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Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue:
Pas un seul petit morceau

De mouche ou de vermisseau.

Elle alla crier famine

Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
Je vous pairai, lui dit-elle,
Avant l'oût, foi d'animal,
Intérêt et principal.

La fourmi n'est pas prêteuse :
C'est là son moindre défaut.

Que faisiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cette emprunteuse.

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FABLE II.

LE CORBEAU ET LE RENARD.

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Maître corbeau, sur un arbre perché, Tenoit en son bec un fromage. Maître renard, par l'odeur alléché, Lui tint à peu près ce langage: Hé! bonjour, monsieur du corbeau. Que vous êtes joli! que vous me semblez beau! Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage,

Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois.
A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie;
Et, pour montrer sa belle voix,

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.

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Deux mulets cheminoient, l'un d'avoine chargé,
L'autre portant l'argent de la gabelle.
Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,
N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé.
Il marchoit d'un pas relevé,
Et faisoit sonner sa sonnette;
Quand l'ennemi se présentant,
Comme il en vouloit à l'argent,

Sur le mulet du fisc une troupe se jette,
Le saisit au frein, et l'arrête.

Le mulet, en se défendant,"

Se sent percer de coups; il gémit, il soupire.
Est-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avoit promis?
Ce mulet qui me suit du danger se retire,

Et moi, j'y tombe, et je péris!
Ami, lui dit son camarade,

Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi:
Si tu n'avois servi qu'un meunier, comme moi,
Tu ne serois pas si malade.

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Le loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
Il ne tiendra qu'à vous, beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.

Car, quoi! rien d'assuré! point de franche lippée !
Tout à la pointe de l'épée!

Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin.
Le loup reprit : Que me faudra-t-il faire?

Presque rien, dit le chien: donner la chasse aux gens
Portant bâtons, et mendiants;

Flatter ceux du logis, à son maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire

Sera force reliefs de toutes les façons,
Os de poulets, os de pigeons;
Sans parler de mainte caresse.
Le loup déjà se forge une félicité

Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le cou du chien pelé.
Qu'est-ce là? lui dit-il.-Rien.-Quoi, rien!-Peu de chose.
Mais encor? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
Attaché! dit le loup : vous ne courez donc pas

Où vous voulez?-Pas toujours; mais qu'importe ?—
Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,

Et ne voudrois pas même à ce prix un trésor.
Cela dit, maître loup s'enfuit, et court encor.

mmmmmmmmmmmmmmmmmmmmn

FABLE VI.

LA GÉNISSE, LA CHÈVRE, ET LA BREBIS, EN SOCIÉTÉ

AVEC LE LION.

La génisse, la chèvre, et leur sœur la brebis,
Avec un fier lion, seigneur du voisinage,
Firent société, dit-on, au temps jadis,
Et mirent en commun le gain et le dommage.
Dans les lacs de la chèvre un cerf se trouva pris.
Vers ses associés aussitôt elle envoie.
Eux venus, le lion par ses ongles compta,
Et dit : Nous sommes quatre à partager la proie.
Puis en autant de parts le cerf il dépeça;
Prit pour lui la première en qualité de sire :
Elle doit être à moi, dit-il ; et la raison,
C'est que je m'appelle lion:

A cela l'on n'a rien à dire.

La seconde, par droit, me doit échoir encor:
Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.
Comme le plus vaillant, je prétends la troisième.
Si quelqu'une de vous touche à la quatrième,
Je l'étranglerai tout d'abord.

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Venez, singe; parlez le premier, et pour cause:
Voyez ces animaux, faites comparaison

De leurs beautés avec les vôtres.
Êtes-vous satisfait? Moi! dit-il; pourquoi non?
N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres?
Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché:
Mais pour mon frère l'ours, on ne l'a qu'ébauché;
Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre.
L'ours venant là-dessus, on crut qu'il s'alloit plaindre.
Tant s'en faut : de sa forme il se loua très fort,
Glosa sur l'éléphant, dit qu'on pourroit encor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles;

Que c'étoit une masse informe et sans beauté.
L'éléphant étant écouté,

Tout sage qu'il étoit, dit des choses pareilles:
Il jugea qu'à son appétit

Dame baleine étoit trop grosse.
Dame fourmi trouva le ciron trop petit,

Se croyant, pour elle, un colosse. Jupin les renvoya s'étant censurés tous,

Du reste, contents d'eux. Mais parmi les plus fous
Notre espèce excella; car tout ce que nous sommes,
Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous, [mes:
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hom-
On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain.
Le fabricateur souverain

Nous créa besaciers tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui:
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d'autrui.

