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Un bûcheron venoit de rompre ou d'égarer Le bois dont il avoit emmanché sa cognée. Cette perte ne put si tôt se réparer

Que la forêt n'en fùt quelque temps épargnée.
L'homme enfin la prie humblement

De lui laisser tout doucement
Emporter une unique branche,
Afin de faire un autre manche :

Il iroit employer ailleurs son gagne-pain;

Il laisseroit debout maint chêne et maint sapin
Dont chacun respectoit la vieillesse et les charmes.
L'innocente forêt lui fournit d'autres armes.

Elle en cut du regret. Il emmanche son fer:
Le misérable ne s'en sert

Qu'à dépouiller sa bienfaitrice
De ses principaux ornements.
Elle gémit à tous moments:

Son propre don fait son supplice.

Voilà le train du monde et de ses sectateurs ;

On s'y sert du bienfait contre les bienfaiteurs.
Je suis las d'en parler. Mais que de doux ombrages
Soient exposés à ces outrages,

Qui ne se plaindroit là-dessus?

Hélas! j'ai beau crier et me rendre incommode,
L'ingratitude et les abus

N'en seront pas moins à la mode.

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Un renard, jeune encor, quoique des plus madrés,
Vit le premier cheval qu'il eût vu de sa vie.
Il dit à certain loup, franc novice: Accourez,
Un animal paît dans nos prés,

Beau, grand; j'en ai la vue encor toute ravie.
Est-il plus fort que nous? dit le loup en riant.
Fais-moi son portrait, je te pric.

Si j'étois quelque peintre ou quelque étudiant,

Repartit le renard, j'avancerois la joie

Que vous aurez en le voyant

Mais venez. Que sait-on? peut-être est-ce une proie
Que la fortune nous envoie.

Ils vont; et le cheval, qu'à l'herbe on avoit mis,
Assez peu curieux de semblables amis,

Fut presque sur le point d'enfiler la venelle 1.
Seigneur, dit le renard, vos humbles serviteurs
Apprendroient volontiers comment on vous appelle.
Le cheval, qui n'étoit dépourvu de cervelle

Leur dit Lisez mon nom, vous le pouvez, Messieurs,
Mon cordonnier l'a mis autour de ma semelle.

Le renard s'excusa sur son peu de savoir.

Mes parents, reprit-il, ne m'ont point fait instruire ; Ils sont pauvres, et n'ont qu'un trou pour tout avoir; Ceux du loup, gros messieurs, l'ont fait apprendre à lire. Le loup, par ce discours flatté

S'approcha. Mais sa vanité

Lui coûta quatre dents: le cheval lui desserre
Un coup; et haut le pied. Voilà mon loup par terre;
Mal en point, sanglant et gâté.

Frère, dit le renard, ceci nous justifie

Ce que m'ont dit des gens d'esprit :

Cet animal vous a sur la mâchoire écrit

Que de tout inconnu le sage se méfie.

1 Venelle signifie sentier; et enfiler la venelle signifie proverbialement s'enfuir.

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Contre les assauts d'un renard

Un arbre à des dindons servoit de citadelle. Le perfide, ayant fait tout le tour du rempart, . Et vu chacun en sentinelle.

S'écria: Quoi! ces gens se moqueront de moi!

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