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LETTRE PREMIÈRE.

A M. JANNART.

A Reims, ce lundi 14 février 1656.

MONSIEUR MON ONCLE,

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J'ai enfin vendu ma ferme de Damar, moyennant 19,111 liv., à mon beau-frère; c'est-à-dire qu'il a fait échange avec moi de son bien de Châtillon, qu'il a promis par un acte séparé de me faire valoir 10,600 liv., m'a baillé 214 liv., m'a fait une promesse, payable dans trois mois, de 1,300 liv.; et du surplus, montant à 7,000, il m'a fait constitution. Ainsi il a fallu que j'aie vendu le bien de Châtillon, ce qui nous a fait une difficulté; car celui qui l'a acheté a dit qu'il vouloit que quelqu'un s'obligeât à la garantie et entretènement de la vendition que je lui faisois, jusqu'à ce que mademoiselle de La Fontaine eût l'âge et eût ratifié. J'en ai parlé à M. Héricart, mon beau-frère, qui s'en est excusé, et a dit que s'il intervenoit à ladite vendition, l'échange paroîtroit simulé, et que cela lui feroit tort pour les lods et ventes. J'ai cru qu'il vouloit peut-être laisser cet obstacle afin de se dédire; et ayant reçu depuis peu une lettre de M. Faur, où je ne trouvois pas mon compte à beaucoup près, j'ai cru qu'il falloit achever l'affaire à quelque prix que ce fût... Au marchand qui vous portera 3,000 écus et vous demandera votre garantie, s'il eût voulu de celle de M. de Villemontée et. de ma sœur, je ne vous aurois pas importuné de cela; mais il a dit qu'il ne les connoissoit pas. Pour mon père, il en vouloit bien; mais je ne romps jamais la tête à mon père de mes affaires. Je dirai à M. Bellenger, et à mon beaufrère, que je vous fais toucher l'argent de ladite vendition pour votre sûreté, en attendant que je vous aie

fait bailler une indemnité de votre garantie par M. de Villemontée, mon beau-frère, ou bien par qui il vous plaira; et cela sera bien de la sorte. Je vous prie aussi, si on vous en écrit, de mander la même chose.

Quand vous aurez l'argent entre vos mains, mon père vous prie de lui en prêter 4,500 liv. pour racheter partie d'une rente qu'il doit conjointement avec ma sœur aux héritiers de M. Pidoux; moyennant quoi il sera déchargé de la garantie. Du reste, ma sœur vous en entretiendra si vous voulez, et vous ne sauriez mieux faire valoir votre argent. Premièrement je me contenterai de l'intérêt sûr, et tant moins d'autant de la pension que vous savez, et puis après la mort de mon père je vous rembourserai infailliblement, et vous donnerai ensuite une partie considérable de ce qui me restera, aux conditions que je Vous ai dites.

Je vous écris de Reims, où je suis chez MM. de Maucroix, attendant votre réponse sur tous ces points. Le messager qui vous porte celle-ci part aujourd'hui lundi; vous pourrez, si vous en voulez prendre la peine, me récrire mercredi; il ne faut que demander le messager de Reims, sur le pont Notre-Dame, ou écrire par la poste de Champagne, et adresser les lettres à M. de La Fontaine, chez M. de Maucroix, chanoine à Reims. Le plus tôt sera le meilleur : car le marchand de Châlons attend votre réponse pour vous porter l'argent. La copie de l'obligation que je vous envoie est de la main de M. de Maucroix, à cause que le messager me pressoit. Je vous prie très humblement de me faire réponse au plus tôt, et suis,

Monsieur mon oncle,

Votre, etc. DE LA FONTAINE

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Chaûry (Château-Thierry), ce 29 février 1656.

