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semble réel: j'oublie le dieu du sommeil, et les démons qui l'entourent; j'oublie enfin que je songe. Les cours du château de Vaux me paroissent jonchées de fleurs; je découvre de tous les côtés l'appareil d'une grande cérémonie: j'en demande la raison à deux guides qui me conduisent. L'un d'eux me dit qu'en creusant les fondements de cette maison on avoit trouvé, sous des voûtes fort anciennes, une table de porphyre, et sur cette table un écrin plein de pierreries, qu'un certain sage, nommé Zirzimir, fils du soudan Zarzafiel, avoit autrefois laissé à un druide de nos provinces. Au milieu de ces pierreries, un diamant d'une beauté extraordinaire, et taillé en cœur, se faisoit d'abord remarquer; et, sur les bords d'un compartiment qui le séparoit d'avec les autres joyaux, se lisoit en lettres d'or cette devise, que l'on n'avoit pu entendre:

Je suis constant, quoique j'en aime deux.

On avoit porté à Oronte l'écrin ouvert, et au même état qu'il s'étoit trouvé. Il l'avoit laissé fermer en le maniant, sans que depuis il eût été possible de le rouvrir, tant la force de l'enchantement étoit grande. Sur le couvercle de cet écrin, se voyoit le portrait du roi, et autour étoit écrit: SOIT DONNÉ a LA PLUS SAVANTE DES FÉES. Sous l'écrin cette prophétie étoit gravée :

Quand celle-là qui plus vaut qu'on la prise
En fait de charme, et plus a de pouvoir,
Aux assistants, dans Vaux en mainte guise
De son bel art aura fait apparoir,
Lors s'ouvrira l'écrin de forme exquise
Que Zirzimir forgea par grand savoir,
Et l'on verra le sens de la devise
Qu'aucun mortel n'aura jamais su voir.

Pour satisfaire à l'intention du mage, et pour l'accomplissement de la prophétie, mais plus encore pour attirer les maîtresses de tous les arts, et leur donner par ce moyen l'occasion d'embellir la maison de Vaux, Oronte avoit fait publier que tout ce qu'il y avoit de savantes fées dans le monde pouvoient venir contester le prix proposé; et ce prix étoit le portrait du roi, qui seroit donné par des juges, sur les raisons que chacune apporteroit pour prouver les charmes et l'excellence de son art. Plusieurs étoient accourues; mais, la plupart ne pouvant contribuer aux beautés de Vaux, et, par conséquent, le prix n'étant pas pour elles apparemment; la plupart, dis-je, persuadées que la prophétie ne les regardoit en aucune sorte, s'étoient retirées. Il n'en étoit demeuré que quatre, l'architecture, la peinture, l'intendante du jardinage et la poésie: je les appelle Palatiane, Apellanire, Hortésie et Calliopée. Le lendemain ce grand différent se devoit juger en la présence d'Oronte et de force demi-dieux. Voilà ce que l'un de mes deux guides me dit, et le sujet du second fragment: il contient les harangues des quatre fées.

Et, pour égayer mon poëme, et le rendre plus agréable (car une longue suite de descriptions historiques seroit une chose fort ennuyeuse), je les voulois entremêler d'épisodes d'un caractère galant. Il y en a trois d'achevés: l'aventure d'un écureuil, celle d'un cygne près de mourir, celle d'un saumon et d'un esturgeon qui avoient été présentés vifs à Oronte. Cette dernière aventure fait le sujet de mon troisième fragment.

Le reste de ce recueil contient des ouvrages que j'ai composés en divers temps sur divers sujets. S'ils ne plaisent par leur bonté, leur variété suppléera peut-être à ce qui leur manque d'ailleurs.

AVERTISSEMENT

(QUI PRÉCÈDE IMMÉDIATEMENT LE SONGE DE VAUX, DANS LE RECUEIL DE 1671.

