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séquent le participe se trouve invariable, étant sans autre régime que le verbe qui le suit.

Dans cette phrase, où est le verbe qui a que pour régime direct: Je lui ai rendu tous les honneurs que j'ai dû? Écrirez-vous dus avec une s? — Je ne pense pas qu'il faille mettre une s, monsieur. Pourquoi?. Parce que vous n'avez dû pas des honneurs, mais vous avez dû rendre des honneurs. - Ainsi que est le complément régime direct de rendre, et conséquemment dû reste invariable.

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De même: Vous lui avez rendu tous les services que vous avez pu. On sous-entend lui rendre, et c'est cet infinitif qui a que pour régime.

Encore: Il a obtenu du Président toutes les faveurs qu'il a voulu. Sous-entendez obtenir.

On dit cependant: Il m'a payé toutes les sommes qu'il m'a dues; Il veut fortement toutes les choses qu'il a une fois voulues. Dans ces deux phrases, il n'y a point de verbe sous-entendu. C'est pour cela que le participe s'accorde.

Encore un moment, mesdames, et nous aurons tout examiné. Vous n'aurez pas de peine à écrire la phrase suivante, si vous appliquez notre règle. "Cette femme est plus belle que je ne l'avais imaginé; elle est plus forte que je ne l'avais pensé, elle est plus intelligente que je ne l'avais cru. monsieur, que ces participes doivent être invariables.

Il me paraît,

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Qui

En effet, la femme n'est pas le régime direct de imaginé, cru, ou pensé; vous ne l'avez ni imaginée, ni crue, ni pensée, mais vous avez imaginé qu'elle était plus ou moins belle, forte, intelligente. Oui, madame; dans ces phrases le représente un neutre, c'est-à-dire cela, ou, si vous le préférez, tout un membre de phrase, ce qui est aussi neutre, je vous l'ai fait remarquer dans un de nos précédents entretiens. C'est pour ce motif que le participe est invariable. Au pluriel vous devez dire: Ces femmes sont plus belles que je ne l'avais imaginé, et non pas que je ne les avais imaginées. Car le sens est: que je

n'avais imaginé qu'elles l'étaient. C'est le, un neutre, et non pas les, qui doit remplacer ce membre de phrase, et comme conséquence le participe est invariable.

Vous reste-t-il un doute sur la question du participe, mesdames? Non, monsieur; votre règle unique explique tout,

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et nous paraît à cette heure claire comme le jour.

Nous commencerons demain la grande, longue, difficile, mais très-belle et très-intéressante étude du subjonctif.

Adieu, mesdames.

XXI.

LE SUBJONCTIF.

CETTE question est la plus grande et la plus difficile de notre langue, mesdames. Elle m'a occupé seule plus que toutes les autres règles de la grammaire. Pour me préparer à vous en parler, j'ai étudié des milliers de pages de nos maîtres et noté tout ce que j'y ai trouvé de remarquable. Cependant je n'ai pas la prétention de tout décider sur ce point. Une entière lumière ne vous sera pas donnée sur le subjonctif. Cela est impossible. Et est-ce désirable? Je ne le crois pas. L'entière lumière lui ôterait son grand charme. Ce serait matérialiser en quelque sorte cette nuance si délicate qui exprime la pensée de l'écrivain. Car c'est dans la pensée d'abord,) mesdames, que réside le subjonctif. Il y a des gens qui pensent sans subjonctif, sans nuance, grossièrement; leur langue est en conséquence privée du subjonctif, et commune, aussi bien que leur esprit. Les maîtres les plus grands peuvent seuls nous le présenter dans son véritable emploi et sa beauté. La lecture attentive d'un roman de George Sand vous édifiera mieux sur cette question que toutes les grammaires du monde.