MONSIEUR MON ONCLE,

J'ai reçu vos deux lettres, la première à Reims, la seconde de Jeanne Bruyer, et vous remercie de la grace que vous nous faites à mon père et à moi. Il prendra 4,500 liv. sur l'argent qu'on vous portera; le reste de ce qu'il doit en principal, qui est environ 300 liv. et un peu moins d'une année d'arrérages, il vous le fera tenir par la première commodité qui sera, comme je crois, devant la quinzaine. J'écris à ma sœur, qui a aussi dessein de rembourser sa part, de vous entretenir là-dessus. Vous vous ferez subroger en la place de celui à qui on doit, ou bien mon père remboursera et vous fera une nouvelle constitution comme vous le jugerez à propos, pour le moins de frais et le plus de sûreté pour vous, et pour nous. Celui qui a acheté le bien de Châtillon vous portera 3,000 écus, la première semaine de carême. Je pourvoirai aux moyens de vous faire tenir le reste; et cependant je demeurerai, après avoir fait mes très humbles baisemains à mademoiselle Jannart,

Monsieur mon oncle,

et neveu,

III.

AU MÊME.

A Chaûry (Château-Thierry), ce 5 janvier 1658 MONSIEUR MON ONCLE,

Je vous envoie le papier que M. de Bressay m'a donné suivant votre lettre, et crois que M. Visinier vous le portera lui-même pour plus d'assurance. Nous vous avons beaucoup d'obligation de ce que vous voulez bien donner la somme que je vous ai prié de donner à M. de Villemontée; ce n'est pas la première fois que vous m'avez témoigné la bonne volonté que vous avez pour moi, et je vois bien d'après les termes de votre lettre que ce ne sera pas la dernière. J'essaierai de mériter cette bonne volonté par mes services, étant,

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J'ai montré votre lettre mon père, qui est bien Votre très humble et très obéissant serviteur aise de ne plus devoir qu'à vous, et vous en écrit. Je crois que sa lettre peut tenir lieu de procuration. Le principal intérêt qu'il a en cette affaire est d'être déchargé envers tous du total de la rente, et de n'être plus obligé que pour sa part envers vous. Il vous supplie d'y prendre garde, et de ne point rembourser sa part que ma sœur n'ait aussi remboursé, ou ne rembourse la sienne.

DE LA FONTAINE.

P. S. J'ai écrit au sieur Castel de vous aller tronver, et vous supplier d'accommoder notre affaire. Ma belle-mère lui doit six cent vingt livres. Il ne faut premièrement point qu'il parle des frais; et quant au principal, je lui donnerai volontiers 100 fr. Il sera tout heureux de les prendre : car il aura de la peine assez à se faire payer; et ma belle-mère m'a dit qu'il ne lui en étoit pas tant dû légitimement.

J'ai compté depuis peu avec M. Bellenger de quelques dettes de ma belle-mère; mais je n'ai pas jugé qu'il soit de la bienséance de lui parler de 12 écus d'argent, dont j'ai compté avec vous, et que vous me baillâtes pour les affaires de M. de Brecet. J'en donnai 4 à M. Vabeil, et en rendis 8 à M. de Brecet. Ainsi c'est à moi qu'on les doit; vous leur en ferez, s'il vous plait, souvenir; autrement je les perdrois. Ce n'est pas que je les redemande, c'est seulement afin que la mémoire n'en soit pas abolie: je ne sais si c'est au beau-père ou au gendre d'acquitter cela. Les écus d'argent valoient lors 12 sous.

Si je n'avois peur de donner atteinte à la neutralité que vous avez promise, je vous écrirois un mot en faveur de M. de La Haye, quand ce ne seroit que pour apprendre à Messieurs du présidial ce que c'est qu'Alea judiciorum; et que M. le lieutenant, qui veut faire passer ses raisons pour des démonstrations mathématiques, n'est pas du tout si savant qu'Archimède. Je suis son serviteur; mais j'incline pour le prevôt aussi bien que tous les honnêtes gens de Château-Thierry.

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A Chaûry (Château-Thierry), le 26 mars 1658. MONSIEUR MON ONCLE,

Vous ne recevrez point encore par cet ordinaire la lettre de mon père; il est toujours malade, et a été saigné encore une fois. Ce n'est pourtant pas chose fort dangereuse. Dès qu'il sera en meilleur état, il ne manquera pas de vous écrire touchant l'affaire de ma sœur, qu'il vous prie d'achever au plus tôt, si vos affaires vous le permettent.