Des pièces suivantes, les trois premières sont des fragments de la description de Vaux, laquelle j'ai fait venir en un songe, à l'exemple d'autres sujets que l'on a ainsi traités. Ce n'est pas ici le lieu ni l'occasion de faire savoir les raisons que j'en ai eues. L'avertissement les contient : il est nécessaire de le lire pour bien entendre ces trois morceaux, et pour pouvoir tirer de leur lecture quelque sorte de plaisir. Le premier est le commencement de l'ouvrage. Le lecteur, si bon lui semble, peut croire que l'Aminte dont j'y parle représente une personne particulière;

si bon lui semble, que c'est la beauté des femmes en général; s'il lui plaît même, que c'est celle de toutes sortes d'objets. Ces trois explications sont libres. Ceux qui cherchent en tout du mystère, et qui veulent que cette sorte de poëme ait un sens allégorique, ne manqueront pas de recourir aux deux dernières. Quant à moi, je ne trouverai pas mauvais qu'on s'imagine que cette Aminte est telle ou telle personne : cela rend la chose plus passionnée, et ne la rend pas moins héroïque.

FRAGMENTS.

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I.

ACANTE s'étant endormi une nuit du printemps, songea qu'il étoit allé trouver le Sommeil, pour le prier que, par son moyen, il pût voir le palais de Vaux avec ses jardins: ce que le Sommeil lui accorda, commandant aux Songes de les lui montrer.

Lorsque l'an se renouvelle
En cette aimable saison
Où Flore amène avec elle
Les Zéphyrs sur l'horizon;
Une nuit que le Silence
Charmoit tout par sa présence,
Je conjurai le Soinmeil
De suspendre mon réveil

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C'étoit aussi cette maison magnifique, avec ses accompagnements et ses jardins, lesquels Sylvestre m'avoit montrés, et que ma mémoire conservoit avec un grand soin, comme étant les plus précieuses pièces de son trésor. Ce fut sur ce fondement que le Songe éleva son frêle édifice, et tâcha de me faire voir les choses en leur plus grande perfection. Il choisit pour cela tout ce qu'il y avoit de plus beau dans ses magasins; et, afin que mon plaisir durât davantage, il voulut que cette apparition fût mêlée d'aventures très remarquables. Je vis des plantes, je vis des marbres, je vis des cristaux liquides, je vis des animaux et des hommes. Au commencement de mon songe il m'arriva une chose qui m'étoit arrivée plusieurs autres fois, et qui arrive souvent à chacun; c'est qu'une partie des objets sur la pensée desquels je venois de m'endormir me repassa d'abord en l'esprit. Je m'imaginai que j'étois allé trouver le Sommeil, pour le prier de me montrer Vaux, dont on m'avoit dit des choses presque incroyables. Le logis du dieu est au fond d'un bois où le silence et la solitude font leur séjour : c'est un antre que la nature a taillé de ses propres mains, et dont elle a fortifié toutes les avenues contre la clarté et le bruit.

Sous les lambris moussus de ce sombre palais,
Écho ne répond point, et semble être assoupie :
La molle Oisiveté, sur le seuil accroupie,
N'en bouge nuit et jour, et fait qu'aux environs
Jamais le chant des coqs, ni le bruit des clairons,
Ne viennent au travail inviter la nature;

Un ruisseau coule auprès, et forme un doux murmure.
Les simples dédiés au dieu de ce séjour

Sont les seules moissons qu'on cultive à l'entour:
De leurs fleurs en tout temps sa demeure est semée.

Il a presque toujours la paupière fermée.

