semble réel: j'oublie le dieu du sommeil, et les démons qui l'entourent; j'oublie enfin que je songe. Les cours du château de Vaux me paroissent jonchées de fleurs; je découvre de tous les côtés l'appareil d'une grande cérémonie: j'en demande la raison à deux guides qui me conduisent. L'un d'eux me dit qu'en creusant les fondements de cette maison on avoit trouvé, sous des voûtes fort anciennes, une table de porphyre, et sur cette table un écrin plein de pierreries, qu'un certain sage, nommé Zirzimir, fils du soudan Zarzafiel, avoit autrefois laissé à un druide de nos provinces. Au milieu de ces pierreries, un diamant d'une beauté extraordinaire, et taillé en cœur, se faisoit d'abord remarquer; et, sur les bords d'un compartiment qui le séparoit d'avec les autres joyaux, se lisoit en lettres d'or cette devise, que l'on n'avoit pu entendre: Je suis constant, quoique j'en aime deux. On avoit porté à Oronte l'écrin ouvert, et au même état qu'il s'étoit trouvé. Il l'avoit laissé fermer en le maniant, sans que depuis il eût été possible de le rouvrir, tant la force de l'enchantement étoit grande. Sur le couvercle de cet écrin, se voyoit le portrait du roi, et autour étoit écrit: SOIT DONNÉ a LA PLUS SAVANTE DES FÉES. Sous l'écrin cette prophétie étoit gravée : Quand celle-là qui plus vaut qu'on la prise Pour satisfaire à l'intention du mage, et pour l'accomplissement de la prophétie, mais plus encore pour attirer les maîtresses de tous les arts, et leur donner par ce moyen l'occasion d'embellir la maison de Vaux, Oronte avoit fait publier que tout ce qu'il y avoit de savantes fées dans le monde pouvoient venir contester le prix proposé; et ce prix étoit le portrait du roi, qui seroit donné par des juges, sur les raisons que chacune apporteroit pour prouver les charmes et l'excellence de son art. Plusieurs étoient accourues; mais, la plupart ne pouvant contribuer aux beautés de Vaux, et, par conséquent, le prix n'étant pas pour elles apparemment; la plupart, dis-je, persuadées que la prophétie ne les regardoit en aucune sorte, s'étoient retirées. Il n'en étoit demeuré que quatre, l'architecture, la peinture, l'intendante du jardinage et la poésie: je les appelle Palatiane, Apellanire, Hortésie et Calliopée. Le lendemain ce grand différent se devoit juger en la présence d'Oronte et de force demi-dieux. Voilà ce que l'un de mes deux guides me dit, et le sujet du second fragment: il contient les harangues des quatre fées. Et, pour égayer mon poëme, et le rendre plus agréable (car une longue suite de descriptions historiques seroit une chose fort ennuyeuse), je les voulois entremêler d'épisodes d'un caractère galant. Il y en a trois d'achevés: l'aventure d'un écureuil, celle d'un cygne près de mourir, celle d'un saumon et d'un esturgeon qui avoient été présentés vifs à Oronte. Cette dernière aventure fait le sujet de mon troisième fragment. Le reste de ce recueil contient des ouvrages que j'ai composés en divers temps sur divers sujets. S'ils ne plaisent par leur bonté, leur variété suppléera peut-être à ce qui leur manque d'ailleurs. AVERTISSEMENT (QUI PRÉCÈDE IMMÉDIATEMENT LE SONGE DE VAUX, DANS LE RECUEIL DE 1671. Des pièces suivantes, les trois premières sont des fragments de la description de Vaux, laquelle j'ai fait venir en un songe, à l'exemple d'autres sujets que l'on a ainsi traités. Ce n'est pas ici le lieu ni l'occasion de faire savoir les raisons que j'en ai eues. L'avertissement les contient : il est nécessaire de le lire pour bien entendre ces trois morceaux, et pour pouvoir tirer de leur lecture quelque sorte de plaisir. Le premier est le commencement de l'ouvrage. Le lecteur, si bon lui semble, peut croire que l'Aminte dont j'y parle représente une personne particulière; si bon lui semble, que c'est la beauté des femmes en général; s'il lui plaît même, que c'est celle de toutes sortes d'objets. Ces trois explications sont libres. Ceux qui cherchent en tout du mystère, et qui veulent que cette sorte de poëme ait un sens allégorique, ne manqueront pas de recourir aux deux dernières. Quant à moi, je ne trouverai pas mauvais qu'on s'imagine que cette Aminte est telle ou telle personne : cela rend la chose plus passionnée, et ne la rend pas moins héroïque. FRAGMENTS. mmmım I. ACANTE s'étant endormi une nuit du printemps, songea qu'il étoit allé trouver le Sommeil, pour le prier que, par son moyen, il pût voir le palais de Vaux avec ses jardins: ce que le Sommeil lui accorda, commandant aux Songes de les lui montrer. Lorsque l'an se renouvelle C'étoit aussi cette maison magnifique, avec ses accompagnements et