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N'est-ce pas le courtisan de Napoléon III qui parle ainsi de l'auteur de Napoléon le Petit? - Assurément, mais c'est aussi l'homme de bon sens et de goût.

"Vous ne me dites pas ce que devient cette charmante enfant qui vous intéresse tant. Faites en sorte, je vous prie, qu'elle ne soit pas sotte comme la plupart des femmes de ce temps-ci." P. Mérimée, LETTRES À UNE Inconnue, 235. "Chère amie, je suis charmé que vous vous soyez amusée.” Id. 307.

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"Adieu, chère amie; je regrette pour vous que vous ne retourniez pas à Rome cette année.”. .Id. 343.

"Je suis désolé que vous n'ayez pas attendu deux minutes. Vous n'avez pas voulu qu'on me prévînt, vous Vous êtes bornée à remettre mon livre, et vous appelez cela une visite à un malade.". - Id. 345.

"Quel malheur que l'esprit moderne soit si plat! Croyezvous qu'on l'ait jamais été autant ?”. - Id. 350.

P. Mérimée est misanthrope, monsieur. - C'est un malade, madame, qui dit durement la vérité.

"Dieu a permis, pour punir l'homme du péché originel, qu'il se fît un Dieu de son amour-propre, pour en être tourmenté dans toutes les actions de sa vie." LA ROCHEFOUCAULD, MAXIME 509.

Vous n'avez pas d'observation grammaticale à faire, mesdames, sur ces exemples? - Non, monsieur, mais j'ai lu dans Pascal une pensée qui m'embarrasse. Je suis curieux de la connaître. La voici :

"L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête." PASCAL, 125.

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Le verbe vouloir est certainement un verbe de sentiment

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la

ou de volonté.Oui, mais je vous dis encore que les mots ne sont rien; la pensée signifie: Le malheur est que mauvaise fortune a établi comme un fait que celui qui veut faire l'ange fait la bête. Le subjonctif serait ici un contreMerci, monsieur, je comprends; mais je n'ai pas fini de vous tourmenter avec le verbe vouloir.—Eh bien! madame. - Vous savez que j'ai tout noté dans mon exemplaire de l'admirable roman de La Petite Fadette. J'y lis cette phrase, qui ne vous permettra plus de dire que les mots ne sont rien:

sens.

"Comme Landry marchait la tête basse et les yeux fichés en terre, il sentit quelqu'un qui lui tapait l'épaule, et se retournant il vit la petite fille de la mère Fadet, qu'on appelait dans le pays la petite Fadette, autant pour ce que c'était son nom de famille que pour ce qu'on voulait qu'elle fût un peu sorcière." G. SAND, FADETTE, 65.

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Certes George Sand n'a ici vu que le mot voulait et a perdu de vue son idée qui est celle de prétendre. Ne devait-elle pas écrire: On prétendait, on soutenait, on disait, on voulait, que Fadette était sorcière?. C'est très-embarrassant, madame, et comme vous, je suis étonné que George Sand, si hardie et si sûre dans sa langue, n'ait pas cette fois méprisé le mot suivant son habitude, pour exprimer tout juste son idée. Cependant il y a peut-être ici une nuance de signification qui explique le subjonctif, outre le mot lui-même. Ces bonnes gens du village n'avaient dans l'esprit aucun raisonnement qui établit que Fadette fût sorcière; c'est le sentiment, la peur qui avait produit cette opinion qu'ils avaient de la noble fille. En voilà assez, mesdames. Adieu.

XXIV.

LE SUBJONCTIF (SUITE).

LA NÉGATION ET L'INTERROGATION.

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POURRIEZ-VOUS résumer, madame, ce que nous avons dit du subjonctif? Je pense que oui, monsieur. Vous avez d'abord établi qu'il y a toujours un élément négatif dans le subjonctif, que la conception de la réalité n'y est jamais présente. Il serait aussi exact de dire, n'est-ce pas, l'affirmation de la réalité ?-Oui; c'est peut-être plus simple. Nous avons ensuite examiné les conjonctions, les étudiant à la lumière de ce principe. C'est vrai. - Après, nous avons recherché quels sont les verbes qui gouvernent le subjonctif. Vous avez produit pour cette question une théorie qui distingue les verbes exprimant une simple perception, ceux qui expriment une pensée ou affirment purement un fait, et enfin ceux qui expriment un sentiment ou un acte de la volonté. Nous avons trouvé que les verbes de sentiment seuls régissent le subjonctif. Merci, madame.