Je vous écrivis au long, mardi dernier, touchant votre ferme des Aulnes-Bouillans; par celle-ci vous

trouverez bon que je fasse le solliciteur, et vous recommande une affaire où madame de Pont-de-Bourg a intérêt. Je n'ai pas l'honneur d'être connu d'elle, mais quantité de personnes de mérite prennent part à ses intérêts. Je suis prié de vous en écrire de si bonne part, qu'il a fallu malgré moi vous être importun, si c'est vous être importun que de vous solliciter pour une dame de qualité qui a une parfaitement belle fille. J'ai vu le temps que vous vous laissiez toucher à ces choses, et ce temps n'est pas éloigné; c'est pourquoi j'espère que vous interpréterez les lois en faveur de madame de Pont-de-Bourg. Vous en aurez des remerciements de l'Académie; mais je les compte pour rien, en comparaison de ceux que vous fera cette belle fille, dont la beauté doit être fort éloquente de la façon qu'on me l'a dépeinte.

J'irai à Paris, devant la fin du carême; et peut-être devant la fin de la semaine où nous allons entrer ; ce sera pour aviser avec vous au moyen de terminer notre affaire. Mademoiselle de La Fontaine m'en presse : ce n'est pas qu'elle soit plus mal qu'elle étoit il y a six mois; mais il est bon d'assurer la chose au plus tôt. J'y ai un intérêt trop grand pour la laisser plus long-temps au hasard, outre que mademoiselle de La Fontaine ne veut pas faire à Paris un long séjour, et sera bien aise de trouver les affaires toutes disposées. Avec votre permission, mademoiselle Jannart aura pour agréables mes très humbles baisemains.

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Je vous renvoie le calcul de ma sœur, bien différent du mien. La différence vient de ce que, dans le mémoire des quittances que vous m'avez envoyées, il y en a une de 400 liv., du 2 septembre 1656, dont il n'est point fait mention dans le mémoire de ma sœur; et peut-être impute-t-elle cela sur les arrérages qui précèdent la dernière quittance de 57, dont je vous ai envoyé copie; car mon père n'étoit pas encore mort, et possible avez-vous payé, en son acquit, ces 400 liv. pour les arrérages de la rente; car il me souvient qu'environ ce temps vous fournîtes quelque argent pour lui à Paris, qu'il rendit à Jeanne Bruyer. Vous n'avez qu'à voir les termes de cette quittance de 400 liv.; le mécompte vient aussi de ce que je n'imputois pas les sommes données sur les arrérages précédents fait à fait qu'elles ont été données, mais je faisois un gros de tous ces arrérages jusqu'à présent, et je le déduisois sur les sommes données et sur l'intérêt, et en cela ma sœur pourroit bien avoir raison; mais dans son mémoire il y a une erreur de 240 liv. ou environ, que j'ai marquée à la marge. C'est pourquoi la chose vaut bien la peine que vous fassiez calculer le tout sur une table d'intérêt je n'en ai point en ce pays-ci.

:

Je ne puis aller à Paris de plus d'un mois, et ne m'y crois nullement nécessaire; je vous écris de

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A Chaûry (Château-Thierry), ce 1er février 1659. MONSIEUR MON ONCLE,

Ce qu'on vous a mandé de l'emprunt et du jeu est très faux; si vous l'aviez cru, il me semble que vous ne pouviez moins que de m'en faire la réprimande; je la méritois bien par le respect que j'ai pour vous, et par l'affection que vous m'avez toujours témoignée. J'espère qu'une autre fois vous vous mettrez plus fort en colère, et que s'il m'arrive de perdre mon argent, vous n'en rirez point. Mademoiselle de La Fontaine ne sait nullement bon gré à ce donneur de faux avis, qui est aussi mauvais politique qu'intéressé. Notre séparation peut avoir fait quelque bruit à la Ferté ; mais elle n'en a pas fait beaucoup à Château-Thierry, et personne n'a cru que cela fût nécessaire.

J'ai fait une sommation pour recevoir l'annuel, mais je n'ai point consigné; mandez-moi s'il est encore temps. La commission dont je vous ai écrit est une excellente affaire pour le profit, et je ne suis pas assez ambitieux pour ne courir qu'après les honneurs; quand l'un et l'autre se rencontreront ensemble, je ne les rejetterai pas; cependant, dès que Nacquart fera un tour à Château-Thierry, je lui ferai la proposition, sauf' de m'en rapporter à vous touchant le choix.