Je le trouvai dormant sur un lit de pavots:
Les Songes l'entouroient sans troubler son repos :
De fantômes divers une cour mensongère,
Vains et frêles enfants d'une vapeur légère,
Troupe qui sait charmer le plus profond ennui,
Prête aux ordres du dieu, voloit autour de lui.
Là, cent figures d'air en leur moules gardées,
Là, des biens et des maux les légères idées,
Prévenant nos destins, trompant notre désir,
Formoient des magasins de peine ou de plaisir.
Je regardois sortir et rentrer ces merveilles :
Telles vont au butin les nombreuses abeilles ;
Et tel, dans un état de fourmis composé,
Le peuple rentre et sort en cent parts divisé.
Confus, je m'écriai: Toi que chacun réclame,
Sommeil, je ne viens pas t'implorer dans ma flamme;
Conte à d'autres que moi ces mensonges charmants
Dont tu flattes les vœux des crédules amants;
Les merveilles de Vaux me tiendront lieu d'Aminte:
Fais que par ces démons leur beauté me soit peinte.
Tu sais que j'ai toujours honoré tes autels;

Je t'offre plus d'encens que pas un des mortels :

Doux Sommeil, rends-toi donc à ma juste prière.
A ces mots, je lui vis entr'ouvrir la paupière;
Et, refermant les yeux presque au même moment:
Contentez ce mortel, dit-il languissamment.
Tout ce peuple obéit sans tarder davantage :
Des merveilles de Vaux ils m'offrirent l'image;
Comme marbres taillés leur troupe s'entassa;
En colonne aussitôt celui-ci se plaça;
Celui-là chapiteau vint s'offrir à ma vue;
L'un se fit piédestal, l'autre se fit statue :
Artisans qui peu chers, mais qui prompts et subtils,
N'ont besoin pour bâtir de marbre ni d'outils,
Font croître en un moment des fleurs et des ombrages,
Et, sans l'aide du temps, composent leurs ouvrages.

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II.

Les vers suivants ne sont pas de la description de Vaux: je les envoyai à une personne qui en vouloit voir de moi, et lui envoyai en même temps le fragment qui suit. Comme ces vers y peuvent servir d'argument en quelque façon, j'ai cru qu'il ne seroit pas hors de propos de les mettre en tête.

Ariste, vous voulez voir des vers de ma main,
Vous qui du chantre grec ainsi que du romain
Pourriez nous étaler les beautés et les graces,
Et qui nous invitez à marcher sur leurs traces.
Vous ne trouverez point chez moi cet heureux art
Qui cache ce qu'il est, et ressemble au hasard :
Je n'ai point ce beau tour, ce charme inexprimable
Qui rend le dieu des vers sur tous autres aimable:
C'est ce qu'il faut avoir, si l'on veut être admis
Parmi ceux qu'Apollon compte entre ses amis.
Homère épand toujours ses dons avec largesse;
Virgile à ses trésors sait joindre la sagesse :

Mes vers vous pourroient-ils donner quelque plaisir,
Lorsque l'antiquité vous en offre à choisir?
Je ne l'espère pas; et cependant ma muse
N'aura jamais pour vous de secret ni d'excuse;
Ce que vous souhaitez, il faut vous l'accorder;
C'est à moi d'obéir, à vous de commander.
Je vous présente donc quelques traits de ma lyre:
Elle les a dans Vaux répétés au Zéphyre.
J'y fais parler quatre arts fameux dans l'univers,
Les palais, les tableaux, les jardins, et les vers.
Ces arts vantent ici tour à tour leurs merveilles.
Je soupire en songeant au sujet de mes veilles.
Vous m'entendez, Ariste, et d'un cœur généreux
Vous plaignez comme moi le sort d'un malheureux.
Il déplut à son roi; ses amis disparurent:
Mille vœux contre lui dans l'abord concoururent.
Malgré tout ce torrent, je lui donnai des pleurs;
J'accoutumai chacun à plaindre ses malheurs.
Jadis en sa faveur j'assemblai quatre fées;

Il voulut que ma main leur dressât des trophées :
OEuvre long, et qu'alors jeune encor j'entrepris.
Écoutez ces quatre arts, et décidez du prix.

L'Architecture, la Peinture, le Jardinage et la Poésie haranguent leurs juges, et contestent le prix proposé.

