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Admire ce palais bâti non pour des hommes,
Mais apparemment pour des dieux;
Appartements dorés, meubles très précieux,
Jardins et bois délicieux:

On auroit peine à voir, en ce siècle où nous sommes,
Chose si magnifique et si riante aux yeux.

Toutes les portes sont ouvertes;

Les chambres sans hôte et désertes;
Pas une ame en ce louvre; excepté qu'à la fin
Un More très lippu, très hideux, très vilain,
S'offre aux regards du juge, et semble la copie
D'un Ésope d'Éthiopie.

Notre magistrat l'ayant pris
Pour le balayeur du logis,

Et croyant l'honorer lui donnant cet office:
Cher ami, lui dit-il, apprends-nous à quel dieu
Appartient un tel édifice;

Car de dire un roi, c'est trop peu.
Il est à moi, reprit le More.

Notre juge, à ces mots, se prosterne, l'adore,
Lui demande pardon de sa témérité.
Seigneur, ajouta-t-il, que votre déité

Excuse un peu mon ignorance.
Certes, tout l'univers ne vaut pas la chevance
Que je rencontre ici. Le More lui répond:
Veux-tu que je t'en fasse un don?

De ces lieux enchantés je te rendrai le maître
A certaine condition.

Je ne ris point; tu pourras être

De ces lieux absolu seigneur,

Que je vois ainsi déguisé? Anselme! il ne se peut; mon œil s'est abusé. Le vertueux Anselme à la sage cervelle Me voudroit-il donner une telle leçon? C'est lui pourtant. Ho! ho! monsieur notre barbon, Notre législateur, notre homme d'ambassade, Vous êtes à cet âge homme de mascarade! Homme de... la pudeur me défend d'achever. Quoi! vous jugez les gens à mort pour mon affaire, Vous qu'Argie a pensé trouver

En un fort plaisant adultère !

Du moins n'ai-je pas pris un More pour galant:
Tout me rend excusable, Atis et son mérite,
Et la qualité du présent.

Vous verrez tout incontinent

Si femme qu'un tel don à l'amour sollicite,
Peut résister un seul moment.

More, devenez chien. Tout aussitôt le More
Redevint petit chien encore.

Favori, que l'on danse. A ces mots, Favori
Danse et tend la pate au mari.

Qu'on fasse tomber des pistoles.
Pistoles tombent à foison.

Hé bien, qu'en dites-vous? sont-ce choses frivoles?
C'est de ce chien qu'on m'a fait don.

Il a bâti cette maison.

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Si tu me veux servir deux jours d'enfant d'honneur. Surtout quand le donneur est bien fait et qu'il aime,

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Et qu'il mérite d'être aimé.

En échange du chien, l'on me vouloit moi-même :
Ce que vous possédez de trop, je l'ai donné,
Bien entendu, monsieur; suis-je chose si chère?
Vraiment vous me croiriez bien pauvre ménagère
Si je laissois aller tel chien à ce prix-là.
Savez-vous qu'il a fait le louvre que voilà ?
Le louvre pour lequel... Mais oublions cela,
Et n'ordonnez plus qu'on me tue,
Moi qu'Atis seulement en ses lacs a fait choir :
Je le donne à Lucrèce, et voudrois bien la voir
Des mêmes armes combattue.

Ah, seigneur! vous raillez, c'est chose par trop sûre: Touchez là, mon mari; la paix : car aussi bien Regardez la vieillesse et la magistrature.

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Je vous défie, ayant ce chien:

Le fer ni le poison pour moi ne sont à craindre;

Il m'avertit de tout; il confond les jaloux,

Ne le soyez donc point: plus on veut nous contraindre,
Moins on doit s'assurer de nous.

Anselme accorda tout: qu'eût fait le pauvre sire?
On lui promit de ne pas dire
Qu'il avoit été page. Un tel cas étant tu,
Cocuage, s'il eût voulu,

Auroit eu ses franches coudées.
Argie en rendit grace; et, compensations
D'une et d'autre part accordées,
On quitta la campagne à ces conditions.

