leur dieu. Les vierges éperdues sortent de leur palais, dont les toits menacent de fondre sur leur tête; et, courant dans leur vaste enclos, pâles, échevelées, elles tendent leurs mains timides vers ces murs, d'où la pitié même n'ose approcher pour les secourir.

MARMONTEL. Les Incas. (Voyez la page 53.)

VOYAGE DE BRIGHTON À LONDRES.

La propreté recherchée des villes d'Angleterre est si connue, qu'en arrivant a Brighton, je m'étonnais d'être Les filles péruviennes qui faisaient le service du temple du Soleil.

forcé de m'étonner. Qu'on suppose un assemblage de décorations pleines de grâce et de légèreté comme celles que l'imagination désirerait dans un théâtre magique, et on aura quelque idée de notre première station. Brighton n'offre d'ailleurs aucun monument digne de remarque, à moins qu'on ne donne ce nom au palais du Prince régenta, qui est construit dans le genre oriental, et probablement sur le plan de quelque édifice de l'Inde. Il y a peu d'harmonie entre ce style levantin et de jolies bastides3 à l'italienne, élevées sous un ciel septentrional; mais c'est le sceau d'une puissance qui étend son sceptre sur une partie de l'Orient, et qui en tire ses principaux éléments de prospérité. Cette incohérence ne va pas mal, au reste, dans un tableau d'illusions. La féerie n'est pas soumise à la règle des unités.

J'ai continué mon voyage par un chemin sans ornières1, sans embarras, sans cahots, dans une voiture commode, élégante, ornée avec goût, que traînaient, ou plutôt qu'enlevaient quatre chevaux superbes, tous pareils, tous du même pas, qui dévoraient l'espace en rongeant des mords d'un poli éclatant, et en frémissant sous des harnais d'une simplicité noble et riche. Un cocher à livrée les dirigeait; un jockey, d'une figure et d'une tournure charmantes, excitait leur ardeur. De deux lieues en deux lieues, des postillons attentifs, point grossiers, point impertinents et point ivres, venaient remplacer l'attelage par des chevaux frais, toujours semblables aux premiers, et qu'on voyait de loin frapper la terre, comme pour solliciter la carrière promise à leur impatience. Quoique le trajet ne soit pas long, il n'est point de prévenances délicates dont les enchanteurs qui me conduisaient ne se soient avisés pour l'embellir. A moitié chemin, un majordome officieux m'a introduit dans un salon magnifique, où étaient servis toutes sortes de rafraîchissements: un thé limpide qui perlait dans la porcelaine; un porter écumeux qui bouillonnait dans l'argent; et, sur une autre table, des mets choisis, copieux, variés, qu'arrosait le Porto. Après cela, je me suis remis en route, Le Prince régent qui fut ensuite George IV, roi d'Angleterre,

mort en 1830.

et les coursiers empressés. . .Mais il est peut-être temps de reprendre haleine, et de dire, en termes plus positifs, que l'Angleterre est le premier pays du monde pour ses chevaux, ses voitures publiques et ses auberges.

NODIER (Charles),

NODIER.

Né à Besançon en 1783; mort à Paris en 1844. Cet auteur est connu du public par des romans pleins d'esprit et d'intérêt. Il a aussi mérité l'estime des savants et a pris place dans leurs rangs, par d'importants travaux comme grammairien, philologue, bibliographe et critique.

LA FEMME DU MARIN.

EN nous promenant un soir à Bresta, au bord de la mer, nous aperçûmes une pauvre femme qui marchait courbée entre les rochers; elle considérait attentivement les débris d'un naufrage, et surtout les plantes attachées à ces débris, comme si elle eût cherché à deviner, par le plus ou moins de vieillesse, l'époque certaine de son malheur. Elle découvrit sous des galets1 une de ces boîtes de matelot, qui servent à mettre des flacons2. Peut-être l'avait-elle remplie elle-même autrefois pour son époux, de cordiaux achetés du fruit de ses épargnes: du moins nous le jugeâmes ainsi, car elle se prit à essuyer ses larmes avec le coin de son tablier. Des mousserons de mer remplaçaient maintenant ces présents de sa tendresse. Ainsi, tandis que le bruit du canon apprend aux grands le naufrage des grands du monde, la Providence, annonçant aux mêmes bords quelque deuil aux petits et aux faibles, leur dépêche secrètement quelques brins d'herbe et un débris.

CHÂTEAUBRIAND. (Voyez la page 63.)

