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Nous vous revoyons done, heureuse Briséis!
L'injuste Agamemnon, pour venger son pays,
Vous rendant au héros à qui vous sûtes plaire,
Croit que vous fléchirez d'un seul mot sa colère.
BRISÉIS.

Moi, le vouloir fléchir! Lydie, y pensez-vous?
Moi, troubler le repos qu'il doit à son courroux!
Il a quitté par là l'intérêt des Atrides,
Par la laissé de Mars les fureurs homicides;
Et lorsque seul en paix il voit même les dieux
En mortels attaquer et défendre ces lieux,
J'irai de leurs débats le rendre la victime!
Il servira les Grecs qui souffrent qu'on l'opprime!
Non, Lydie; épargnons des jours si précieux.
Agamemnon m'a fait enlever à ses yeux:
Qui du camp s'en est plaint? On s'est tu : ce silence,
Si Briséis est crue, aura sa récompense.

LYDIE.

Achille le jura dès votre enlèvement.

BRISÉIS.

C'est à moi d'avoir soin qu'il tienne son serment.

Le sort ne m'aura point contre lui pour complice; Contentons-nous qu'Ajax, Phoenix, avec Ulysse, Députés par les Grecs, implorent son secours : Nous-mêmes n'allons pas précipiter ses jours. Vous savez quel destin l'attend sur ces rivages.

LYDIE.

Je ne m'arrête point à tous ces vains présages;
On les rendra menteurs par quelque prompt départ.
Les Grecs sont-ils point las d'assiéger ce rempart?
Quand se proposent-ils de revoir leur patrie?

BRISÉIS.

Je ne sais, et ces soins n'ont occupé ma vie
Que pour le prince seul qui fait mon souvenir.
Des soucis de l'état c'est trop s'entretenir :

Ne songeons qu'à nos vœux. Que fait, que dit Achille?
Lorsque j'étois absente, a-t-il été tranquille?
Vous parloit-il de moi? que vous en a-t-il dit?
Me puis-je flatter d'être encore en son esprit?
Et Patrocle? sans doute il est toujours fidèle?
Je vous trouve, du moins, toujours charmante et belle.

LYDIE.

Que ce soit mon mérite, ou la faveur des cieux,
Patrocle jusqu'ici me voit des mêmes yeux.
L'hymen seroit déjà garant de sa constance;
Mais, comme Achille doit y joindre sa présence,
A son retour en Grèce il veut qu'il soit remis.
Admirez qu'en amants changeant nos ennemis,
L'un et l'autre a changé son esclave en maîtresse.
Vous et moi nous étions le butin de la Grèce.

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J'ai sujet en un point de vous porter envie :
Vous possédez entier le cœur de votre amant;
Achille est occupé de son ressentiment;

Sa gloire et sa grandeur sont encor mes rivales.
Tant que nous le verrons sur ces rives fatales,
Je craindrai pour ses jours. Vous voyez qu'au danger,
En me rendant à lui, l'on veut le rengager.
Que les enfants des dieux vendent cher aux mortelles
L'honneur de quelques soins, bien souvent peu fidèles!
Souvent il vaudroit mieux qu'un cœur de moindre prix
De nos frêles beautés se rencontrât épris;
On le possèderoit entier et sans alarmes :
Au lieu que je crains tout; tantôt le sort des armes,
Tantôt mon peu d'attraits, tantôt l'ambition;
Et l'on n'est point d'un roi toute la passion.

LYDIE.

Vous l'êtes de celui qui joint, par sa naissance,
Au sang qu'il tient des dieux la suprême puissance.
S'il se venge, et s'il veut exercer son courroux,
Le seul motif en est l'amour qu'il a pour vous:
De votre enlèvement il poursuit la vengeance.
Il eût dissimulé peut-être une autre offense;
Mais, ne vous ayant plus, aussitôt il fit voir
Qu'en vous seule il faisoit consister son devoir;
Qu'il vous sacrifioit l'intérêt de la Grèce;
Qu'enfin la gloire étoit moins que vous sa maîtresse.
BRISÉIS.

Je l'avoue, et je crains peut-être sans sujet;
Mais qui pourroit avoir un cœur moins inquiet?

LYDIE.