J'espère qu'aujourd'hui votre échange avec madame de l'Hôtel-Dieu sera bien avancé; je suis sur le point d'en faire encore un. M. de La Place me doit un surcens de trois setiers et mine de blé, et deux setiers d'avoine; le surcens est assis sur dix arpents de terre qui sont à la porte d'une de ses fermes. Il me veut donner en échange dix autres arpents, enfermés dans vos terres de la Trueterie. Je trouve la chose à propos; mais il faut qu'elle se fasse sous votre nom, et auparavant il faudroit que je vous eusse cédé le surcens; il me semble que cela se peut faire par procuration, et qu'il n'est pas besoin d'attendre un voyage de Paris pour cela. Suivant ce que vous m'en manderez, j'enverrai mémoire.

Si vous n'avez trouvé à troquer vos terres de Clignon, M. Oudan, de Reims, s'en accommodera avec vous, et vous donnera de l'argent on des terres dans la prairie. Si l'affaire d'Étampes se faisoit, je

vous conseillerois de choisir des terres.

Vous ne me mandez rien touchant le rachat que j'ai fait de vos rentes sous seing privé ; je ne l'ai pas voulu faire par-devant notaire, sans avoir aupara vant votre avis, à cause des lods et ventes : souvenez s'il vous plaît, de m'en écrire. Je suis,

vous,

Monsieur mon oncle,

Votre très humble et très obéissant serviteur, DE LA FONTAINE,

P. S. Je vous écrivis hier vendredi, et vous priai | de mieux que de vous entretenir d'une si agréable de vous employer pour celui qui vous portera la let- matière. Je vous dirai donc que l'entrée ne se passa tre; car peut-être recevrez-vous celle-ci la première. point sans moi, que j'y eus ma place aussi bien que Je n'osai, à cause de la parenté de mademoiselle de beaucoup d'autres provinciaux, et que ce monde de La Fontaine, lui refuser de vous écrire; mais comme regardants est une des choses qui me parut la plus c'est pour essayer de lui procurer quelque emploi, belle en cette action. qu'on lui a fait espérer, et que ces choses ne se demandent ni ne s'obtiennent facilement, vous en userez comme il vous plaira, et vous vous réserverez, si vous le jugez à propos, pour quelque meilleure occasion: enfin je ne prétends point vous importuner pour autrui dans une affaire de cette nature; c'est bien assez que je le fasse pour moi seulement : je vous prie de vous excuser de la meilleure grace qu'il sera possible, et cela suffit.

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Vous vous étonnez, dites-vous, de ce que tant d'honnêtes gens ont été les dupes de mademoiselle Colletet, et de ce que j'y ai été moi-même attrapé. Ce n'est pas un sujet d'étonnement que ce dernier point; au contraire, c'en seroit un si la chose s'étoit autrement passée à mon égard : ainsi vous faites très sagement de me mettre au nombre des honnêtes gens, puisque aussi bien je ne puis nier que je ne sois de celui des dupes. Cela vous est-il nouveau? Et d'où venez-vous, de vous étonner ainsi? Savez-vous pas bien que pour peu que j'aime, je ne vois dans les défauts des personnes non plus qu'une taupe qui auroit cent pieds de terre sur elle? Si vous ne vous en êtes aperçu, vous êtes cent fois plus taupe que moi. Dès que j'ai un grain d'amour, je ne manque pas d'y mêler tout ce qu'il y a d'encens dans mon magasin; cela fait le meilleur effet du monde ; je dis des sottises en vers et en prose, et serois fâché d'en avoir dit une qui ne fût pas solennelle : enfin je loue de toutes mes forces.

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De toutes parts on y vit
Une nombreuse affluence,
Et je crois qu'elle se fit

Aux yeux de toute la France.