La chanvre étant tout-à-fait crue,
L'hirondelle ajouta : Ceci ne va pas bien;
Mauvaise graine est tôt venue.

Mais, puisque jusqu'ici on ne m'a crue en rien,
Dès que vous verrez que la terre
Sera couverte, et qu'à leurs blés

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Les gens n'étant plus occupés

Feront aux oisillons la guerre;

Quand reginglettes et réseaux
Attraperont petits oiseaux,

Ne volez plus de place en place,
Demeurez au logis, ou changez de climat :
Imitez le canard, la grue, et la bécasse.
Mais vous n'êtes pas en état

De passer comme nous les déserts et les ondes,
Ni d'aller chercher d'autres mondes:
C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr;
C'est de vous renfermer aux trous de quelque mur.
Les oisillons, las de l'entendre,

Se mirent à jaser aussi confusément

Que faisoient les Troyens quand la pauvre Cassandre Ouvroit la bouche seulement.

Il en prit aux uns comme aux autres: Maint oisillon se vit esclave retenu.

Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les nôtres, Et ne croyons le mal que quand il est venu.

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Une hirondelle en ses voyages

Avoit beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.

Celle-ci prévoyoit jusqu'aux moindres orages,
Et, devant qu'ils fussent éclos,

Les annonçoit aux matelots.

Il arriva qu'au temps que la chanvre se sème,
Elle vit un manant en couvrir maints sillons.
Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux oisillons:

Je vous plains; car, pour moi, dans ce péril extrême,
Je saurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin.
Voyez-vous cette main qui par les airs chemine?
Un jour viendra, qui n'est pas loin,
Que ce qu'elle répand sera votre ruine.
De là naîtront engins à vous envelopper,
Et lacets pour vous attraper,
Enfin mainte et mainte machine
Qui causera dans la saison
Votre mort ou votre prison :
Gare la cage ou le chaudron!
C'est pourquoi, leur dit l'hirondelle,
Mangez ce grain; et croyez-moi.
Les oiseaux se moquèrent d'elle:

Ils trouvoient aux champs trop de quoi.
Quand la chènevière fut verte,
L'hirondelle leur dit : Arrachez brin à brin
Ce qu'a produit ce maudit grain,
Ou soyez sûrs de votre perte.

Prophète de malheur ! babillarde! dit-on,
Le bel emploi que tu nous donnes!
Il nous faudroit mille personnes
Pour éplucher tout ce canton.

LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS.

Autrefois le rat de ville Invita le rat des champs D'une façon fort civile A des reliefs d'ortolans.

Sur un tapis de Turquie Le couvert se trouva mis. Je laisse à penser la vie Que firent ces deux amis.

Le régal fut fort honnête,
Rien ne manquoit au festin;
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étoient en train.

A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit:

Le rat de ville détale;
Son camarade le suit.

Le bruit cesse, on se retire: Rats en campagne aussitôt; Et le citadin de dire: Achevons tout notre rôt.

C'est assez, dit le rustique:
Demain vous viendrez chez moi.
Ce n'est pas que je me pique
De tous vos festins de roi:

Mais rien ne vient m'interrompre;

Je mange tout à loisir.

Adieu donc. Fi du plaisir

Que la crainte peut corrompre!

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Un homme qui s'aimoit sans avoir de rivaux
Passoit dans son esprit pour le plus beau du monde:
Il accusoit toujours les miroirs d'être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux

Présentoit partout à ses yeux

Les conseillers muets dont se servent nos dames:
Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,
Miroirs aux poches des galants,
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer,
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure.
Mais un canal, formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés:
Il s'y voit, il se fâche, et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.

Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau :
Mais quoi! le canal est si beau,
Qu'il ne le quitte qu'avec peine.

On voit bien où je veux venir.

Je parle à tous ; et cette erreur extrême Est un mal que chacun se plaît d'entretenir.

Notre ame, c'est cet homme amoureux de lui-même :

mm

FABLE XII.

LE DRAGON A PLUSIEURS TÊTES, ET LE DRAGON A PLUSIEURS QUEUES.