• Brest. Ville célèbre dans le département du Finistère, avec un des plus beaux ports de l'Europe.

5

FORÊTS AMERICAINES.

PÉNÉTREZ dans ces forêts américaines aussi vieillès que le monde quel profond silence dans ces retraites quand les vents reposent! quelles voix inconnues quand les vents viennent à s'élever! Êtes-vous immobile, tout est muet: faites-vous un pas, tout soupire. La nuit s'approche, les ombres s'épaississent: on entend des troupeaux de bêtes sauvages passer dans les ténèbres; la terre murmure sous vos pas; quelques coups de foudre font mugir les déserts: la forêt s'agite, les arbres tombent, un fleuve inconnu coule devant vous. La lune sort enfin de l'orient: à mesure que vous passez au pied des arbres, elle semble errer devant vous dans leur cime, et suivre tristement vos yeux. Le voyageur s'assied sur le tronc d'un chêne pour attendre le jour; il regarde tour à tour l'astre des nuits, les ténèbres, le fleuve ; il se sent inquiet, agité, et dans l'attente de quelque chose d'inconnu; un plaisir inouï, une crainte extraordinaire, font palpiter son sein, comme s'il allait être admis à quelque secret de la Divinité: il est seul au fond des forêts; mais l'esprit de l'homme remplit aisément les espaces de la nature; et toutes les solitudes de la terre sont moins vastes qu'une seule pensée de son cœura.

CHÂTEAUBRIAND. (Voyez la page 63.)

UN CABINET D'ANTIQUITÉS.

Au premier coup d'œil les magasins offraient un tableau confus, dans lequel toutes les œuvres humaines se heurtaient'. Des crocodiles, des singes, des boas empaillés, souriaient à des vitraux d'église, semblaient vouloir mordre des bustes, courir après des laques3, grimper sur des lustres.

Un vase de Sèvres où madame Jaquotot avait peint

Tout ce que le cœur et l'esprit de l'homme peuvent ressentir et penser en présence d'une nature empreinte de grandeur et de mystère, se trouve analysé dans cette description avec vérité, et peint des plus belles couleurs de la poésie.

• Peintre célèbre sur émail.

Napoléon se trouvait auprès d'un sphinx dédié à Sésostris. . . . Le commencement du monde et les événements d'hier se mariaient avec une grotesque bonhomie1. Un tournebroche était posé sur un ostensoir, un sabre républicain sur une haquebutea du moyen ágeb.

Les instruments de mort, poignards, pistolets curieux, armes à secret, étaient jetés pêle-mêle avec les instruments de vie, soupières en porcelaine, assiettes de Saxe, tasses orientales venues de Chine, drageoirs féodaux. Un vaisseau d'ivoire voguait à pleines voiles sur le dos d'une immobile tortue.... Une machine pneumatique éborgnait l'empereur Auguste, qui ne s'en fâchait pas.

Plusieurs portraits d'échevins français, de bourguemestres hollandais, insensibles", comme pendant leur vie, s'élevaient au-dessus de ce chaos d'antiquités, en y lançant un regard pâle et froid.

Tous les pays de la terre semblaient avoir apporté là un débris de leurs sciences, un échantillon de leurs arts. C'était une espèce de fumier philosophique auquel rien ne manquait, ni le calumete du sauvage, ni la pantoufle vertet-or du sérail, ni le yatagan1 du Maure, ni l'idole des Tartares. Il y avait jusqu'à la blague à tabac3 du soldat, jusqu'au ciboire du prêtre, jusqu'aux plumes d'un trône. Ces monstrueux tableaux étaient soumis à mille accidents de lumière, par la bizarrerie d'une multitude de reflets dus à la confusion des nuances, à la brusque opposition des jours et des ténèbres. L'oreille croyait entendre des cris interrompus; l'esprit, saisir des drames inachevés; l'œil, apercevoir des lueurs mal étouffées.

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Haquebute, espèce d'arquebuse très-pesante.

b Moyen âge, se dit du temps qui s'est écoulé depuis la chute de l'empire romain, en 475, jusqu'à la prise de Constantinople par Mahomet II, en 1453.

L'échevin (appelé alderman en Angleterre) était un officier qui, pendant un certain temps, avait soin de la police et des affaires communes d'une ville.

En Hollande, la charge du bourguemestre correspond à celle de maire en France.

e Calumet, espèce de longue pipe ornée.

Yatagan, long poignard recourbé.

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