Ce jour-là le soleil fut assez matineux;

Mais, pour mieux laisser voir ce pompeux équipage,
Il tempéra son éclat lumineux,

En quoi je tiens qu'il fut

sage:

Car, quand il eût eu des habits

Tout parsemés de rubis,

Et couverts des trésors du Pactole et du Tage,
Qu'il eût paru plus beau qu'il n'est au plus beau jour,
Le moins brillant des seigneurs de sa cour
Eût brillé cent fois davantage.

La cour ne se mit pas seule sur le bon bout,
Et le luxe passa jusqu'à la bourgeoisie.
Chacun fit de son mieux : ce n'étoit qu'or partout:

Vous n'avez vu de votre vie

Une si belle infanterie;

On eût dit qu'ils sortoient tous de chez le baigneur :
Imaginez-vous, monseigneur,

Dix mille hommes en broderie.

Ce fut un bel objet que messieurs du conseil :
Aussi leurs majestés s'en tiennent honorées;
On n'en peut trop louer le pompeux appareil;
Leur troupe étoit des mieux parées.
Tout le monde admira leurs superbes atours,
Leurs cordons d'or, leurs housses de velours,
Et leurs différentes livrées.
Leur chef, vêtu de brocart d'or
Depuis les pieds jusqu'à la tête,
Ce jour-là parut un Médor,

Et fut un des beaux de la fête.
Je ne puis assez dignement
Louer le riche accoutrement
Qui le para cette journée;

Ni le coffret des sceaux, que portoit fièrement
La chancelière haquenée,
Nommée ainsi très justement.

De vouloir peindre aussi les trois cours souveraines,
Et leur auguste majesté,

Ma muse n'y perdroit que son temps et ses peines;
C'est un sujet trop vaste et trop peu limité.
Messieurs de ville eurent en vérité

Bonne part de l'honneur en cette illustre fête.
Je trouvai surtout bien monté
Celui qui marchoit à la tête.
Il n'est pas jusqu'à Rocollet
Qui ne fût sur sa bonne mine:
Son cheval qui n'étoit pas laid,
Et sembloit de taille assez fine,
Lui secouoit un peu l'échine,
Et pensa mettre en désarroi
Ce brave serviteur du roi.

Si je m'étois trouvé plus près
Des harangueurs et des harangues,
Vous auriez en vers quelques traits
De ce qu'ont dit ces doctes langues :
Sans mentir, j'ai beaucoup perdu
De n'en avoir rien entendu;
Car, en fait de magnificence,
Les compliments sur les habits
L'ont emporté, comme je pense.
Mais tout cela n'est rien au prix
Des mulets de son éminence:
Leur attirail doit avoir coûté cher.
Ils se suivoient en file ainsi que patenôtres:

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On en voyoit d'abord vingt et quatre marcher,
Puis autres vingt et quatre, et puis vingt et quatre autres.
Les housses des premiers étoient d'un fort grand prix;
Les seconds les passoient, passés par les troisièmes;
Mais ceux-ci n'ont, à mon avis,

Rien laissé pour les quatrièmes.

Monsieur le cardinal l'entend, en bonne foi;

Car après ces mulets marchoient quinze atte1ages,
Puis sa maison, et puis ses pages,

Se panadant en bel arroi,
Montés sur chevaux aussi sages
Que pas un d'eux, comme je croi.
Figurez-vous que dans la France
Il n'en est point de plus haut prix;
Que l'un bondit, que l'autre danse,
Et que cela n'est rien au prix
Des mulets de son éminence.

Bientôt après les seigneurs de la cour, Propres, dorés et beaux comme des anges,

Ou comme le dieu d'amour,

Attirèrent nos louanges:

J'entends le dieu d'Amour, quand il tient du dieu Mars,
Et qu'il marche tout fier du pouvoir de ses dards;
Car ces seigneurs, qui sont près d'une belle
Aussi doux que des moutons,
Sont pires que vrais lions
Quand ils ont une querelle,
Ou que le bruit des canons
Leur échauffe la cervelle.
En habits sous l'or tout cachés,
En chevaux bien enharnachés,
Ils avoient fait grosse dépense;
Et quant à moi je fus surpris
De voir une telle abondance,
Et n'estimai plus rien au prix
Les mulets de son éminence.