Un envoyé du grand-seigneur

Préféroit, dit l'histoire, un jour chez l'empereur
Les forces de son maître à celles de l'empire.
Un Allemand se mit à dire :

Notre prince a des dépendants
Qui de leur chef sont si puissants

Que chacun d'eux pourroit soudoyer une armée.
Le chiaoux, homme de sens,

Lui dit: Je sais par renommée

Ce que chaque électeur peut de monde fournir;
Et cela me fait souvenir

D'une aventure étrange, et qui pourtant est vraie.

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De Castor et Pollux; ne manque pas
Que leur exemple étoit aux lutteurs glorieux;
Elève leurs combats, spécifiant les lieux
Où ces frères s'étoient signalés davantage :
Enfin l'éloge de ces dieux

Faisoit les deux tiers de l'ouvrage.
L'athlète avoit promis d'en payer un talent:
Mais quand il le vit, le galant

N'en donna que le tiers; et dit, fort franchement,
Que Castor et Pollux acquittassent le reste :
Faites-vous contenter par ce couple céleste.
Je vous veux traiter cependant:

Venez

souper chez moi; nous ferons bonne vie :
Les conviés sont gens choisis,

Mes parents, mes meilleurs amis;
Soyez donc de la compagnie.
Simonide promit. Peut-être qu'il eut peur
De perdre, outre son dû, le gré de sa louange.

Il vient : l'on festine, l'on mange.
Chacun étant en belle humeur,

Un domestique accourt, l'avertit qu'à la porte
Deux hommes demandoient à le voir promptement.
Il sort de table; et la cohorte

N'en perd pas un seul coup de dent.
Ces deux hommes étoient les gémeaux de l'éloge.
Tous deux lui rendent grace; et, pour prix de ses vers,
Ils l'avertissent qu'il déloge,

Et que cette maison va tomber à l'envers.
La prédiction en fut vraie.

Un pilier manque; et le plafonds,
Ne trouvant plus rien qui l'étaie,

Tombe sur le festin, brise plats et flacons,
N'en fait pas moins aux échansons.

Ce ne fut pas le pis : car, pour rendre complète

La vengeance due au poëte,

Une poutre cassa les jambes à l'athlète,
Et renvoya les conviés

Pour la plupart estropiés.

La renommée eut soin de publier l'affaire :
Chacun cria: Miracle! On doubla le salaire

Que méritoient les vers d'un homme aimé des dieux.

Il n'étoit fils de bonne mère

Qui, les payant à qui mieux mieux,
Pour ses ancêtres n'en fit faire.

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FABLE XV.

LA MORT ET LE MALHEUREUX.

Un malheureux appeloit tous les jours
La Mort à son secours.

O Mort! lui disoit-il, que tu me sembles belle!
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle!
La Mort crut, en venant, l'obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, 'elle se moutre,
Que vois-je! cria-t-il : ôtez-moi cet objet!
Qu'il est hideux! que sa rencontre
Me cause d'horreur et d'effroi!
N'approche pas, ò Mort! ô Mort, retire-toi!

Mécénas fut un galant homme;

Il a dit quelque part: Qu'on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme
Je vive, c'est assez, je suis plus que content.
Ne viens jamais, ô Mort! on t'en dit tout autant.

comme

Ce sujet a été traité d'une autre façon par Ésope, la fable suivante le fera voir. Je composai celle-ci pour une raison qui me contraignoit de rendre la chose ainsi générale. Mais quelqu'un me fit connoitre que j'eusse beaucoup mieux fait de suivre mon original, et que je laissois passer un des plus beaux traits qui fût dans Esope. Cela m'obligea d'y avoir recours. Nous ne saurions aller plus avant que les anciens : ils ne nous ont laissé, pour notre part, que la gloire de les bien suivre. Je joins toutefcis ma fable à celle d'Esope, non que la mienne le mérite, mais à cause du mot de Mécénas que j'y fais entrer, et qui est si beau et si à propos, que je n'ai pas cru le devoir omettre.

FABLE XVI.

LA MORT ET LE BUCHERON.

que

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Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien des ans
Gémissant et courbé, marchoit à pas pesants,
Et tâchoit de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos :
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier et la corvée,

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.
C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois; tu ne tarderas guère.

Le trépas vient tout guérir;

Mais ne bougeons d'où nous sommes :
PLUTÔT SOUFFRIR QUE MOURIR,
C'est la devise des hommes.

mmmmmm

FABLE XVII.

L'HOMME ENTRE DEUR AGES, ET SES DEUX MATRESSES.

Un homme de moyen âge,

Et tirant sur le grison,
Jugea qu'il étoit saison
De songer au mariage.

Il avoit du comptant,

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