Aussi je vous donnerai de très-nombreux exemples des grands écrivains. Souhaitons qu'ils nous pénètrent de leur esprit délicat et distingué. Conduits par eux, nous nous approcherons tous les jours davantage d'une solution, et tous les jours nous serons saisis davantage par le charme, l'irrésistible séduction de la poursuite. En effet, mesdames, le subjonc

tif est comme cette recherche de la vérité qui a fait dire à un philosophe allemand: Si Dieu se présentait à moi avec la vérité dans sa main droite et la recherche de la vérité dans sa main gauche, et qu'il me donnât à choisir, je prendrais la main gauche, car la recherche est l'occupation et l'attrait de notre esprit. C'est pour cela que nous refuserions aussi une solution entière sur le subjonctif, et que nous ne voudrions pas renoncer au plaisir de la poursuite.

Tout de suite, pour habituer votre oreille et préparer votre esprit, je vous lis des passages qui montrent l'usage du subjonctif.

"Nous voudrions trouver des honnêtes gens, parce que nous voudrions qu'on le fût à notre égard.” — MONTESQUuieu, 230. "Je suis presque aussi content avec des sots qu'avec des gens d'esprit car il y a peu d'hommes si ennuyeux qu'ils ne m'aient amusé; très-souvent il n'y a rien de si amusant qu'un homme ridicule.” — Id. 208.

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"Quand j'ai voyagé dans les pays étrangers, je m'y suis attaché comme au mien propre ; j'ai pris part à leur fortune, et j'aurais souhaité qu'ils fussent dans un état florissant." Id. 208.

"Ce qui m'a toujours donné une assez mauvaise opinion de moi, c'est qu'il y a fort peu d'états dans la république auxquels j'eusse été véritablement propre." Id. 209.

"Cicéron, selon moi, est un des plus grands esprits qui aient jamais été: l'âme toujours belle, lorsqu'elle n'était pas faible.” - Id. 216.

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"J'ai ouï dire au cardinal Imperiali: Il n'y a point d'homme que la fortune ne vienne visiter une fois dans sa vie; mais lorsqu'elle ne le trouve pas prêt à la recevoir, elle entre par la porte et sort par la fenêtre." - Id. 232.

"Sa femme, plus ménagère que docte, avait néanmoins pour la science le même respect que pour la religion. Il suffisait

que M. Obernay fût adonné à certaines études, pour qu'elle regardât ces occupations comme les plus importantes et les plus utiles qui pussent remplir la vie d'un homme de bien, et quand cet époux vénéré demandait un peu de sans-gêne et d'abandon autour de lui pour se reposer de ses travaux, elle s'ingéniait naïvement à lui complaire, persuadée qu'elle travaillait pour la plus grande gloire de Dieu dès qu'elle travaillait pour lui." G. SAND, VALVÈDRE, 7. VALvèdre,

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"Il est possible que vous soyez douce et bonne, mais vous n'avez jamais aimé.” - Id. 105.

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Que tu sois belle ou laide, Fanchon, dit Landry, en lui prenant la main, je crois comprendre déjà que ton amitié est une très-bonne chose, et si bonne que l'amour en est peut-être une mauvaise en comparaison.” — Id. PETITE FADETTE, 156.

"Entre toutes les différentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensées, il n'y en a qu'une qui soit la bonne." - LA BRUYÈRE, 118.

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“La même justesse d'esprit qui nous fait écrire de bonnes choses nous fait appréhender qu'elles ne le soient pas assez pour mériter d'être lues.”. - Id. 119.

"Il est moins rare de trouver de l'esprit que des gens qui se servent du leur, ou qui fassent valoir celui des autres et le mettent à quelque usage." Id. 152.

"Il semble que la nature, qui a si sagement disposé les organes de notre corps pour nous rendre heureux, nous ait aussi donné l'orgueil pour nous épargner la douleur de connaître nos imperfections."- LA ROCHEFOUCAULD, MAXIME 36.

"Il n'y a point de déguisement qui puisse longtemps cacher l'amour où il est, ni le feindre où il n'est pas.”- Id. MAXIME 61.

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"On n'a guère de défauts qui ne soient plus pardonnables que les dont on se sert pour les cacher." moyens IME 411.

- Id. MAX

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