Un riche balustre faisoit la séparation de la chambre d'avec l'alcôve; l'estrade en étoit au moins élevée d'un pied, ce qui donnoit encore plus d'éclat à cette action. Là, sur des tapis de Perse, on avoit placé les siéges des demi-dieux; ceux des juges y étoient aussi, mais à part, et un peu éloignés de la compagnie. Hors de l'alcôve étoient assises l'une près de l'autre les quatre fées. Ariste, Gelaste, et moi, nous étions debout vis-à-vis d'elles. On tira au sort pour savoir

en quel rang elles parleroient. Ce fut à Palatiane de haranguer la première : elle se leva donc; et, après s'être approchée du balustre, elle se retourna à demi devers ses rivales, et leur adressant la voix, elle commença de cette sorte:

Quoi! par vous ces honneurs sont aussi contestés?
Vous prétendez le prix qu'on doit à mes beautés ?
Ingrates, deviez-vous en avoir la pensée?

A ces mots d'ingrates toutes se levèrent, et témoignèrent avoir quelque chose à dire; mais les juges, pour éviter la confusion, ayant ordonné qu'elles ne s'interromproient point, Palatiane continua en ces termes :

Juges, pardonnez-moi cette plainte forcée,
Je sais qu'en suppliante il falloit commencer;
C'est à vous que ma voix se devoit adresser;
Mais le dépit in'emporte, et puisqu'il faut tout dire,
Enfin voilà le fruit, trop vaine Apellanire,
Dont vous reconnoissez mes bienfaits aujourd'hui.
Contre les aquilons mon art vous sert d'appui :
N'en ayez point de honte; en sauvant votre ouvrage,
J'oblige aussi les dieux dont vous tracez l'image.
Hé bien! vous la tracez, mais imparfaitement;
Et moi je leur bâtis un second firmament.
Ce que je dis pour vous, je le dis pour les autres;
Tout ce qu'ont fait dans Vaux les Le Bruns, les Le Nôtres,
Jets, cascades, canaux et plafonds si charmants,
Tout cela tient de moi ses plus beaux ornements.
Contempler les efforts de quelque main savante,
Juger d'une peinture, ou muette, ou parlante,
Admirer d'Apollon les pinceaux ou la voix,
Errer dans un jardin, s'égarer dans un bois,
Se coucher sur des fleurs, respirer leur haleine,
Écouter en rêvant le bruit d'une fontaine,
Ou celui d'un ruisseau roulant sur des cailloux,
Tout cela, je l'avoue, a des charmes bien doux:
Mais enfin on s'en passe, et je suis nécessaire.
Ce fut le seul besoin qui d'abord me fit plaire.
Les antres se trouvoient des humains habités;
Avec les animaux ils formoient des cités :
Je bâtis des maisons, je composai des villes.
On ne vouloit alors que de simples asiles;
Sur la nécessité se régloient les souhaits:
Aujourd'hui, que l'on veut de superbes palais,
Je contente chacun en plus d'une manière :
Des cinq ordres divers la grace singulière
Fait voir comme il me plaît l'éclat, la majesté,
Ou les charmes divins de la simplicité.
Je ne doute donc point qu'en présence d'Oronte
Je n'obtienne le prix, vous n'emportiez la honte :
Confuses, vous allez recevoir cette loi,

Si c'est honte pour vous d'être moindres que moi.
Tant d'œuvres, dont je rends les savants idolâtres,
Colosses, monuments, cirques, amphithéâtres,
Mille temples par moi bâtis en mille lieux,
Les demeures des rois, celles même des dieux,
Rome, et tout l'univers, pour mon art sollicite.
Juges, accordez-moi le prix que je mérite;
Car on n'auroit pas droit d'y vouloir parvenir,
Si de la faveur seule il falloit l'obtenir.

