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créée, mais on entend que ce que l'on conçoit par le terme de temps soit ce mouvement supposé.

Si je ne savais combien il est nécessaire d'entendre ceci parfaitement, et combien il arrive à toute heure, dans les discours familiers et dans les discours de science, des occasions pareilles à celleci que j'ai donnée en exemple, je ne m'y serais pas arrêté. Mais il me semble, par l'expérience que j'ai de la confusion des disputes, qu'on ne peut trop entrer dans cet esprit de netteté pour lequel je fais tout ce traité, plus que pour le sujet que j'y traite.

Car combien y a-t-il de personnes qui croient avoir défini le temps quand ils ont dit que c'est la mesure du mouvement, en lui laissant cependant son sens ordinaire? et néanmoins ils ont fait une proposition, et non pas une définition. Combien y en a-t-il de même qui croient avoir défini le mouvement quand ils ont dit: Motus nec simpliciter molus, non mera potentia est, sed actus entis in potentia? Et cependant, s'ils laissent au mot de mouvement son sens ordinaire, comme ils font, ce n'est pas une définition, mais une proposition; et confondant ainsi les définitions, qu'ils appellent définitions de nom, qui sont les véritables définitions libres, permises et géométriques, avec celles qu'ils appellent définitions de chose, qui sout proprement des propositions nullement libres, mais sujettes à contradiction, ils s'y donnent la liberté d'en former aussi bien que les autres ; et chacun définissant les mêmes choses à sa manière, par une

liberté qui est aussi défendue dans ces sortes de définitions que permise dans les premières, ils embrouillent toutes choses; et, perdant tout ordre et toute lumière, ils se perdent eux-mêmes, et s'égarent dans des embarras inexplicables.

On n'y tombera jamais en suivant l'ordre de la géométrie. Cette judicieuse science est bien éloignée de définir ces mots primitifs, espace, temps, mouvement, égalité, majorité, diminution, tout, et les autres que le monde entend de soi-même. Mais hors ceux-là, le reste des termes qu'elle emploie y sont tellement éclaircis et définis qu'on n'a pas besoin de dictionnaire pour en entendre aucun; de sorte qu'en un mot tous ces termes sont parfaitement intelligibles, ou par la lumière naturelle, ou par les définitions qu'elle en donne.

Voilà de quelle sorte elle évite tous les vices qui peuvent se rencontrer dans le premier point, lequel consiste à définir les seules choses qui en ont besoin. Elle en use de même à l'égard de l'autre point, qui consiste à prouver les propositions qui ne sont pas évidentes.

Car quand elle est arrivée aux premières vérités connues, elle s'arrête là, et demande qu'on les accorde, n'ayant rien de plus clair pour les prouver; de sorte que tout ce que la géométrie propose est parfaitement démontré, ou par la lumière naturelle, ou par les preuves.

De là vient que si cette science ne définit pas et ne démontre pas toutes choses, c'est par cette seule raison que cela nous est impossible.

On trouvera peut-être étrange que la géométrie ne puisse définir aucune des choses qu'elle a pour principaux objets. Car elle ne peut définir ni le mouvement, ni le nombre, ni l'espace; et cependant ces trois choses sont celles qu'elle considère particulièrement, et selon la recherche desquelles elle prend ces trois différens noms de mécanique, d'arithmétique, de géométrie, ce dernier nom appartenant au genre et à l'espèce. Mais on n'en sera pas surpris, si l'on remarque que cette admirable science ne s'attachant qu'aux choses les plus simples, cette même qualité qui les rend dignes d'être ses objets les rend incapables d'ètre définies; de sorte que le manque de définition est plutôt une perfection qu'un défaut, parce qu'il ne vient pas de leur obscurité, mais au contraire de leur extrême évidence, qui est telle, qu'encore qu'elle n'ait pas la conviction de démonstrations, elle en a toute la certitude. Elle suppose donc que l'on sait quelle est la chose qu'on entend par ces mots, mouvement, nombre, espace; et sans s'arrêter à les définir inutilement, elle en pénètre la nature et en découvre les merveilleuses propriétés.

vers,

Ces trois choses, qui comprennent tout l'uniselon ces paroles, Deus fecit omnia in pondere, in numero et mensura (*), ont une liaison réciproque et nécessaire. Car on ne peut imaginer

(*) Omnia in mensura, et numero, et pondere disposuisti. Sap. XI, 21.

de mouvement sans quelque chose qui se meuve, et cette chose étant une, cette unité est l'origine de tous les nombres. Et enfin le mouvement ne pouvant être sans espace, on voit ces trois choses enfermées dans la première.

Le temps même y est aussi compris car le mouvement et le temps sont relatifs l'un à l'autre ; la promptitude et la lenteur, qui sont les différences des mouvemens, ayant un rapport nécessaire avec le temps.

Ainsi il y a des propriétés communes à toutes ces choses, dont la connaissance ouvre l'esprit aux plus grandes merveilles de la nature.

La principale comprend les deux infinités qui se rencontrent dans toutes, l'une de grandeur, l'autre de petitesse.

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Car quelque prompt que soit un mouvement, on peut en concevoir un qui le soit davantage, et hâter encore ce dernier; et ainsi toujours à l'infini, sans jamais arriver à un qui le soit de telle sorte qu'on ne puisse plus y ajouter et, au contraire, quelque lent que soit un mouvement, on peut le retarder davantage, et encore ce dernier; et ainsi à l'infini, sans jamais arriver à un tel degré de lenteur qu'on ne puisse encore en descendre à une infinité d'autres sans tomber dans le repos. De même, quelque grand que soit un nombre, on peut en concevoir un plus grand, et encore un qui surpasse le dernier; et ainsi à l'infini, sans jamais arriver à un qui ne puisse plus être augmenté et, au contraire, quelque

petit que soit un nombre, comme la centième ou la dix millième partie, on peut encore en concevoir un moindre, et toujours à l'infini, sans arriver au zéro ou néant. Quelque grand que soit un espace, on peut en concevoir un plus grand, et encore un qui le soit davantage ; et ainsi à l'infini, sans jamais arriver à un qui ne puisse plus être augmenté et, au contraire, quelque petit que soit un espace, on peut encore en considérer un moindre, et toujours à l'infini, sans jamais arriver à un indivisible qui n'ait plus aucune étendue.

Il en est de même du temps. On peut toujours en concevoir un plus grand sans dernier, et un moindre, sans arriver à un instant et à un pur néant de durée.

C'est-à-dire, en un mot, que quelque mouvement, quelque nombre, quelque espace, quelque temps que ce soit, il y en a toujours un plus grand et un moindre; de sorte qu'ils se soutiennent tous entre le néant et l'infini, étant toujours infiniment éloignés de ces extrêmes.

Toutes ces vérités ne peuvent se démontrer; et cependant ce sont les fondemens et les principes de la géométrie. Mais comme la cause qui les rend incapables de démonstration n'est pas leur obscurité, mais au contraire leur extrême évidence, ce manque de preuve n'est pas un défaut, mais plutôt une perfection.

D'où l'on voit que la géométrie ne peut définir les objets, ni prouver les principes; mais par cette

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