Vous, si vous vous savez connoître un peu vous-même,
Vos vœux sont soutenus d'un mérite suprême :
Si vous savez donner à ces biens tout leur prix,
Votre amant vous devra, quoique fils de Thétis.
Nous descendons des rois: notre sang nous rend dignes
De l'hymen des héros même les plus insignes.
Je n'ai point oublié ce sang: imitez-moi;
Croyez qu'un demi-dieu vous peut garder sa foi:
Il me l'a confirmé cent fois en votre absence.

SCÈNE II.

ACHILLE, BRISÉIS, LYDIE.

ACHILLE, à Lydie.

Je le viens confirmer encore en sa présence.

BRISÉIS.

On vous croyoit, seigneur, par Ulysse occupé.

ACHILLE.

Pour vous voir un moment je me suis échappé.

LYDIE.

Je le vais arrêter, et veux que mon adresse Vous donne le loisir de voir votre princesse.

SCÈNE III.

ACHILLE, BRISÉIS.

ACHILLE.

Oui, madame, je prends tous les dieux pour
témoin
Que vous seule avez fait mes pensers et mes soins.
Je sais mal employer l'ordinaire langage
Des douceurs qu'à l'amour on donne en apanage;
Mais croyez, au défaut d'un entretien flatteur, [cœur.
Que ma bouche en dit moins qu'il n'en est dans mon

BRISÉIS.

Vous en dites assez, seigneur ; je suis contente,
Et n'osois me flatter d'une si douce attente.
Car que suis-je? Les Grecs m'ont ravi mes états:
Il ne m'est plus resté que mes foibles appas.
Ai-je droit de prétendre, esclave et malheureuse,
Que d'une ardeur constante, autant que généreuse,
Un prince tel que vous daigne me consoler,
Et qu'au titre d'épouse il veuille m'appeler?
Vos promesses, seigneur, et cet excès de gloire,
Font que je n'oserois en douter, ni le croire.

ACHILLE.

C'est me connoître mal, que d'en pouvoir douter.
Vos traits n'ont plus besoin de me solliciter;
Le seul devoir le fait. Je hais les cœurs frivoles:
Mes principales lois sont mes simples paroles.
Vous vous dites esclave; et de qui? d'un amant?
C'est moi qui suis lié par les nœuds du serment.
Reposez-vous sur eux, attendez sans alarmes :
J'aurai devant les yeux ces serments et vos charmes.
Mon choix sera sans doute approuvé par Thétis;
Mais son amour pour moi, l'honneur d'être son fils,
Mes états, vos conseils, votre intérêt, madame,
Arrêtent de mon cœur l'impatiente flamme.
J'ai voulu prévenir, par un hymen secret,
Un doute et des soupçons que je souffre à regret.
Vous avez refusé ces marques de mon zèle;
L'hymen vous est suspect sans pompe solennelle;
J'y consens: nous verrons vos parents et les miens;
Je reprendrai des Grecs vos états et vos biens;
Ce fer m'en est garant.

BRISÉIS.

Ah! seigneur, que la Grèce Possède en paix mes biens, qu'elle en soit la maîtresse; Je n'en estime qu'un; vous l'allez hasarder: Vous disposez de vous, sans me le demander. Je vous plais sans états, qu'importe d'être reine?

ACHILLE.

Vous l'êtes; plaire ainsi, c'est être souveraine.
La beauté, dont les traits même aux dieux sont si doux,
Est quelque chose encor de plus puissant que nous.
Tout vous doit assurer de ma persévérance;
N'allez point d'un hymen corrompre l'espérance.
Que si vous ne pouvez vous vaincre là-dessus,
Dès demain...

BRISÉIS. Non, seigneur.

ACHILLE.

Je ne vous presse plus: Attendons; mais tâchez au moins d'être tranquille.

BRISÉIS.

Est-ce une chose, hélas! à nos cœurs si facile?

ACHILLE.

Vous-même, vous voulez qu'on diffère ce jour.
BRISÉIS.

Seigneur, ne cherchez point de raison dans l'amour.
J'en dis trop; cet aveu vous déplaira peut-être.
Mais quoi! j'ai beau rougir,mon cœur n'est plus le maître.
Ce que l'on sent pour vous ne se peut étouffer;
Achille ne sauroit à demi triompher.
Souffrez qu'après ces mots Briséis se retire...
Ne vous lassez-vous point de les entendre dire?
SMa rougeur me confond: je sors donc; aussi bien
Ulysse va venir, et je ne craindrois rien !
Résistez à son art, opposez-lui ma flamme;
Opposez-lui du moins la fierté de votre ame.
Que vous importe-t-il qu'on venge Ménélas?
Songez à vos parents, à vos destins, hélas !

