Page images
PDF
EPUB

hommes.

Nous avons là l'article défini, l'article proprement dit, qui marque l'extension du terme homme d'une manière précise.

Mais des est aussi pris partitivement, et est alors synonyme de quelques. Pas plus que quelques, il ne détérmine précisément l'extension d'un substantif: La vie a des plaisirs. Rien de plus indéterminé. Ce des partitif n'est donc pas un article défini. Si c'est un article, c'est un article indéfini, comme un. Il en est de même de son singulier du, de la : J'ai de la peine. j'ai du plaisir, c'est-à-dire quelque peine, quelque plaisir. Des partitif me semble être aussi quelquefois le pluriel de un : Avez-vous un livre? J'ai des livres. C'est comme votre anglais a, an, au singulier, some au pluriel: I HAVE A BOOK, I HAVE SOME BOOKS.

Disons donc que le substantif pris partitivement n'est pas déterminé par l'article proprement dit, mais par un, du, de la, des, quelque, quelques, etc., qui sont indéfinis, n'importe qu'on les appelle articles ou adjectifs.

Vous n'employez pas ce partitif, monsieur, devant les adjectifs? Non, mademoiselle. On dit: De vaines paroles, d'éloquents discours, de grandes actions. Cependant si l'adjectif et le substantif peuvent être considérés comme ne formant qu'un seul mot, il faut faire usage du partitif des: Des jeunes gens, des bons mots, des petits-maîtres.

Prenez garde, mesdames, que c'est le des partitif seulement qui disparaît devant l'adjectif, car le des article défini subsiste toujours.

"Notre mérite nous attire l'estime des honnêtes gens, et notre étoile celle du public.". LA ROCHEFOUCAULD, MAX

IME 165.

[ocr errors]

"Ceux qui s'appliquent trop aux petites choses deviennent ordinairement incapables des grandes." Id. MAXIME 41.

Avons-nous fini, mesdames?

[ocr errors]

Encore une question, mon

sieur dans les phrases négatives, vous supprimez l'article partitif ordinairement. Pourquoi ? Parce que la négation a pour effet de donner au substantif un sens vague, indéterminé.

"Si nous n'avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à en remarquer dans les autres." LA ROCHE

FOUCAULD, MAXIME 31.

Vous avez dit, monsieur, qu'on supprime l'article ordinaire ment dans les phrases négatives; on l'y trouve donc quelquefois.Oui, quand la négation n'empêche pas le substantif d'être déterminé, malgré la tournure négative de la phrase. Voici un exemple: Je ne veux pas vous donner à apprendre par cœur des séries de règles que vous ne comprenez pas; efforcez-vous uniquement de comprendre; le travail de mémoire se fera de lui-même. Vous voyez que je dis des séries dans cette phrase négative. — Oui, et nous savons que vous employez des, parce que vous particularisez ces séries de règles : ce sont des règles que nous ne comprenons pas, que nous nous efforçons de comprendre, que nous comprendrons, j'espère, et que nous retiendrons alors sans peine et sans travail de mémoire. Vous avez bien dit, madame. Adieu.

ce

des a
article plu
sont change

VIII.

DE L'ADJECTIF.

"C'EST un nom que l'on joint à un substantif pour le qualifier ou le déterminer." Adoptons cette définition de M. Littré. Donnez-moi des adjectifs, mesdames, et pour ne pas vous perdre dans le vague, attachez-les à Shakspeare.

Shakspeare est immortel. - Voilà un adjectif qualificatif. Le monde moderne n'a pas deux poëtes aussi grands que Shakspeare. Deux est-il un adjectif qualificatif? - Non, monsieur; c'est un adjectif numéral cardinal.

[ocr errors]

-

Shakspeare est le premier des poëtes tragiques, comme Homère est le premier des poëtes épiques. Voilà l'adjectif numéral ordinal. Mon professeur d'anglais admire Shakspeare autant que vous admirez les tragiques de la Grèce, et ceux de la France du XVII° siècle.- Mon, votre et notre sont des adjectifs possessifs. Avez-vous lu Hamlet, monsieur? Beaucoup. Aimez-vous cette tragédie? Oui. Cette est un adjectif démonstratif. Quelle tragédie de Shakspeare préférez-vous? - Hamlet. Quelle tragédie ? voilà l'adjectif interrogatif. Il y a un certain nombre de personnes qui mettent Macbeth au-dessus de Hamlet, et je connais plusieurs critiques qui ne parviennent pas à se décider entre ces deux chefs-d'œuvre. Certain et plusieurs sont des adjectifs indéfinis.