Peu de temps après qu'elle eut cessé de parler, elle retourna s'asseoir. Sa fierté et le caractère de sa harangue n'avoient pas déplu; je le remarquai au visage des assistants. Les seules fées témoignoient beaucoup d'indignation, et secouoient la tête à chacune de ses raisons; je vis même l'heure qu'Apellanire l'interromproit. Pour moi, ce qui me toucha le plus de tout son discours, ce fut l'épilogue. Apellanire, qui devoit parler la seconde, prit la place que l'autre venoit de quitter, et puis elle commença ainsi sa harangue:

Juges, si j'ai souffert des reproches frivoles,
Ce n'est point pour manquer de droit ni de paroles :
Le respect seulement a retenu ma voix.
Palatiane veut vous imposer des lois;

Les honneurs ne sont faits que pour ses mains savantes;
Ce seroit trop pour nous que d'être ses suivantes:
Elle m'appelle ingrate, et pense m'ébranler;
Mais qui l'est de nous deux, puisqu'il en faut parler?
Sans tous ses ornements, serois-je pas la même ?
Et quant à sa beauté, qui lui semble suprême,
Bien souvent sans la mienne on n'y penseroit pas;
Seule je sais donner du lustre à ses appas.
Contre les aquilons elle m'est nécessaire;

Il n'est point de couvert qui n'en pût autant faire.
Où va-t-elle chercher les premiers des humains?
Quels chefs-d'œuvres alors sont sortis de ses mains?
Qu'importe qu'elle serve aux dieux mêmes d'asile ?
Car il ne s'agit pas d'être la plus utile;
C'est assez de causer le plaisir seulement,
Pour satisfaire aux lois de cet enchantement;
En termes assez clairs la chose est exprimée :
Soit donné, dit le mage, à la plus grande fée.
En est-il de plus grande, ayant tout bien pesé,
Que celle par qui l'oeil est sans cesse abusé?
A de simples couleurs mon art plein de magie
Sait donner du relief, de l'ame et de la vie :
Ce n'est rien qu'une toile, on pense voir des corps :
J'évoque, quand je veux, les absents et les morts;
Quand je veux, avec l'art je confonds la nature.
De deux peintres fameux qui ne sait l'imposture?
Four preuve du savoir dont se vantoient leurs mains,
L'un trompa les oiseaux, et l'autre les humains.
Je transporte les yeux aux confins de la terre:
Il n'est événement ni d'amour, ni de guerre,
Que mon art n'ait enfin appris à tous les yeux.
Les mystères profonds des enfers et des cieux
Sont par moi révélés, par moi l'œil les découvre :
Que la porte du jour se ferme, ou qu'elle s'ouvre,
Que le soleil nous quitte, ou qu'il vienne nous voir,
Qu'il forme un beau matin, qu'il nous montre un beau soir,
J'en sais représenter les images brillantes:
Mon art s'étend sur tout; c'est par mes mains savantes
Que les champs, les déserts, les bois et les cités,
Vont en d'autres climats étaler leurs beautés.

Je fais qu'avec plaisir on peut voir des naufrages,
Et les malheurs de Troie ont plu dans mes ouvrages:
Tout y rit, tout y charme; on y voit sans horreur
Le pâle désespoir, la sanglante fureur,

L'inhumaine Cloton qui marche sur leurs traces :
Jugez avec quels traits je sais peindre les Graces.
Dans les maux de l'absence on cherche mon secours :
Je console un amant privé de ses amours,
Chacun par mon moyen possède sa cruelle.
Si vous avez jamais adoré quelque belle
(Et je n'en doute point, les sages ont aimé),
Vous savez ce que peut un portrait animé:

Dans les cœurs les plus froids il entretient des flammes.
Je pourrois vous prier par celui de vos dames;
En faveur de ses traits, qui n'obtiendroit le prix?
Mais c'est assez de Vaux pour toucher vos esprits:
Voyez, et puis jugez; je ne veux autre grace.