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N'appelez point foiblesse un tribut légitime.
Vous vous justifiez! aimer donc est-ce un crime?
Seigneur, vous me semblez toujours fils de Thétis.
Loin les cœurs qui se sont de l'amour garantis,
S'il en est. Quoi! les dieux vous serviront d'exemples,
La beauté dans l'Olympe aura trouvé des temples,
Et vous serez honteux de lui sacrifier!
C'est bien plutôt matière à se justifier.

Votre princesse a tout, je vois tout dans la mienne;
Et soit que de leurs traits mon esprit s'entretienne,
Soit qu'il regarde aussi leur amour, leur vertu
(Car l'un n'est point par l'autre en leurs cœurs combattu),
J'en prise la conquête: une telle victoire

Ne rend point votre cœur infidèle à la gloire.

ACHILLE.

Voici d'autres combats qui me sont apprêtés... De quel air vient à nous le chef des députés? Vois son port, ses regards!

PATROCLE.

Tout parle dans Ulysse. Ajax le suit. Que l'un découvre d'artifice! L'autre agit sans détours.

SCÈNE V.

ULYSSE, AJAX, ACHILLE.

ULYSSE.

Vous me voyez, seigneur, Plus encor comme ami que comme ambassadeur. Vons souvient-il des lieux où sous un mol ombrage On faisoit, malgré vous, languir votre courage? De nymphes entouré, vous perdiez vos beaux jours; Thétis d'un vain danger laissoit passer le cours. Je vous vis; j'approchai sous un habit de femme : De l'amour des hauts faits je vous enflammai l'ame. On vous y vit courir: ce fut par mon moyen. Je ne viens point ici vous reprocher ce bien: Je ne viens que vous rendre, avec dons, la princesse, Au nom du fier Atride et de toute la Grèce. Ne laisserez-vous point fléchir votre courroux? Faut-il que nos transports durent autant que nous? Jusqu'au départ, du moins, suspendez vos querelles. Songez que d'actions mémorables et belles Vous perdez; car chez vous vaincre et combattre est un. Vous n'êtes pas de ceux qui n'ont qu'un sort commun: Contents pour le remplir d'une seule victoire, Par le devoir, sans plus, ils marchent à la gloire.

Le monde attend de vous de plus puissants efforts.
Si vous ne voulez pas séjourner chez les morts,
Par de nouveaux dangers distinguez-vous des hommes.
Hector en a semé la carrière où nous sommes.
Nous ne les cherchons plus, ils nous viennent trouver.
Ilion, qui bornoit ses vœux à se sauver,
S'est rendu l'attaquant: cette superbe ville
Prétend brûler nos nefs en présence d'Achille.
Vous verrez vos amis sur la terre étendus,

Les dieux troyens vainqueurs, les dieux grecs confondus,
Cette Troie à son tour plaignant notre misère.
Voilà, voilà, seigneur, des sujets de colère.

ACHILLE.

Vous n'êtes pas réduits encore à cet état.

ULYSSE.

Et le faut-il attendre? Est-il de potentat,
De simple Grec qui pût se plaire en sa patrie,
Voyant de notre nom la gloire ainsi flétrie?

ACHILLE.

Si l'intérêt des Grecs est d'employer mon bras,
Pourquoi d'Agamemnon ne se plaignent-ils pas?
Quand ce chef a payé de mépris leurs services,
N'ai-je pas condamné tout haut ses injustices?
Princes, je ne sais point trahir mes sentiments:
Rappelez dans vos cœurs ses mauvais traitements,
Vous verrez que chacun a sujet de se plaindre.
Endurez, j'y consens; rien ne doit vous contraindre :
Je vous laisse venger le foible Ménélas.
En servant toutefois ces deux frères ingrats,
Est-il, princes, est-il de Grec qui se dût taire?
J'ai fait éclat pour tous; je veux encor le faire.

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Je saurai m'excepter de cette obscure vie,
Et veux vaincre ou mourir aux champs de la Phrygie:
Moi vivant, un berger ne sera point chez soi
Tranquille possesseur de l'épouse d'un roi.
J'aurai des compagnons à punir cet outrage;
Vous verrez plus d'un chef tenir même langage.
D'un même esprit que tous, seigneur, soyez porté :
Nous nous sommes ligués contre cette cité;

Si quelque Grec se plaint, qu'on remette la peine
A des temps où les dieux auront fait rendre Hélène.