ses jardins, lesquels Sylvestre m'avoit montrés, et que ma mémoire conservoit avec un grand soin, comme étant les plus précieuses pièces de son trésor. Ce fut sur ce fondement que le Songe éleva son frêle édifice, et tâcha de me faire voir les choses en leur plus grande perfection. Il choisit pour cela tout ce qu'il y avoit de plus beau dans ses magasins; et, afin que mon plaisir durât davantage, il voulut que cette apparition fût mêlée d'aventures très remarquables. Je vis des plantes, je vis des marbres, je vis des cristaux liquides, je vis des animaux et des hommes. Au commencement de mon songe il m'arriva une chose qui m'étoit arrivée plusieurs autres fois, et qui arrive souvent à chacun; c'est qu'une partie des objets sur la pensée desquels je venois de m'endormir me repassa d'abord en l'esprit. Je m'imaginai que j'étois allé trouver le Sommeil, pour le prier de me montrer Vaux, dont on m'avoit dit des choses presque incroyables. Le logis du dieu est au fond d'un bois où le silence et la solitude font leur séjour : c'est un antre que la nature a taillé de ses propres mains, et dont elle a fortifié toutes les avenues contre la clarté et le bruit. Sous les lambris moussus de ce sombre palais, Un ruisseau coule auprès, et forme un doux murmure. Sont les seules moissons qu'on cultive à l'entour: Il a presque toujours la paupière fermée. Je le trouvai dormant sur un lit de pavots: Je t'offre plus d'encens que pas un des mortels : Doux Sommeil, rends-toi donc à ma juste prière. mmmmmmmn II. Les vers suivants ne sont pas de la description de Vaux: je les envoyai à une personne qui en vouloit voir de moi, et lui envoyai en même temps le fragment qui suit. Comme ces vers y peuvent servir d'argument en quelque façon, j'ai cru qu'il ne seroit pas hors de propos de les mettre en tête. Ariste, vous voulez voir des vers de ma main, Mes vers vous pourroient-ils donner quelque plaisir, Il voulut que ma main leur dressât des trophées : L'Architecture, la Peinture, le Jardinage et la Poésie haranguent leurs juges, et contestent le prix proposé. Un riche balustre faisoit la séparation de la chambre d'avec l'alcôve; l'estrade en étoit au moins élevée d'un pied, ce qui donnoit encore plus d'éclat à cette action. Là, sur des tapis de Perse, on avoit placé les siéges des demi-dieux; ceux des juges y étoient aussi, mais à part, et un peu éloignés de la compagnie. Hors de l'alcôve étoient assises l'une près de l'autre les quatre fées. Ariste, Gelaste, et moi, nous étions debout vis-à-vis d'elles. On tira au sort pour savoir en quel rang elles parleroient. Ce fut à Palatiane de haranguer la première : elle se leva donc; et, après s'être approchée du balustre, elle se retourna à demi devers ses rivales, et leur adressant la voix, elle commença de cette sorte: Quoi! par vous ces honneurs sont aussi contestés? A ces mots d'ingrates toutes se levèrent, et témoignèrent avoir quelque chose à dire; mais les juges, pour éviter la confusion, ayant ordonné qu'elles ne s'interromproient point, Palatiane continua en ces termes : Juges, pardonnez-moi cette plainte forcée, Si c'est honte pour vous d'être moindres que moi. Peu de temps après qu'elle eut cessé de parler, elle retourna s'asseoir. Sa fierté et le caractère de sa harangue n'avoient pas déplu; je le remarquai au visage des assistants. Les seules fées témoignoient beaucoup d'indignation, et secouoient la tête à chacune de ses raisons; je vis même l'heure qu'Apellanire l'interromproit. Pour moi, ce qui me toucha le plus de tout son discours, ce fut l'épilogue. Apellanire, qui devoit parler la seconde, prit la place que l'autre venoit de quitter, et puis elle commença ainsi sa harangue: Juges, si j'ai souffert des reproches frivoles, Les honneurs ne sont faits que pour ses mains savantes; Il n'est point de couvert qui n'en pût autant faire. Je fais qu'avec plaisir on peut voir des naufrages, L'inhumaine Cloton qui marche sur leurs traces : Dans les cœurs les plus froids il entretient des flammes. Les raisons de cette seconde me semblèrent encore plus pressantes que celles de la première; surtout ce qu'elle dit de l'intention du mage fit beaucoup d'effet. Il s'éleva là-dessus un secret murmure, qui lui donna quelque espérance de la victoire; et le chagrin qu'en ce moment-là témoignèrent les autres fées fit une partie de sa joie, aussi bien que la satisfaction qui parut sur le visage des écoutants. Palatiane, ne jugeant pas à propos de laisser plus long-temps dans les esprits une impression si favorable pour sa rivale, se leva encore une fois, et, de la place où elle étoit, elle représenta