Les raisons de cette seconde me semblèrent encore plus pressantes que celles de la première; surtout ce qu'elle dit de l'intention du mage fit beaucoup d'effet. Il s'éleva là-dessus un secret murmure, qui lui donna quelque espérance de la victoire; et le chagrin qu'en ce moment-là témoignèrent les autres fées fit une partie de sa joie, aussi bien que la satisfaction qui parut sur le visage des écoutants. Palatiane, ne jugeant pas à propos de laisser plus long-temps dans les esprits une impression si favorable pour sa rivale, se leva encore une fois, et, de la place où elle étoit, elle représenta aux juges que si l'art de la peinture trompoit les yeux, celui de l'architecture leur faisoit voir des merveilles bien plus étonnantes. Tel pouvoit

on appeler le puissant effort des machines qu'elle inventoit; telle, la pesanteur des colosses élevés comme par enchantement; tels, tous ces ouvrages hardis dont l'imagination se trouve effrayée; tels, enfin, ces amas de pierres qui font croire que l'Égypte a été peuplée de géants, et qui ont épuisé les forces de plusieurs millions d'hommes, aussi bien que les trésors d'une longue suite de rois. Palatiane ayant ainsi répliqué, ces deux fées reprirent leurs places; et incontinent après, Hortésie, dont le tour étoit venu, approcha des juges, mais avec un abord si doux, qu'auparavant qu'elle ouvrit la bouche ils demeurèrent plus d'à demi persuadés, et ils eurent beaucoup de peine à ne se pas laisser corrompre aux charmes mêmes de son silence. Voici les propres paroles de sa harangue:

J'ignore l'art de bien parler,

Et n'emploîrai pour tout langage
Que ces moments qu'on voit couler
Parmi des fleurs et de l'ombrage.
Là luit un soleil tout nouveau;
L'air est plus pur, le jour plus beau,

Les nuits sont douces et tranquilles ;
Et ces agréables séjours

Chassent le soin, hôte des villes,
Et la crainte, hôtesse des cours.

Mes appas sont les alcyons
Par qui l'on voit cesser l'orage
Que le souffle des passions
A fait naître dans un courage;
Seule, j'arrête ses transports;
La raison fait de vains efforts
Pour en calmer la violence:
Et si rien s'oppose à leur cours,
C'est la douceur de mon silence,
Plus que la force du discours.

Mes dons ont occupé les mains
D'un empereur sur tous habile,
Et le plus sage des humains
Vint chez moi chercher un asile :
Charles, d'un semblable dessein
Se venant jeter dans mon sein,

Fit voir qu'il étoit plus qu'un homme:
L'un d'eux pour mes ombrages verts
A quitté l'empire de Rome,
L'autre celui de l'univers.

Ils étoient las des vains projets
De conquérir d'autres provinces:
Que s'ils se firent mes sujets,
De mes sujets je fais des princes.
Tel, égalant le sort des rois,
Aristée erroit autrefois
Dans les vallons de Thessalie;
Et tel, de mets non achetés,
Vivoit sous les murs d'OEbalie
Un amateur de mes beautés.

Libre de soins, exempt d'ennuis,
Il ne manquoit d'aucunes choses,
Il détachoit les premiers fruits,
11 cueilloit les premières roses;
Et quand le ciel armé de vents
Arrêtoit le cours des torrents,
Et leur donnoit un frein de glace,
Ses jardins remplis d'arbres verts
Conservoient encore leur grace,
Malgré la rigueur des hivers.