Que devint le palais? dira quelque critique.
Le palais? que m'importe? il devint ce qu'il put.
A moi ces questions! suis-je homme qui se pique
D'être si régulier? Le palais disparut.

Et le chien? Le chien fit ce que l'amant voulut.
Mais que voulut l'amant? Censeur, tu m'importunes:
Il voulut par ce chien tenter d'autres fortunes.
D'une seule conquête est-on jamais content?
Favori se perdoit souvent:

Mais chez sa première maîtresse

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Quoi! c'est ainsi qu'on donne de l'esprit? Et vraiment oui, repart sa révérence; Puis il lui met la main sur le téton. Encore ainsi? Vraiment oui: comment donc? La belle prend le tout en patience. Il suit sa pointe, et d'encor en encor Toujours l'esprit s'insinue et s'avance, Tant et si bien qu'il arrive à bon port. Lise rioit du succès de la chose. Bonaventure, à six moments de là, Donne d'esprit une seconde dose. Ce ne fut tout, une autre succéda; La charité du beau père était grande. Hé bien, dit-il, que vous semble du jeu? A nous venir l'esprit tarde bien peu, Reprit la belle. Et puis elle demande : Mais s'il s'en va? S'il s'en va, nous verrons; D'autres secrets se mettent en usage. N'en cherchez point, dit Lise, davantage; De celui-ci nous nous contenterons. Soit fait, dit-il; nous recommencerons, Au pis aller, tant et tant qu'il suffise. Le pis aller sembla le mieux à Lise. Le secret même encor se répéta Par le PATER: il aimoit cette danse. Lise lui fait une humble révérence, Et s'en retourne en songeant à cela.

Lise songer! Quoi! déjà Lise songe!
Elle fait plus, elle cherche un mensonge,
Se doutant bien qu'on lui demanderoit,
Sans y manquer, d'où ce retard venoit.
Deux jours après, sa compagne Nanette
S'en vient la voir : pendant leur entretien
Lise rêvoit. Nanette comprit bien,
Comme elle étoit clairvoyante et finette,
Que Lise alors ne rêvoit pas pour rien.
Elle fait tant, tourne tant son amie,
Que celle-ci lui déclare le tout:
L'autre n'étoit à l'ouïr endormie.
Sans rien cacher, Lise de bout en bout,
De point en point, lui conte le mystère,
Dimensions de l'esprit du beau père,
Et les encore, enfin tout le phœbé.

grace,

Mais vous, dit-elle, apprenez-nous, de
Quand et par qui l'esprit vous fut donné.
Anne reprit : Puisqu'il faut que je fasse
Un libre aveu, c'est votre frère Alain
Qui m'a donné de l'esprit un matin.
Mon frère Alain! Alain! s'écria Lise,
Alain mon frère! ah! je suis bien surprise;
Il n'en a point, comme en donneroit-il?
Sotte, dit l'autre, hélas! tu n'en sais guère:
Apprends de moi que pour pareille affaire
Il n'est besoin que l'on soit si subtil.
Ne me crois-tu? sache-le de ta mère;
Elle est experte au fait dont il s'agit:
Sur ce point-là l'on t'aura bientôt dit:
Vivent les sots pour donner de l'esprit !

...............mmmmmmmmmmmmmmmmmmm

II. L'ABBESSE MALADE.

L'exemple sert, l'exemple nuit aussi.
Lequel des deux doit l'emporter ici?
Ce n'est mon fait : l'un dira que l'abbesse

En usa bien, l'autre au contraire mal,
Selon les gens: bien ou mal, je ne laisse
D'avoir mon compte, et montre en général,
Par ce que fit tout un troupeau de nonnes,
Que brebis sont la plupart des personnes :
Qu'il en passe une, il en passera cent;
Tant sur les gens est l'exemple puissant!
Agnès passa, puis autre sœur, puis une;
Tant qu'à passer s'entre-pressant chacune
On vit enfin celle qui les gardoit
Passer aussi : c'est en gros tout le conte.
Voici comment en détail on le conte.

