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XL.

Les astrologues, les alchimistes, etc., ont quelques principes; mais ils en abusent. Or, l'abus des vérités doit être autant puni que l'introduction du mensonge.

XLI.

Je ne puis pardonner à Descartes : il aurait bien voulu, dans toute sa philosophie, pouvoir se passer de Dieu; mais il n'a pu s'empêcher de lui faire donner une chiquenaude pour mettre le monde en mouvement; après cela il n'a plus que faire de Dieu.

ARTICLE XI.

SUR ÉPICTÈTE ET MONTAIGNE.

I.

EPICTÈTE est un des philosophes du monde qui ait le mieux connu les devoirs de l'homme. Il veut, avant toutes choses, qu'il regarde Dieu comme son principal objet; qu'il soit persuadé qu'il gouverne tout avee justice; qu'il se soumette à lui de bon cœur ; et qu'il le suive volontairement en tout, comme ne faisant rien qu'avec une très grande sagesse : qu'ainsi cette disposition arrêtera toutes les

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plaintes et tous les murmures, et préparera son esprit à souffrir paisiblement les événemens les plus fâcheux. «Ne dites jamais, dit-il, J'ai perdu cela; » dites plutôt, Je l'ai rendu : mon fils est mort, je » l'ai rendu : ma femme est morte, je l'ai rendue. >> Ainsi des biens, et de tout le reste. Mais celui » qui me l'ôte est un méchant homme, direz» vous pourquoi vous mettez-vous en peine par » qui celui qui vous l'a prêté vient le redemander? » Pendant qu'il vous en permet l'usage, ayez-en soin » comme d'un bien qui appartient à autrui, comme » un voyageur fait dans une hôtellerie. Vous ne de>>vez pas, dit-il encore, désirer que les choses se >> fassent comme vous le voulez; mais vous devez >> vouloir qu'elles se fassent comme elles se font. >> Souvenez-vous, ajoute-t-il, que vous êtes >> ici comme un acteur et que vous jouez votre » personnage dans une comédie, tel qu'il plait au >> maître de vous le donner. S'il vous le donne court, >> jouez-le court; s'il vous le donne long, jouez-le >> long soyez sur le théâtre autant de temps qu'il » lui plait; paraissez-y riche ou pauvre, selon qu'il » l'a ordonné. C'est votre fait de bien jouer le per>>>sonnage qui vous est donné; mais de le choisir, » c'est le fait d'un autre. Ayez tous les jours devant » les yeux la mort et les maux qui semblent les » plus insupportables; et jamais vous ne pen» serez rien de bas et ne désirerez rien avec >> excès. >>

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Il montre en mille manières ce que l'homme doit faire. Il veut qu'il soit humble; qu'il cache ses

bonnes résolutions, surtout dans les commencemens et qu'il les accomplisse en secret: rien ne les ruine davantage que de les produire. Il ne se lasse · point de répéter que toute l'étude et le désir de l'homme doivent être de connaître la volonté de Dieu, et de la suivre:

Telles étaient les lumières de ce grand esprit, qui a si bien connu les devoirs de l'homme : heureux' - s'il avait aussi connu sa faiblesse ! Mais après avoir si bien compris ce qu'on doit faire, il se perd dans la présomption de ce que l'on peut. « Dieu, dit-il, » a donné à tout homme les moyens de s'acquitter >> de toutes ses obligations; ces moyens sont toujours » en sa puissance ; il ne faut chercher la félicité que » par les choses qui sont toujours en notre pouvoir, >> puisque Dieu nous les a données à cette fin ; il >> faut voir ce qu'il y a en nous de libre. Les biens, » la vie, l'estime ne sont pas en notre puissance, » et ne mènent pas à Dieu; mais l'esprit ne peut » être forcé de croire ce qu'il sait être faux, ni la » volonté d'aimer ce qu'elle sait qui la rend mal>> heureuse ces deux puissances sont donc pleine»ment libres, et par elles seules nous pouvons nous >> rendre parfaits, connaître Dieu parfaitement, » l'aimer, lui obéir, lui plaire, surmonter tous les »vices, acquérir toutes les vertus, et ainsi nous >> rendre saints et compagnons de Dieu. » Ces orgueilleux principes conduisent Epictète à d'autres ercomme, que l'âme est une portion de la substance divine; que la douleur et la mort ne sont pas des maux; qu'on peut se tuer quand

reurs "

on est si persécuté, qu'on peut croire que Dieu nous appelle, etc..

II.

Montaigne, né dans un état chrétien, fait profession de la religion catholique, et en cela il n'a rien de particulier; mais comme il a voulu chercher une morale fondée sur la raison sans les lumières de la foi, il prend ses principés dans cette supposi tion, et considère l'homme destitué de toute révélation. Il met donc toutes choses dans un doute si nniversel et si général, que l'homme doutant même s'il doute, son incertitude roule sur ellemême dans un cercle perpétuel, et sans repos : s'opposant également à ceux qui disent que tout est incertain, et à ceux qui disent que tout ne l'est pas, parce qu'il ne veut rien assurer. C'est dans ce doute qui doute de soi, et dans cette ignorance qui s'ignore, que consiste l'essence, de son opinion. II ne peut l'exprimer par aucun terme positif: car s'il dit qu'il doute, il se trahit, en assurant au moins qu'il doute; ce qui étant formellement contre son intention, il est réduit à s'expliquer par interrogation; de sorte que ne voulant pas dire, Je ne sais, il dit, Que sais-je? De quoi il a fait sa devise, en la mettant sous les bassins d'une balance, lesquels pesant les contradictoires, se trouvent dans un parfait équilibre. En un mot, il est pur pyrrhonien. Tous ses discours, tous ses essais roulent sur ce principe et c'est la seule chose qu'il prétend bien établir. Il détruit insensiblement tout ce qui passe

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pour le plus certain parmi les hommes, non pas pour établir le contraire, avec une certitude de laquelle seule il est ennemi ; mais pour faire voir seulement que, les apparences étant égales de part et d'autre, on ne sait où asseoir sa croyance.

Dans cet esprit, il se moque de toutes les àssurances; il combat, par exemple, ceux qui ont pensé établir un grand remède contre les procès, par la multitude et la prétendue justesse des lois : comme si on pouvait couper la racine des doutes, d'où naissent les procès! comme s'il y avait des digues qui pussent arrêter le torrent de l'incertitude, et captiver les conjectures! Il dit, à cette occasion, qu'il vaudrait autant soumettre sa cause au premier passant qu'à des juges armés de ce nombre d'ordonnances. Il n'a pas l'ambition de changer l'ordre de l'état ; il ne prétend pas que son avis soit meilleur, il n'en croit aucun bon. Il veut seulement prouver la vanité des opinions les plus reçues montrant que l'exclusion de toutes lois diminuerait plutôt le nombre des différends, que cette multitude de lois, qui ne sert qu'à l'augmenter, parce que les difficultés croissent à mesure qu'on les pèse, les obscurités se multiplient par les commentaires; et que le plus sûr moyen d'entendre le sens d'un discours, est de ne pas l'examiner, de le prendre sur la première apparence: car si peu qu'on l'observe toute sa clarté se dissipe. Sur ce modèle, il juge à l'aventure de toutes les actions des hommes et des points d'histoire, tantôt d'une manière, tantôt d'une autre; suivant libre

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