[ocr errors]
[ocr errors]

Continuez, mesdames. Nous ne connaissons que ces adjectifs-là. Il y en a encore un autre, c'est l'adjectif ver

[ocr errors]

bal; en voici deux exemples: La poésie de Shakspeare est émouvante dans les grands drames; elle est déchirante dans KING LEAR.

Combien d'espèces d'adjectifs avez-vous trouvées ? — Sept: l'adjectif qualificatif, le possessif, le démonstratif, l'interrogatif, l'indéfini, le numéral, qui se subdivise en numéral cardinal et numéral ordinal, et enfin l'adjectif verbal.

Arrêtons-nous pour le moment à l'adjectif qualificatif.

Comme le terme l'indique, l'adjectif qualificatif est celui qui attache à un nom certaines qualités, soit pour les lui accorder, soit pour les lui refuser: Shakspeare est immortel. Lord Bacon n'est pas auteur du théâtre de Shakspeare. Auteur n'est pas un adjectif, monsieur. - C'est un substantif, madame, mais les substantifs deviennent de véritables adjectifs quand ils qualifient, comme ici, un autre substantif. Si nous disons: Napoléon fut à la fois général et législateur, nous employons comme adjectifs, les deux substantifs général et législateur. Ce sont deux qualités que nous attribuons à l'empereur. Mais quand je dis: Napoléon est le général que j'admire le plus ? Dans ce cas général est un substantif, madame, car vous mettez Napoléon dans une classe, dans la classe des généraux, parmi lesquels vous le proclamez le, plus admirable. Ai-je aussi un substantif dans cette phrase: Napoléon est le plus grand des législateurs modernes, car il a fait le meilleur des codes civils? - Évidemment, et pour même raison. Et ici: Châteaubriand est poëte dans sa prose encore plus que Fénelon ? Ne voyez-vous pas que poëte est adjectif, puisque vous affirmez que Châteaubriand a cette qualité, malgré l'absence de la forme versifiée de ses écrits? Si, monsieur; je comprends la différence.

[ocr errors]
[ocr errors]

[ocr errors]

la

De même que les substantifs sont souvent traités comme adjectifs, ceux-ci peuvent devenir de véritables substantifs. Ce ne sont plus alors de simples qualités : nous en faisons des êtres, je veux dire des êtres métaphysiques. Vous savez que

nous rencontrons les êtres physiques dans la nature: l'homme, la rose, la pierre. C'est dans notre pensée que nous trouvons les êtres métaphysiques, la beauté, la grandeur, la justice, la générosité. Ces êtres n'existent donc pas, monsieur? Ils sont réalisés en Dieu, mademoiselle, car il est la beauté, la grandeur, la justice. - Et où est donc la laideur, la bassesse, etc.?. Ce sont des négations, elles n'existent pas hors de la pensée humaine. Il y a des choses laides et basses. doute, mais la laideur pleine, complète, éternelle en conséquence, n'existe pas. - Et Satan, monsieur? arrêtons-nous, et ne sortons pas de la grammaire. Du reste, ce n'est pas de la beauté, de la grandeur, etc., que nous avons à nous occuper, c'est des adjectifs-substantifs, le beau, etc.

Sans

Madame,

V. Cousin a écrit un livre intitulé: Le Vrai, le Beau, et le Bien. Voilà deux adjectifs pris substantivement. Sublime est un adjectif; il devient substantif dans cette phrase de d'Alembert: "Le sublime doit être dans le sentiment ou la pensée; et la simplicité dans l'expression."

[ocr errors]

Je demande à faire une question, monsieur. Je l'attends, madame. Ces substantifs-adjectifs, le vrai, le beau, le bon, le grand, le juste, sont-ils synonymes des substantifs abstraits, la vérité, la beauté, la bonté, la grandeur, la justice? - On les appelle synonymes. Quelle est la nuance qui sépare ces termes, car vous nous avez dit dans vos Causeries qu'il n'y a pas de synonymes rigoureusement? - C'est une grande question que vous posez, madame, et ce sujet m'a occupé beaucoup. J'ai vainement étudié les Synonymes de La Faye pour en trouver la solution, et en vain aussi je l'ai cherchée dans les articles de M. Littré sur tous ces mots. paraissent errer dans leur distinction. mettent le beau, le bon, etc., au-dessus de la beauté, de la bonté, etc. Ils disent que le bon cst l'idée abstraite de ce qui est bien, un type par conséquent, auquel nous comparons la bonté plus ou moins grande que nous trouvons dans les choses.

L'un et l'autre me Que disent-ils ? Ils

« PreviousContinue »