Eh bien! ces verbes de sentiment gouvernent le subjonctif, parce qu'ils apportent toujours dans la phrase un élément négatif, ou une incertitude, ce qui revient au même. Car ne nous trompons pas sur cet élément négatif. Ce n'est pas une négation formelle; ce n'est qu'un élément de négation; il rend douteux ce qui est exprimé dans le second membre de la phrase; et c'est justement ce doute que le subjonctif exprime. Cette

explication est indispensable pour l'entretien que nous allons avoir. Une pure négation est aussi affirmative qu'une affirmation; elle ne tient rien en suspens, elle ne met pas sub jugo: Je ne dis pas que l'âme est matière, car j'ai la persuasion contraire. Je ne crois pas que Dieu est cruel. Ne sont-ce pas là des affirmations? Évidemment, monsieur. - Dès lors quand je nierai aussi affirmativement, je ne ferai pas usage du subjonctif; car, par exemple, je blasphémerais contre l'infinie Bonté, si je m'exprimais de la sorte: Je ne crois pas que Dieu soit cruel. N'admirez-vous pas, mesdames, cette fine nuance du subjonctif? Nous l'admirons.

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Nous voilà entrés dans le sujet de cet entretien, qui est de la plus haute importance. C'est la négation et l'interrogation qui apportent dans le discours le plus de subjonctifs. On peut même dire que la négation seule commande tous les subjonctifs, sans une seule exception. Il est bien entendu que je parle de cet élément négatif, tel que je l'ai expliqué. Je suis convaincu, mesdames, qu'aucun homme n'emploiera jamais le subjonctif partout où il le faut, avant qu'il soit arrivé à sentir cet élément négatif partout où il est. C'est là que réside précisément la difficulté et en même temps le charme, et c'est pour cela que nous ne pouvons matérialiser dans une règle grossière l'insaisissable raison de l'emploi de ce mode, dans les cas où il exprime les plus fines nuances de la pensée. Que faire donc, monsieur? Il faut le cultiver beaucoup, mesdames, et si vous me permettez de l'animer, je dirai que vous devez le fréquenter, vivre beaucoup avec lui, le toucher, le sentir dans les grands maîtres de la langue. Eux seuls ont la pensée assez précise, le sentiment assez sûr pour nous guider. En conséquence, mesdames, je vais vous mettre en présence de nombreux exemples, que nous nous efforcerons de comprendre. Je produirai indifféremment la phrase négative et la phrase interrogative, car elles fournissent le même élément au subjonctif.

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"Vous êtes des ignorants, tous tant que vous êtes! s'écria le Grec: est-ce que vous ne savez pas que le chaos est père de tout, et que la forme et la matière ont mis le monde dans l'état où il est ?"— Voltaire, xviii. 116.

Voilà une interrogation, mesdames, qui fait bien mentir la règle qui dit qu'on emploie le subjonctif après une interrogation. Pour vous, vous n'êtes pas étonnées de voir cet indicatif; vous savez bien que le subjonctif serait une faute ici. Certes, monsieur, il n'y a pas dans la phrase de Voltaire l'ombre d'un élément négatif. Non, madame, c'est la plus forte des affirmations. Celui qui parle est tellement sûr que la forme et la matière ont fait le monde, qu'il est étonné et révolté qu'il puisse y avoir des hommes qui ignorent cette origine des choses. Si vous lisez Voltaire, vous verrez que le Grec, un Égyptien, un Indien, un Celte et d'autres étrangers étaient réunis, et affirmaient tous la supériorité de la religion de leur pays respectif, avec une violence qui les mit presque aux mains. Le subjonctif ne pouvait pénétrer dans cette assemblée de gens qui ne savaient pas douter.

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J'ai lu le Zadig de Voltaire, monsieur, et j'ai précisément noté un subjonctif dans la scène dont vous parlez. Je vous prierai de nous l'expliquer. Donnez-le-nous, mademoiselle. -Un Égyptien, présent dans cette réunion, avait vu mourir sa tante en chemin et en avait fait une belle momie, Comme il allait manger d'une poule bouillie qui était sur la table:

"Qu'allez-vous faire, s'écria avec douleur un Indien, en le prenant par la main? Manger de cette poule! Gardezvous en bien; il se pourrait faire que l'âme de la défunte fût passée dans le corps de cette poule, et vous ne voudriez pas vous exposer à manger votre tante. Faire cuire des poules, c'est outrager manifestement la nature."— Voltaire, xviii, 114.

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