Vous les aurez alors contre vos ennemis ;
Et, si vous me mettez au rang de vos amis,
Si vous trouvez qu'Ajax ait assez de vaillance,
Moi-même je vous veux aider dans la vengeance :
Aidez-nous dans ce siége, appuyez nos efforts.
Ces murs pris ou laissés, les miens et moi, pour lors
Nous vous servirons tous contre un prince coupable.

ACHILLE.

Le fier Agamemnon n'est pas si redoutable :

Mon bras y suffira, comme il a cru le sien
Capable de dompter sans moi le mur troyen.
Votre offre cependant, seigneur, doit me confondre.

AJAX.

Ce n'est pas encor là comme il faut nous répondre. Nous verra-t-on venger un tel affront sans vous?

ACHILLE.

Sans moi! qui touche-t-il qu'un malheureux époux?
L'union n'étoit pas si grande en nos provinces
Que nous dussions tous suivre en esclaves ces princes.

AJAX.

En esclaves! nous, rois! dites en compagnons.
Tenons-nous de leurs mains les lieux où nous régnons?
Le sang d'Atrée a-t-il du pouvoir sur le nôtre?
Sommes-nous dépendants, vous ni moi, d'aucun autre?
Ulysse voudroit-il qu'on dit qu'étant forcé
Il a de ses pareils l'intérêt embrassé ?
Non sans doute.

ULYSSE.

Il falloit venger nos diadèmes. L'affront fait à ces rois retomboit sur nous-mêmes: J'entrai dans leur parti de mon pur mouvement; Rien ne m'y contraignit qu'un juste sentiment. Cette même raison vous donna même envie : Est-elle autre aujourd'hui que dix ans l'ont suivie? Nous nous sommes enfin à poursuivre engagés; Laisserons-nous des murs si long-temps assiégés? Des murs qui pour jamais aux princes de la Grèce Seroient un monument de honte et de foiblesse ?

AJAX.

Après dix ans d'assauts, s'il nous les faut quitter, Quels peuples ne viendront chez nous nous insulter?

ACHILLE.

Quand j'ai lieu de me plaindre on ne me convainc guè-
Ce que vous alléguez en faveur de ces frères, [res.
L'un d'eux, à mon égard, le détruit aujourd'hui:
Je veux bien vous payer de raisons, et non lui.
ULYSSE, à Ajax.
Seigneur, laissons à part les disputes frivoles...
(à Achille.)
Et vous,
fils de Thétis, écoutez mes paroles.
Vous croyez que ce chef pour unique raison
N'a que de réparer l'honneur de sa maison;
Qu'aussitôt contre vous il reprendra la haine?
Vous en allez juger par ce qui nous amène.
Rempli des qualités qui vous font estimer,
Ce prince recommence encore à vous aimer.
Il ne tiendra qu'à vous d'unir vos deux familles :
Nous vous offrons l'hymen de l'une de ses filles.
Toutes ont des appas: il vous promet le choix,
Et pour dot sept cités, dignes d'autant de rois;
Cardamyle, la moindre, abonde en pâturages.

ACHILLE.

D'autres seroient flattés par de tels avantages;
Pour moi je les méprise, et je ne veux le nom
D'ami, ni d'allié du fier Agamemnon.
Qu'il garde ses cités, ses présents, et sa fille :
On ne me verra point entrer dans sa famille;
Non même s'il m'offroit sept empires divers,
Non quand on m'offriroit en dot tout l'univers.

AJAX.

Vit-on jamais colère à la vôtre pareille?

ULYSSE.

Pensez-y, croyez-nous; que la nuit vous conseille.

ACHILLE.

Le conseil en est pris.

AJAX.

L'est-il? Nous vous laissons.

ULYSSE.

Peut-être Briséis appuîra nos raisons,
Et sur le cœur d'Achille étant toute puissante,
Du respect de nos chefs sera reconnoissante.

ACTE SECOND.

SCÈNE PREMIÈRE.

ACHILLE, PHOENIX, ARBATE.

PHOENIX.