aux juges que si l'art de la peinture trompoit les yeux, celui de l'architecture leur faisoit voir des merveilles bien plus étonnantes. Tel pouvoit on appeler le puissant effort des machines qu'elle inventoit; telle, la pesanteur des colosses élevés comme par enchantement; tels, tous ces ouvrages hardis dont l'imagination se trouve effrayée; tels, enfin, ces amas de pierres qui font croire que l'Égypte a été peuplée de géants, et qui ont épuisé les forces de plusieurs millions d'hommes, aussi bien que les trésors d'une longue suite de rois. Palatiane ayant ainsi répliqué, ces deux fées reprirent leurs places; et incontinent après, Hortésie, dont le tour étoit venu, approcha des juges, mais avec un abord si doux, qu'auparavant qu'elle ouvrit la bouche ils demeurèrent plus d'à demi persuadés, et ils eurent beaucoup de peine à ne se pas laisser corrompre aux charmes mêmes de son silence. Voici les propres paroles de sa harangue: J'ignore l'art de bien parler, Et n'emploîrai pour tout langage Les nuits sont douces et tranquilles ; Chassent le soin, hôte des villes, Mes appas sont les alcyons Mes dons ont occupé les mains Fit voir qu'il étoit plus qu'un homme: Ils étoient las des vains projets Libre de soins, exempt d'ennuis, Je promets un bonheur pareil Après ces paroles, elle alla jusque dans l'alcôve présenter aux juges la toile qu'elle tenoit déployée, et leur dit que c'étoit le portrait d'Hortésie, qu'elle avoit fait depuis quelques mois. Ils en demeurèrent étonnés; et jetant la vue sur Hortésie, ils la tournèrent ensuite sur sa peinture. La meilleure partie de ses graces y sembloit éteinte, il n'y avoit ni roses, ni lis sur son teint; tout y étoit languissant et à demi mort; on ne voyoit que de la neige et des glaçons où on avoit vu les plus florissantes marques de la jeunesse. Les juges auroient soupçonné la fidélité du portrait, s'ils ne se fussent souvenus d'avoir vu Hortésie en cet état-là. Chacun commença de douter qu'on voulût accorder le prix à une beauté si frêle et si journalière: elle-même abandonna sa propre défense, et ne sut que répondre sur ce reproche. Si bien qu'Apellanire s'en retournoit toute triomphante, lorsque Palatiane lui dit: N'insultez point à une beauté qui craint tout, à ce que vous dites: si elle languit tous les ans, elle reprend aussi tous les ans de nouvelles forces; quant à vous, qu'est-il demeuré de ce qu'ont fait autrefois vos Apelles et vos Zeuxis, que le nom de leurs ouvrages, et les choses incroyables que l'on en dit? Les miens vivent plus de siècles que les vôtres ne sauroient vivre d'années. Apellanire ne s'étonna point, et se douta bien que Palatiane elle-même se verroit bientôt confondue. Cela ne manqua pas d'arriver. Ce fut par Calliopée. Bien que par les flots amers Mes mains ont fait des ouvrages Le temps a beau les combattre; Sans moi tant d'œuvres fameux, Si l'on conserve les noms, Ce doit être par mes sons, Et non point par vos machines: Un jour, un jour l'univers Cherchera sous vos ruines Ceux qui vivront dans mes vers. Aussitôt elle s'approcha du balustre, et laissant Palatiane toute confuse, elle adoucit quelque peu sa voix, et parla ainsi : Juges, vous le savez, et dans tout cet empire Mon charme est plus connu que l'air qu'on y respire; On diroit que ces arts méritent tous le prix. Ce mot est un peu vain, et pourtant véritable: Je les ai déclarés maîtres de l'univers. O vous qui m'écoutez, troupe noble et choisie, Ainsi qu'eux quelque jour vous vivrez d'ambrosie; Mais Alcandre lui-même auroit beau l'espérer, L'exposer pour un temps aux regards des humains : Je peins, quand il me plaît, la peinture elle-même. La harangue de Calliopée produisit un merveilleux changement dans les esprits. Les autres fées l'avoient bien prévu; car, auparavant que l'on s'assemblât, elles demandèrent qu'il fût défendu de se servir des traits de la rhétorique ; que cela n'étoit pas sans exemple; qu'une pareille défense s'étoit observée long-temps dans Athènes, parce que les orateurs faisoient prendre de telles résolutions que bon leur sembloit; et qu'enfin le métier de leur rivale étant de séduire, il n'étoit pas juste qu'elle eût cet avantage sur elles. Mais, comme il étoit question de charces juges leur représentèrent qu'ils ne voyoient pas pourquoi ceux de l'éloquence dussent être exclus, et que leur propre requête leur faisoit tort, parce qu'il sembloit qu'elles donnassent déjà gain de cause à leur concurrente. Ainsi chacune employa tous les artifices dont elle se put aviser. mes, Après que l'applaudissement qu'on donna à la barangue de Calliopée fut un peu cessé, Apellanire, |