Je promets un bonheur pareil
A qui voudra suivre mes charmes;
Leur douceur lui garde un sommeil
Qui ne craindra point les alarmnes :
Il bornera tous ses désirs

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Après ces paroles, elle alla jusque dans l'alcôve présenter aux juges la toile qu'elle tenoit déployée, et leur dit que c'étoit le portrait d'Hortésie, qu'elle avoit fait depuis quelques mois. Ils en demeurèrent étonnés; et jetant la vue sur Hortésie, ils la tournèrent ensuite sur sa peinture. La meilleure partie de ses graces y sembloit éteinte, il n'y avoit ni roses, ni lis sur son teint; tout y étoit languissant et à demi mort; on ne voyoit que de la neige et des glaçons où on avoit vu les plus florissantes marques de la jeunesse. Les juges auroient soupçonné la fidélité du portrait, s'ils ne se fussent souvenus d'avoir vu Hortésie en cet état-là. Chacun commença de douter qu'on voulût accorder le prix à une beauté si frêle et si journalière: elle-même abandonna sa propre défense, et ne sut

que répondre sur ce reproche. Si bien qu'Apellanire s'en retournoit toute triomphante, lorsque Palatiane lui dit: N'insultez point à une beauté qui craint tout, à ce que vous dites: si elle languit tous les ans, elle reprend aussi tous les ans de nouvelles forces; quant à vous, qu'est-il demeuré de ce qu'ont fait autrefois vos Apelles et vos Zeuxis, que le nom de leurs ouvrages, et les choses incroyables que l'on en dit? Les miens vivent plus de siècles que les vôtres ne sauroient vivre d'années. Apellanire ne s'étonna point, et se douta bien que Palatiane elle-même se verroit bientôt confondue. Cela ne manqua pas d'arriver.

Ce fut par Calliopée.
Montrez-moi, dit cette fée,
Quelque chose de plus vieux
Que la chronique immortelle
De ces murs pour qui les dieux
Eurent dix ans de querelle.

Bien que par les flots amers
On aille au-delà des mers
Voir encor vos pyramides,
J'ai laissé des monuments
Et plus beaux et plus solides
Que ces vastes bâtiments.

Mes mains ont fait des ouvrages
Qui verront les derniers âges
Sans jamais se ruiner:

Le temps a beau les combattre;
L'eau ne les sauroit miner,
Le vent ne peut les abattre.

Sans moi tant d'œuvres fameux,
Ignorés de nos neveux,
Périroient sous la poussière :
Au Parnasse seulement
On emploie une matière
Qui dure éternellement.

Si l'on conserve les noms,

Ce doit être par mes sons,

Et non point par vos machines:

Un jour, un jour l'univers

Cherchera sous vos ruines

Ceux qui vivront dans mes vers.

Aussitôt elle s'approcha du balustre, et laissant Palatiane toute confuse, elle adoucit quelque peu sa voix, et parla ainsi :

Juges, vous le savez, et dans tout cet empire

Mon charme est plus connu que l'air qu'on y respire;
C'est le seul entretien que l'on prise aujourd'hui :
Pour comble de bonheur, Aicandre en est l'appui.
Je n'en dirai pas plus, de peur que sa puissance
N'oblige vos esprits à quelque déférence.
Vous jugez bien pourtant qu'elle est une beauté
Qui possède son cœur, et qui l'a mérité;
Mais, sans vous prévenir par les traits du bien dire,
Je répondrai par ordre, et cela doit suffire.

On diroit que ces arts méritent tous le prix.
Chaque fée a sans doute ébranlé les esprits;
Toutes semblent d'abord terminer la querelle.
La première a fait voir le besoin qu'on a d'elle.
Si j'ai de son discours marqué les plus beaux traits,
Elle loge les dieux, et moi je les ai faits.

Ce mot est un peu vain, et pourtant véritable:
Ceux qui se font servir le nectar à leur table,
Sous le nom de héros ont mérité mes vers;

Je les ai déclarés maîtres de l'univers.

