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une furieuse bête est très-grande, elle est énorme. C'est ainsi qu'on dit familièrement: J'ai une furieuse soif, un furieux appétit, une furieuse envie de dormir.

Un homme plaisant plaît; il a des manières agréables, mais le plaisant homme est ridicule, bizarre, il déplaît.

Je pourrais ne pas m'arrêter, mesdames, mais en voilà assez pour vous aider à retenir le sens si différent des adjectifs, suivant qu'ils précèdent ou suivent le substantif. Il ne faut pas tout enseigner dans une grammaire; cela est impossible. Le point essentiel est de vous habituer à réfléchir, à raisonner, et à observer attentivement la pratique de la langue dans les grands livres. Nous traiterons demain du pronom. Adieu.

X.

LES ADJECTIFS ET LES PRONOMS.

Il faut les distinguer, et pour cela je vais les appeler devant vous tous ensemble.

Non.

Vous n'avez pas oublié la définition de l'adjectif? - Voici celle du pronom, telle que la donne M. Littré. "C'est un mot qui désigne les êtres par l'idée d'une relation à l'acte de la parole, par opposition aux noms qui désignent les êtres par l'idée de leur nature. Dans ce sens il n'y a de vrais pronoms que les pronoms personnels je, tu, il, se, et les pronoms démonstratifs celui, celle."

Il y a d'autres pronoms, d'autres vrais pronoms: vous le comprendrez après notre étude.

Cette définition n'est pas assez simple, pas très-claire, et trop longue. Je préfère dire que le pronom est un mot qui tient la place d'un nom. Il n'a par lui-même aucune signification, mais il remplace un nom avec toute la signification qu'a ce nom. Je parle de Hamlet: Il est fou. Mon pronom il représente Hamlet absolument, ni plus ni moins. Il et Hamlet c'est la même chose: cette synonymie est parfaite.

L'adjectif ne remplace pas, il accompagne. C'est sa fonction d'accompagner. Donc tout mot que vous mettez à côté d'un substantif pour l'accompagner, et aussi le déterminer, ne peut être un pronom. Ce n'est pas un substituant, c'est un compagnon. Cette explication sera claire pour vous, mes

dames, quand nous aurons passé en revue les adjectifs et les pronoms.

Vous connaissez l'adjectif qualificatif, grand, petit, qui accompagne le nom pour le qualifier? — Oui.

L'adjectif numéral, un, deux, premier, deuxième, accompagne le nom pour le déterminer quant au nombre: deux volumes, le premier volume. Cet adjectif n'accompagne pas toujours, monsieur: Je suis première. Pardon, il accompagne je, qui est le synonyme parfait d'un nom. Je est la même personne que vous, madame, dans cette phrase.. si je dis: C'est aujourd'hui le cinq?- Eh bien! cinq est pour cinquième et accompagne jour, qui est sous-entendu. - C'est vrai.

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Et

Le premier pronom que je vous signale est le pronom personnel: je, tu, il, elle, etc., me, te, le, etc. Il remplace les personnes, celle qui parle, celle à qui l'on parle, ou celle de qui l'on parle : J'aime la grammaire, vous l'aimez aussi, mesdames, et elle mérite notre amour. Efforçons-nous de la comprendre. Vous reconnaissez, n'est-ce pas, que ces six mots je, vous, l', elle, nous, la, représentent parfaitement votre professeur qui aime la grammaire, ses élèves qui aiment aussi la grammaire, cette grammaire qui mérite notre amour, cette grammaire que les élèves et le professeur doivent s'efforcer de comprendre. Nous serions réduits à parler ainsi, si nous n'avions pas de pronoms; le discours serait bien long et fort désagréable par les répétitions. Mais j'ai employé ces six petits remplaçants qui tiennent lieu de professeur, élèves, grammaire, grammaire, grammaire, élèves et professeur.

En regard de ce pronom personnel, on peut mettre l'article le, la, les, qui est un véritable adjectif déterminatif. Car il accompagne le nom, pour le déterminer. La grammaire est intéressante: voilà un adjectif, n'est-ce pas ?-Oui; il accompagne et ne remplace point. C'est juste. Mais quand je parle de cette grammaire intéressante et que je dis: Nous

voulons la comprendre, je n'ai plus l'adjectif déterminatif la grammaire, mais le pronom personnel la qui est un remplaçant de la grammaire.