Dois-je croire, seigneur, qu'Ulysse ait vainement
Essayé d'adoucir votre ressentiment?
On dit plus: vous partez, votre flotte nous quitte.
Les Grecs n'ont, après tout, rien fait qui le mérite.
Mais vos amis, mais moi; car Phoenix en ceci
Prétend avoir à part ses intérêts aussi.
Je vous ai dans mes bras porté dès votre enfance.
Quand vous eûtes passé ce temps plein d'innocence,
Une jeunesse ardente exigeoit d'autres soins;
Je les pris avec fruit: vos faits en sont témoins.
Le succès de ces soins devoit, en récompense,
Donner à mes conseils chez vous plus de créance;
C'est le prix que j'en veux. Peut-être vous croyez
Par quelque amour pour moi me les avoir payés.
Il est vrai, vous m'aimiez pendant votre jeune âge:
Aujourd'hui j'en demande un nouveau témoignage.
Ceux que
vous m'en donniez, quand d'un air gracienx,
Enfant, vous ne tourniez que sur moi seul vos yeux;
Ceux que j'en recevois, lorsque votre jeunesse,
En ne me cachant rien, me combloit d'alégresse,
Ne me suffisent pas aujourd'hui que je voi
De ce fatal courroux les Grecs se prendre à moi.
Que ne lui donnoit-il une humeur moins farouche?»
Voilà ce que l'on dit d'une commune bouche;
Et de tous les malheurs prêts à tomber sur nous,
C'est votre gouverneur qu'on accuse, et non vous.

ACHILLE.

Je n'ai point oublié vos soins et votre zèle:
J'en conserve dans l'ame un souvenir fidèle;
Mais ne prétendez pas que, contre mon honneur,
L'amour que j'ai pour vous me fléchisse le cœur.
Si vous en attendiez de pareils témoignages,
Vous deviez m'enseigner à souffrir les outrages.
L'avez-vous fait?

PHOENIX.

Seigneur, j'ai fait ce que j'ai dû; Et vous n'avez que trop à mes vœux répondu. J'approuve la fierté; mais enfin, les injures Se peuvent réparer : elles ont leurs mesures.

ACHILLE.

Un cœur comme le mien ne leur en peut donner.

PHOENIX.

Il le doit: la grandeur consiste à pardonner;
Jamais ce sentiment n'a de gloire flétrie.
Je ne vous voulois point alléguer la patrie,
Me flattant d'un crédit que je devrois avoir,
Et voulant sur votre ame éprouver mon pouvoir;
Je dédaignois aussi les adresses d'Ulysse.
Honteux qu'il nous fallût employer l'artifice,
Sans ce secours les Grecs vous parlent par ma voix :
Nous venons, disent-ils, implorer vos exploits,
Seigneur ; ils nous sont dus, et nos propres exemples
Ont accru la valeur qui vous promet des temples. »

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On me met du public l'intérêt spécieux :
Comme si Sparte étoit la Grèce tout entière!
Les lieux où Ménélas a reçu la lumière,
Ceux encore où l'on voit ses frères obéis,
Ont eu part à l'outrage, et non point mon pays.
Cependant, j'accourus pour eux à cette guerre;
Pour eux je vins chercher la mort en cette terre.
Je n'avois nul sujet de haïr les Troyens :
Pâris m'a-t-il ravi mes amours, ou mes biens?
Agamemnon l'a fait; c'est Argos, c'est Mycène,
Qui devroient ressentir les effets de ma haine.
Laissons-les: leur monarque est encor trop heureux
Que je n'apporte ici nul obstacle à ses vœux.

A l'entour de ces murs je vous laisse combattre ;
Les dieux les ont bâtis, nous voulons les abattre.

PHOENIX.

Ces mêmes dieux les ont à périr condamnés.
Et puis, cette raison qu'à tort vous me donnez,
S'il faut vous en parler sans que l'on dissimule,
Dans le cœur des humains jette peu de scrupule.
Enfin, quand ces raisons ne vous pourroient toucher,
Songez au long repos qu'on peut vous reprocher.
Lorsque chacun de nous à l'envi se signale,
Que les soldats ont même une ardeur sans égale,
Achille est dans sa tente, et donne à Briséis
Les moments qu'il devroit donner à son pays.

ACHILLE.

