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même. Cet ordre consiste principalement à la digression sur chaque point qui a rapport à la fin, pour la montrer toujours.

XX.

Il y en a qui masquent toute la nature. Il n'y a point de roi parmi eux, mais un auguste monarque; point de Paris, mais une capitale du royaume. Il y a des endroits où il faut appeler Paris, Paris; et d'autres où il faut l'appeler capitale du royaume.

XXI.

Quand dans un discours on trouve des mots répétés, et qu'essayant de les corriger, on les trouve si propres, qu'on gâterait le discours, il faut les laisser; c'en est la marque, et c'est la part de l'envie qui est aveugle, et qui ne sait pas que cette répétition n'est pas faute en cet endroit : car il n'y a point de règle générale.

XXII.

Ceux qui font des antithèses en forçant les mots, sont comme ceux qui font de fausses fenêtres pour la symétrie. Leur règle n'est pas de parler juste, mais de faire des figures justes.

XXIII.

Une langue à l'égard d'une autre est un chiffre où les mots sont changés en mots, et non les let

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tres en lettres : ainsi une langue inconnue est déchiffrable.

XXIV.

Il y a un modèle d'agrément et de beauté, qui consiste en un certain rapport entre notre nature faible ou forte, telle qu'elle est, et la chose qui nous plait. Tout ce qui est formé sur ce modèle nous agrée maison, chanson, discours, vers, prose, femmes, oiseaux, rivières, arbres, chambres, habits. Tout ce qui n'est point sur ce modèle déplait à ceux qui ont le goût bon.

XXV.

Comme on dit beanté poétique, on devrait dire aussi beauté géométrique, et beauté médicinale. Cependant on ne le dit point: et la raison en est qu'on sait bien quel est l'objet de la géométrie, et quel est l'objet de la médecine ; mais on ne sait pas en quoi consiste l'agrément, qui est l'objet de la poésie. On ne sait ce que c'est que ce modèle naturel qu'il faut imiter; et, faute de cette connaissance, on a inventé de certains termes bizarres, siècle d'or, merveille de nos jours, fatal laurier, bel astre, etc.; et on appelle ce jargon beauté poétique. Mais qui s'imaginera une femme vêtue sur ce modèle, verra une jolie demoiselle toute couverte de miroirs et de chaînes de laiton; et au lieu de la trouver agréable, il ne pourra s'empêcher d'en rire, parce qu'on sait mieux en quoi consiste l'agrément d'une femme que l'agrément des vers.

Mais ceux qui ne s'y connaissent pas l'admireraient peut-être en cet équipage; et il y a bien des villages où on la prendrait pour la reine et c'est pourquoi il y en a qui appellent des sonnets faits sur ce modèle, des reines de villages.

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Quand un discours naturel peint une passion, ou un effet, on trouve dans soi-même la vérité de ce qu'on entend, qui y était sans qu'on le sût, et on se sent porté à aimer celui qui nous le fait sentir: car il ne nous fait pas montre de son bien, mais du nôtre; et ainsi ce bienfait nous le rend aimable: outre que cette communauté d'intelligence que nous avons avec lui incline nécessairement le cœur à l'aimer.

XXVII.

Il faut qu'il y ait dans l'éloquence de l'agréable et du réel; mais il faut que cet agréable soit réel.

XXVIII

Quand on voit le style naturel, on est tout étonné et ravi; car on s'attendait de voir un auteur, et on trouve un homme. Au lieu que ceux qui ont le goût bon, et qui, en voyant un livre, croient trouver un homme, sont tout surpris de trouver un auteur: plus poeticè quàm humanè locutus est. Ceux-là honorent bien la nature, qui lui apprennent qu'elle peut parler de tout, et même de théologie.

II

XXIX.

La dernière chose qu'on' trouve, en faisant un est de savoir celle qu'il faut mettre la

ouvrage, première.

XXX.

Dans le discours, il ne faut point détourner l'esprit d'une chose à une autre, si ce n'est pour le délasser; mais dans le temps où cela est à propos, et non autrement; car qui veut délasser hors de propos, lasse. On se rebute et on quitte tout là, tant il est difficile de rien obtenir de l'homme que par le plaisir, qui est la monnaie pour laquelle nous donnons tout ce qu'on veut!

XXXI.

Quelle vanité que la peinture, qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on

n'admire pas les originaux !

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XXXII.

Un même sens change selon les paroles qui l'exprimént. Les sens reçoivent des paroles leur dignité, au lieu de la leur donner.

XXXIII.

Ceux qui sont accoutumés à juger par le sentiment ne comprennent rien aux choses de raisonnement, car ils veulent d'abord pénétrer d'une vue, et ne sont point accoutumés à chercher les

principes. Et les autres, au contraire, qui sont accoutumés à raisonner par principes, ne comprennent rien aux choses de sentiment, y cherchant des principes, et ne pouvant voir d'une vue. XXXIV.

La vraie éloquence se moque de l'éloquence : la vraie morale se moque de la morale ; c'est-àdire, que la morale du jugement se moque de la morale de l'esprit, qui est sans règle.

XXXV.

Toutes les fausses beautés que nous blâmons dans Cicéron ont des admirateurs en grand nombre.

XXXVI.

Se moquer de la philosophie, c'est vraiment philosopher.

XXXVII.

Il y a beaucoup de gens qui entendent le sermon de la même manière qu'ils entendent vêpres.

XXXVIII.

Les rivières sont des chemins qui marchent et qui portent où l'on veut aller.

XXXIX.

Deux visages semblables, dont aucun ne fait rire en particulier, font rire ensemble par leur ressemblance.

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