Le pronom, mesdames, doit remplacer le nom tel qu'il a été exprimé auparavant, ni plus ni moins. C'est pour cela qu'il n'est pas permis de dire: Il vous a rendu justice; elle est rare chez un adversaire. Car le pronom elle signifie la justice, n'est-il pas vrai?. · C'est vrai.. - Or il n'est pas parlé de la justice dans la phrase, mais de justice: rendre justice. Le mot justice est indéterminé. Ces choses indéterminées n'ont pas vie, si j'ose ainsi dire, et ne peuvent avoir de remplaçant. Comment faut-il dire, monsieur ? — Il vous

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a rendu justice; la justice est rare chez un adversaire.

De même : Quand on est en santé, il faut tout faire pour la conserver. Il m'a reçu avec politesse qui m'a charmé. Voilà des phrases vicieuses. Dites: Quand on a la santé, il faut tout faire pour la conserver. Il m'a reçu avec une poli tesse qui m'a charmé.

Une seconde classe de pronom est le pronom possessif. À côté de ce pronom se présente l'adjectif possessif. Les grammairiens les confondent souvent: ils sont très-différents cependant.

L'adjectif est mon, ton, son, etc. Le pronom est mien, tien, sien, etc. Le premier accompagne le nom, l'autre le remplace. Voici mon livre, voilà votre livre: mon et votre accompagnent livre; mais ce livre n'est pas le vôtre, c'est le mien, nous présente deux pronoms: le vôtre, le mien, sont des remplaçants; ils remplacent ce livre. Est-ce clair, mesdames?

- Il n'y a pas moyen de confondre.

Le pronom démonstratif est une troisième classe de pronom. Distinguons-le de l'adjectif démonstratif.

Ce, cette, ces, voilà l'adjectif: Ce poëte (je parle d'A. de Musset) est mon poëte favori; cette rose que vous avez est bien belle: ce et cette sont des compagnons de poëte et de

rose; ils ne remplacent pas poëte et rose. Mais: Je préfère Musset à Tennyson; celui-ci n'est qu'un DILETTANTE, celuilà est un grand poëte. Cette phrase nous donne le proùom, car celui-ci remplace Tennyson, et celui-là Musset.

Ceci est beau, cela est laid; cette rose est celle que je préfère. Ceci, cela, celle, sont évidemment des pronoms.

Quatrième espèce de pronom, le pronom relatif ou conjonctif: qui, que, quoi, lequel, etc. Il unit un substantif à une proposition subordonnée: La rose est une fleur que j'aime, qui est belle et de la meilleure odeur. Que et qui sont des pronoms. Ils remplacent un nom: laquelle fleur j'aime, laquelle fleur est belle. "Il y a du plaisir à rencontrer les yeux de celui à qui l'on vient de donner." Ce qui est le remplaçant de l'homme qui vous regarde avec des yeux qui vous bénissent, et que vous avez plaisir à rencontrer.

Quand qui, que, quoi, sont interrogatifs ou exclamatifs, ils sont aussi pronoms: Qui entre? Que demande-t-il? Je ne sais quoi. Qui, que, quoi, sont les remplaçants de quel homme et quelle chose.

L'adjectif interrogatif ne remplace pas, il accompagne le substantif pour le qualifier comme interrogatif: Quel poëte anglais préférez-vous? Quel que soit votre désir je l'accomplirai, si je puis. Ce dernier quel est le compagnon de désir, aussi bien que le premier est celui de poëte.

La cinquième et dernière espèce de pronom est le pronom indéfini. Ne le confondez pas avec l'adjectif indéfini. Encore une fois celui-ci accompagne, le pronom remplace: Un poëte, plusieurs poëtes, quelque poëte, un poëte quelconque, nul poëte, tel poëte: vous voyez ces adjectifs accompagner le substantif poëte.

Mais quiconque, quelqu'un, chacun, autrui, sont des pronoms indéfinis. Ils n'accompagnent pas, ils marchent seuls et remplacent entièrement le substantif qu'ils représentent. Quelqu'un a dit que Shakspeare n'a pas écrit de tragédies: je

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