Incontinent on vit passer
Les légions de mousquetaires.
C'est un bel endroit à tracer;

Mais, sans que je m'attire un tel nombre d'affaires,
Leur maître n'a que trop de quoi m'embarrasser.

Vous le voyez quelquefois :

Croyez-vous que le monde ait eu beaucoup de rois,
Ou de taille aussi belle, ou de mine aussi bonne?
Ce n'est pas mon avis; et lorsque je le vois,
Je crois voir la grandeur elle-même en personne.

Comme jadis le monarque des cieux

Dans le ciel fit son entrée,

Après avoir puni l'orgueil audacieux

Des suppôts de Briarée;

Ou bien comme Apollon, des traits de son carquois Ayant du fier Python percé l'énorme masse,

Triompha sur le Parnasse;

Ou comme Mars entra pour la première fois
Dans la capitale de Thrace;

Ainsi je crois encor voir le prince qui passe;
Et vous pouvez choisir de ces trois-là

Celui qu'il vous plaira.

Mais comment de ces vers sortir à mon honneur? Ceci de plus en plus m'embarrasse et m'empêche; Et de fièvre en chaud mal me voici, monseigneur, Enfin tombé sur la calèche.

On dit qu'elle étoit d'or, et sembloit d'or massif, Et qu'il s'en fait de pareilles;

peu

Mais je ne la pus voir, tant j'étois attentif

A regarder d'autres merveilles.

Ces merveilles étoient de fort beaux cheveux blonds,

Une vive blancheur, les plus beaux

yeux

du monde,

Et d'autres appas sans seconds
D'une personne sans seconde.
Qu'on ne me demande pas
Qui c'étoit que la personne
En qui logeoient tant d'appas :
La question seroit bonne!
Tant d'agrément, tant de beauté,

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Le zèle que vous avez pour toute la maison royale me fait espérer que ce terme-ci vous sera plus agréable que pas un autre, et que vous lui accorderez la protection qu'il vous demande. Avec ce passeport, qui n'a jamais été violé, il vous ira trouver sans rien craindre. J'y loue la merveille que nous ont donnée les Anglois. Encore que sa naissance vienne des dieux, ce n'est pas ce qui fait son plus grand mérite; mille autres qualités, toutes excellentes, font qu'elle est l'ornement aussi bien que l'admiration de notre cour. C'est ce qu'on peut dire de plus à l'avantage de cette princesse; car notre cour est telle à présent, que son approbation seroit même glorieuse à la mère des Graces. L'entreprise de louer dans le même ouvrage le digne frère de notre Monarque, étoit infiniment au dessus de moi. Cependant ce n'étoit pas encore assez faire; il falloit, Monseigneur, vous dire aussi quelque chose touchant la grossesse de la Reine. Je serois coupable si je me taisois, tandis que chacun raisonne sur la qualité du présent qu'elle nous fera. Il sera beau, l'on n'en doute point; mais que ce doive être un dieu ou une déesse, c'est ce qui n'est pas encore tout-à-fait certain. Quoi que ce puisse être, on s'en réjouit dans l'Olympe, malgré tous les sujets d'envie qu'on y peut avoir. Ces nouvelles divinités pourroient bien ravir aux autres leurs temples. Je ne parle pas de ceux que nous avons bâtis dans nos cœurs à leurs majestés, qui ne sauroient, avec toute leur puissance, nous rien donner de plus parfait qu'elles. Je ne pouvois, Monseigneur, vous entretenir de sujets qui méritassent mieux d'interrompre vos occupations et vos soins. La grossesse de la Reine est l'attente de tout le monde. On a déjà consulté les astres sur ce sujet,

Quant à moi, sans être devin,
J'ose gager que d'un Dauphin
Nous verrons dans peu la naissance :
Thérèse, accomplissant le repos de la France,

Y fera, je m'assure, encor cette façon.

Ce qui confirme mon soupçon,

C'est la faveur des dieux, qui sert notre monarque,
Comme il mérite, et qui ne put jamais

Lui refuser aucune marque

Du respect que le sort a pour tous ses souhaits.

La conjecture que je fais

N'est pas, seigneur, fort difficile;

Car sans vous étaler d'un discours inutile
Toutes les raisons que j'en ai,

Nous avons un roi trop habile

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