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sans cesse devant les yeux, et il tâchait de s'y avancer et de s'y perfectionner toujours de plus en plus.

C'est l'application continuelle qu'il avait à ces deux grandes maximes qui lui faisait témoigner une si grande patience dans ses maux et dans ses maladies, qui ne l'ont pres que jamais laissé sans douleur pendant toute sa vie; qui lui faisait pratiquer des mortifi cations très rudes et très sévères-envers luimême; qui faisait que non-seulement il refusait à ses sens tout ce qui pouvait leur être agréable, mais encore qu'il prenait sans peine, sans dégoût, et même avec joie, lorsqu'il le fallait, tout ce qui pouvait leur déplaire, soit pour la nourriture, soit pour les remèdes; qui le portait à se retrancher tous les jours de plus en plus tout ce qu'il ne jugeait pas lui être absolument nécessaire, soit pour le vêtement, soit pour la nourriture, pour les meubles, et pour toutes les autres choses; qui lui donnait un amour si grand eť si ardent pour la pauvreté, qu'elle lui était toujours présente, et que, lorsqu'il voulait entreprendre quelque chose, la première pensée qui lui venait en l'esprit, était de voir si la

pauvreté pouvait être pratiquée, et qui lui faisait avoir en même temps tant de tendresse et tant d'affection pour les pauvres, qu'il ne leur a jamais pu refuser l'aumône, et qu'il en a fait même fort souvent d'assez considérables, quoiqu'il n'en fit que de son fît nécessaire; qu'il ne pouvait souffrir qu'on cherchât avec soin toutes ses commodités, et qu'il blâmait tant cette recherche curieuse et cette fantaisie de vouloir exceller en tout, comme de se servir en toutes choses des meilleurs ouvriers, d'avoir toujours du meilleur et du mieux fait, et mille autres choses semblables qu'on fait sans scrupule, parce qu'on ne croit pas qu'il n'y ait de mal, mais dont il ne jugeait pas de même; et enfin qui lui a fait faire plusieurs actions très remarquables et très chrétiennes, que je ne rapporte pas ici, de peur d'être trop long, et parce que mon dessein n'est pas d'écrire sa vie, mais seulement de donner quelque idée de sa piété et de sa vertu.

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PREMIÈRE PARTIE,

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Contenant les Pensées qui se rapportent à la philosophie, à la morale et aux belleslettres.

ARTICLE PREMIER.

DE L'AUTORITÉ EN MATIÈRE DE PHILOSOPHIE.

Le respect que l'on porte à l'antiquité est aujour

d'hui à tel point, "dans les matières où il devrait avoir le moins de force, que l'on se fait des oracles de toutes ses pensées, et des mystères même de ses obscurités, que l'on ne peut plus avancer de nouveautés sans péril, et que le texte d'un auteur suffit pour détruire les plus fortes raisons. Mon intention n'est point de corriger un vice par un autre, et de ne faire nulle estime des anciens, parce que l'on en fait trop ; et je ne prétends pas bannir leur autorité pour relever le raisonnement tout seul, quoique l'on veuille établir leur autorité seule au préjudice du raisonnement. Mais parmi les choses que nous cherchons à connaître, il faut considérer que les unes dépendent seulement de la mémoire, et sont

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purement historiques, n'ayant alors pour objet que de savoir ce que les auteurs ont écrit; les autres dépendent seulement du raisonnement, et sont entièrement dogmatiques, ayant pour objet de chercher à découvrir les vérités cachées. Cette distinction doit servir à régler l'étendue du respect pour les an

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Dans les matières où l'on recherche seulement de savoir ce que les auteurs ont écrit, comme dans l'histoire, dans la géographie, “dans les langues, dans la théologie; enfin dans toutes celles qui ont pour principe, ou le fait simple, ou l'institution, soit divine, soit humaine, il faut nécessairement recourir à leurs livres, puisque tout ce que l'on peut en savoir y est contenu : d'où il est évident que l'on peut en avoir la connaissance entière, et qu'il n'est pas possible d'y rien ajouter. Ainsi, s'il est question de savoir qui fut premier roi des Français, en quel lieu les géographes placent le premier méridien, quels mots sont usités dans une langue morte, et toutes les choses de cette nature, quels autres moyens que les livres pourraient nous y conduire ? Et qui pourra rien ajouter de nouveau à ce qu'ils nous en apprennent, puisqu'on ne veut savoir que ce qu'ils contiennent? C'est l'autorité seule qui peut nous en éclaircir. Mais où cette autorité a la principale force, c'est dans la théologie, parce qu'elle y est inséparable de la vérité, et que nous ne la connaissons que par elle : de sorte que, pour donner la certitude entière des matières plus incompréhensibles à la raison, il suffit de les faire voir dans les

livres sacrés, comme pour montrer l'incertitude des choses les plus vraisemblables, il faut seulement faire voir qu'elles n'y sont pas comprises; parce que les principes de la théologie sont au-dessus de la nature et de la raison, et que l'esprit de l'homme étant trop faible pour y arriver par ses propres efforts, il ne peut parvenir à ces hautes intelligences, s'il n'y est porté par une force toute-puissante et surnaturelle.

Il n'en est pas de même des sujets qui tombent sous les sens ou sous le raisonnement. L'autorité y est inutile, la raison seule a lieu d'en connaître ; elles ont leurs droits séparés. L'une avait tantôt tout l'avantage; ici l'autre règne à son tour. Et comme les sujets de cette sorte sont proportionnés à la portée de l'esprit, il trouve une liberté tout entière de s'y étendre sa fécondité inépuisable produit continuellement et ses inventions peuvent être tout ensemble sans fin et sans interrupion.

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C'est ainsi que la géométrie, l'arithmétique, la musique, la physique, la médecine, l'architecture, et toutes les sciences qui sont soumises à l'expérience et au raisonnement, doivent être augmentées pour devenir parfaites. Les anciens les ont trouvées seulement ébauchées par ceux qui les ont précédés : et nous les laisserons à ceux qui viendront après nous en un état plus accompli que nous ne les avons reçues. Comme leur perfection dépend du temps et de la peine, il est évident qu'encore que notre peine et notre temps nous eussent moins acquis que leurs travaux séparés des nôtres, tous deux néanmoins,

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