Certaine abbesse un certain mal avoit,
Pâles couleurs nommé parmi les filles;
Mal dangereux, et qui des plus gentilles
Détruit l'éclat, fait languir les attraits.
Notre malade avoit la face blême
Tout justement comme un saint de carême;
Bonne d'ailleurs, et gente, à cela près.
La faculté sur ce point consultée,
Après avoir la chose examinée,

Dit que

bientôt madame tomberoit
En fièvre lente, et puis qu'elle mourroit.
Force sera que cette humeur la mange,
A moins que de.... (l'à moins est bien étrange),
A moins enfin qu'elle n'ait à souhait
Compagnie d'homme. Hippocrate ne fait
Choix de ses mots, et tant tourner ne sait.
Jésus! reprit toute scandalisée

Madame abbesse: Eh! que dites-vous là?
Fi! Nous disons, repartit à cela
La faculté, que pour chose assurée
Vous en mourrez, à moins d'un bon galant:
Bon le faut-il, c'est un point important;
Et, si bon n'est, deux en prendrez, madame.
Ce fut bien pis: non pas que dans son ame
Ce bon ne fût par elle souhaité;
Mais le moyen que sa communauté
Lui vînt sans peine approuver telle chose?
Honte souvent est de dommage cause.
Sœur Agnès dit: Madame, croyez-les;
Un tel remède est chose bien mauvaise,
S'il a le goût méchant à beaucoup près
Comme la mort. Vous faites cent secrets;
Faut-il qu'un seul vous choque et vous déplaise?
Vous en parlez, Agnès, bien à votre aise,
Reprit l'abbesse: or çà, par votre Dieu,
Le feriez-vous? mettez-vous en mon lieu.
Oui-da, madame; et dis bien davantage :
Votre santé m'est chère jusque-là
Que, s'il falloit pour vous souffrir cela,
Je ne voudrois que dans ce témoignage
D'affection pas une de céans

Me devançât. Mille remercîments
A sœur Agnès donnés par son abbesse.
La faculté dit adieu là-dessus,
Et protesta de ne revenir plus.

Tout le couvent se trouvoit en tristesse,
Quand sœur Agnès, qui n'étoit de ce lieu
La moins sensée, au reste bonne lame,
Dit à ses sœurs : Tout ce qui tient madame
Est seulement belle honte de Dieu :
Par charité n'en est-il point quelqu'une
Pour lui montrer l'exemple et le chemin?
Cet avis fut approuvé de chacune;

On l'applaudit, il court de main en main.

Pas une n'est qui montre en ce dessein
De la froideur, soit nonne, soit nonnette,
Mère prieure, ancienne, ou discrète.
Le billet trotte; on fait venir des gens
De toute guise, et des noirs et des blancs,
Et des tannés. L'escadron, dit l'histoire,
Ne fut petit, ni, comme l'on peut croire,
Lent à montrer de sa part le chemin.
Ils ne cédoient à pas une nonnain
Dans le désir de faire que madame
Ne fût honteuse, ou bien n'eût dans son ame
Tel récipé, possible, à contre-cœur.
De ses brebis à peine la première

A fait le saut, qu'il suit une autre sœur;
Une troisième entre dans la carrière;
Nulle ne veut demeurer en arrière.
Presse se met pour n'être la dernière.
Que dirai plus? Enfin l'impression
Qu'avoit l'abbesse encontre ce remède,
Sage rendue, à tant d'exemples cède.
Un jouvenceau fait l'opération
Sur la malade. Elle redevient rose,
OEillet, aurore, et si quelque autre chose
De plus riant se peut imaginer.

O doux remède! ô remède à donner!
Remède ami de mainte créature,
Ami des gens, ami de la nature,
Ami de tout! point d'honneur excepté.
Point d'honneur est une autre maladie :
Dans ses écrits madame faculté

N'en parle point. Que de maux en la vie!

mmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmnı

III. DINDENAUT ET PANURGE.

Je le répète, et dis, vaille que vaille,
Le monde n'est que franche moutonnaille.
Du premier coup ne croyez que l'on aille
A ses périls le passage sonder;
On est long-temps à s'entre-regarder;
Les plus hardis ont-ils tenté l'affaire,
Le reste suit et fait ce qu'il doit faire.
Qu'un seul mouton se jette à la rivière,
Vous ne verrez nulle ame moutonnière
Rester au bord; tous se noiront à tas.
Maître François en conte un plaisant cas,
Ami lecteur, ne te déplaira pas,
Si, sursoyant ma principale histoire,
Je te remets cette chose en mémoire.