Phoenix, je vous arrête; on sait quel est Achille.
Qu'il aime, et qu'en sa tente il demeure tranquille,
Tout est égal; j'ai trop établi mon renom:
Je l'étendrai plus loin. Je veux qu'Agamemnon
Me satisfasse enfin, non point par des paroles;
Ses excuses, ses dons, ses offres, sont frivoles.
Aussitôt qu'Ilion sera pris ou laissé,
Il verra ce que c'est de m'avoir offensé.

Que tous vos chefs unis embrassent sa défense,
J'en ferai d'autant plus éclater ma vengeance.
Quiconque entreprendra d'entrer dans nos débats
Attirera sur soi ma colère et mon bras.

PHOENIX.

Qu'entends-je? à quel excès monte votre colère!
Vous attaquez la Grèce, une seconde mère!...
O destins! quels forfaits ont mérité ces maux?
Nous rejetterez-vous en d'éternels travaux?...
Bienheureux Ilion, nous te portons envie!
Je ne vois point les tiens déchirer leur patrie.
Puisse Phoenix mourir dès qu'on t'aura vaincu!...
Après ce que j'entends, seigneur, j'ai trop vécu.
Je m'en retourne au camp.

ACHILLE.

Quoi! sitôt? Ah, mon père! Avez-vous en horreur un fils qui vous révère? Je pars demain; venez honorer notre cour... Accordez-moi, du moins, le reste de ce jour. A l'entour de ces murs tout est calme et tranquille; Je n'entends aucun bruit au camp, ni dans la ville: L'aurore est avancée; Hector eût pris ce temps, S'il eût voulu sortir avec ses combattants. Aux fatigues de Mars donnez quelque relâche : Demain vous reprendrez cette pénible tâche... Mais que nous veut Patrocle? Il accourt...

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Dis-moi, me plains-je à tort? L'enlèvement d'Hélène
Occupe jusqu'aux dieux; après dix ans de peine,
Celui de Briséis est encore à venger.
Maintiendrai-je un parti qui me laisse outrager?
Non. Phoenix toutefois m'a touché, je l'avoue;
Mais que faire? Un démon de nos pensers se joue.
Contre les Phrygiens j'employois mes efforts;
Les dieux ont dans mon cœur jeté d'autres transports:
Car, après tout, j'exerce un courroux légitime.
La plupart de nos chefs ont beau m'en faire un crime;
L'affront dont leur parti veut être satisfait
Importe beaucoup moins que le tort qu'on m'a fait.
Qu'ils achèvent sans moi l'entreprise de Troie :
Tant qu'ils soient sur le point de devenir sa proie,
Qu'Agamemnon l'avoue, et qu'Ilion ait mis
Dans le dernier malheur mes derniers ennemis,
F.n présence des dieux je le proteste encore,
Mon bras refusera le secours qu'on implore.
Allons dans nos états attendre ce moment;
Nous serons aujourd'hui spectateurs seulement.

PATROCLE.

Vous le pouvez, ces champs sout pleins de vost
os trophées:
Il n'est point d'actions qui n'en soient étouffées.
Pour moi, me siéroit-il de n'être que témoin
D'un combat dont je sais que ma gloire a besoin ?
Je n'ai point assez fait; mon cœur doit se le dire.
Ce n'est pas que Patrocle aux premiers rangs aspire;
Toutefois... Mais que sert enfin de souhaiter?
Pour survivre à soi-même, il faut exécuter.
Des ombres du commun le favori d'Achille,
Confondu chez les morts, suivroit la tourbe vile!
Permettez-lui, seigneur, de se rendre aujourd'hui
Digne de l'amitié que vous avez pour lui.

ACHILLE.

Va, ton projet est beau: non que ta renommée
Parmi les nations ne soit déjà semée;
Tu peux dès à présent ne mourir qu'à demi:
Je me fais un honneur de t'avoir pour ami.
Suis pourtant ton dessein: je te loue, et moi-même
Je me dois applaudir du choix de ce que j'aime.
Patrocle et Briséis consolent mes chagrins:
Veuillent les dieux unir quelque jour nos destins!
Cependant, songe à toi dans cette âpre carrière:
Je ne suis pas le seul qui t'en fais la prière;
Tes jours touchent encor d'autres cœurs que le mien :
Reviens victorieux du combat; mais revien.

PATROCLE.

Le sort en est le maître, il faut le laisser faire. Qu'on soit dans les combats prudent ou téméraire, On tombe également; et souvent le danger

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