O vous qui m'écoutez, troupe noble et choisie, Ainsi qu'eux quelque jour vous vivrez d'ambrosie;

Mais Alcandre lui-même auroit beau l'espérer,
S'il n'imploroit mon art pour la lui préparer.
Ce point tout seul devroit me donner gain de cause:
Rendre un homme immortel, sans doute est quelque chose.
Apellanire peut par ses savantes mains

L'exposer pour un temps aux regards des humains :
Pour moi, je lui bâtis un temple en leur mémoire;
Mais un temple plus beau, sans marbre et sans ivoire,
Que ceux où d'autres arts, avec tous leurs efforts,
De l'univers entier épuisent les trésors.
Par le second discours on voit que la peinture
Se vante de tenir école d'imposture,
Comme si de cet art les prestiges puissants
Pouvoient seuls rappeler les morts et les absents!
Ce sont pour moi des jeux: on ne lit point Homère,
Sans que tantôt Achille à l'ame si colère,
Tantôt Agamemnon au front majestueux,
Le bien-disant Ulysse, Ajax l'impétueux,
Et maint autre héros offre aux yeux son image:
Je les fais tous parler, c'est encor davantage.
La peinture après tout n'a droit que sur les corps;
Il n'appartient qu'à moi de montrer les ressorts
Qui font mouvoir une ame, et la rendent visible:
Seule j'expose aux sens ce qui n'est pas sensible,
Et, des mêmes couleurs qu'on peint la vérité,
Je leur expose encor ce qui n'a point été.
Si pour faire un portrait Apellanire excelle,
On m'y trouve du moins aussi savante qu'elle;
Mais je fais plus encore, et j'enseigne aux amants
A fléchir leurs amours en peignant leurs tourments.
Les charmes qu'Hortésie épand sous ses ombrages
Sont plus beaux dans mes vers qu'en ses propres ouvrages;
Elle embellit les fleurs de traits moins éclatants:
C'est chez moi qu'il faut voir les trésors du printemps.
Enfin, j'imite tout par mon savoir suprême;

Je peins, quand il me plaît, la peinture elle-même.
Oui, beaux-arts, quand je veux, j'étale vos attraits:
Pouvez-vous exprimer le moindre de mes traits?
Si donc j'ai mis les dieux au-dessus de l'envie;
Si je donne aux mortels une seconde vie ;
Si maint œuvre de moi, solide autant que beau,
Peut tirer un héros de la nuit du tombeau;
Si, mort en ses neveux, dans mes vers il respire,
Si je le rends présent bien mieux qu'Apellanire;
Si de Palatiane, au prix de mes efforts,
Les monuments ne sont ni durables, ni forts;
Si souvent Hortésie est peinte en mes ouvrages,
Et si je fais parler ses fleurs et ses ombrages,
Juges, qu'attendez-vous? et pourquoi consulter?
Quel art peut mieux que moi cet écrin mériter?
Ce n'est point sa valeur où j'ai voulu prétendre:
Je n'ai considéré que le portrait d'Alcandre.
On sait que les trésors me touchent rarement;
Mes veilles n'ont pour but que l'honneur seulement :
Gardez ce diamant dont le prix est extrême,
Je serai riche assez pourvu qu'Alcandre m'aime.

La harangue de Calliopée produisit un merveilleux changement dans les esprits. Les autres fées l'avoient bien prévu; car, auparavant que l'on s'assemblât, elles demandèrent qu'il fût défendu de se servir des traits de la rhétorique ; que cela n'étoit pas sans exemple; qu'une pareille défense s'étoit observée long-temps dans Athènes, parce que les orateurs faisoient prendre de telles résolutions que bon leur sembloit; et qu'enfin le métier de leur rivale étant de séduire, il n'étoit pas juste qu'elle eût cet avantage sur elles. Mais, comme il étoit question de charces juges leur représentèrent qu'ils ne voyoient pas pourquoi ceux de l'éloquence dussent être exclus, et que leur propre requête leur faisoit tort, parce qu'il sembloit qu'elles donnassent déjà gain de cause à leur concurrente. Ainsi chacune employa tous les artifices dont elle se put aviser.

mes,

Après que l'applaudissement qu'on donna à la barangue de Calliopée fut un peu cessé, Apellanire,

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