Panurge alloit l'oracle consulter;
Il naviguoit ayant dans sa cervelle
Je ne sais quoi qui vint l'inquiéter.
Dindenaut passe, et médaille l'appelle
De vrai cocu. Dindenaut dans sa nef

Menoit moutons. Vendez-m'en un? dit l'autre.
Voire, reprit Dindenaut, l'ami nôtre,
Penseriez-vous qu'on pût venir à chef
D'assez priser et vendre telle aumaille?
Panurge dit: Notre ami, coûte et vaille,
Vendez-m'en un pour or ou pour argent.
Un fut vendu : Panurge incontinent
Le jette en mer; et les autres de suivre.
Au diable l'un, à ce que dit le livre,
Qui demeura. Dindenaut au collet

Prend un belier, et le belier l'entraîne.
Adieu mon homme: il va boire au godet.
Or, revenons : ce prologue me mène
Un peu bien loin. J'ai posé dès l'abord
Que tout exemple est de force très grande,
Et ne me suis écarté par trop fort
En rapportant la moutonnière bande;
Car notre histoire est d'ouailles encor.

mmm

IV. LES TROQUEURS.

Le changement de mets réjouit l'homme :
Quand je dis l'homme, entendez qu'en ceci
La femme doit être comprise aussi :
Et ne sais pas comme il ne vient de Rome
Permission de troquer en hymen;
Non si souvent qu'on en auroit envie,
Mais tout au moins une fois en sa vie.
Peut-être un jour nous l'obtiendrons. Amen,
Ainsi soit-il! Semblable indult en France
Viendroit fort bien, j'en réponds; car nos gens
Sont grands troqueurs : Dieu nous créa changeants.

Près de Rouen, pays de sapience,
Deux villageois avoient chacun chez soi
Forte femelle et d'assez bon aloi.
Pour telles gens qui n'y raffinent guère,
Chacun sait bien qu'il n'est pas nécessaire
Qu'Amour les traite ainsi que des prélats.
Avint pourtant que, tous deux étant las
De leurs moitiés, leur voisin le notaire
Un jour de fête avec eux chopinoit.
Un des manants lui dit : Sire Oudinet,
J'ai dans l'esprit une plaisante affaire.
Vous avez fait sans doute en votre temps
Plusieurs contrats de diverse nature;

Ne peut-on point en faire un où les gens
Troquent de femme ainsi que de monture?
Notre pasteur a bien changé de cure:
La femme est-elle un cas si différent?
Et pargué non; car messire Grégoire
Disoit toujours, si j'ai bonne mémoire,
Mes brebis sont ma femme. Cependant
Il a changé : changeons aussi compère.
Très volontiers, reprit l'autre manant;
Mais tu sais bien que notre ménagère
Est la plus belle: or çà, sire Oudinet,
Sera-ce trop s'il donne son mulet
Pour le retour? Mon mulet? eh, parguenne!
Dit le premier des villageois susdits,
Chacune vaut en ce monde son prix;
La mienne ira but à but pour la tienne:
On ne regarde aux femmes de si près.
Point de retour, vois-tu, compère Étienne.
Mon mulet, c'est... c'est le roi des mulets.
Tn ne devrois me demander mon âne
Tant seulement : troc pour troc, touche là.
Sire Oudinet, raisonnant sur cela,
Dit: Il est vrai que Tiennette a sur Jeanne
De l'avantage, à ce qu'il semble aux gens;
Mais le meilleur de la bête, à mon sens,
N'est ce qu'on voit: femmes ont maintes choses
Que je préfère, et qui sont lettres closes;
Femmes aussi trompent assez souvent;
Jà ne les faut éplucher trop avant.
Or sus, voisins, faisons les choses nettes.

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