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Êtes-vous satisfait?

Moi, dit-il; pourquoi non?

N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?
Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché;

Mais pour mon frère l'ours, on ne l'a qu'ébauché :
Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre.
L'ours venant là-dessus, on crut qu'il s'alloit plaindre.
Tant s'en faut de sa forme il se loua très-fort;
Glosa sur l'éléphant, dit qu'on pourroit encor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;

Que c'étoit une masse informe et sans beauté.
L'éléphant étant écouté,

Tout sage qu'il étoit, dit des choses pareilles.
Il jugea qu'à son appétit

Dame baleine étoit trop grosse.

Dame fourmi trouva le ciron trop petit,
Se croyant pour elle un colosse.

Jupin les renvoya s'étant censurés tous;

Du reste, contents d'eux. Mais parmi les plus fous
Notre espèce excella; car tout ce que nous sommes,

Lynx envers nos pareils et taupes envers nous,

Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes : On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain.

Le fabricateur souverain

Nous créa besaciers tous de même manière,

Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui :

Il fit pour nos défauts la poche de derrière,

Et celle de devant pour les défauts d'autrui.

1 Portant besace.

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Une hirondelle en ses voyages

Avoit beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.

Celle-ci prévoyoit jusqu'aux moindres orages,

Et devant qu'ils fussent éclos,

Les annonçoit aux matelots.

Il arriva qu'au temps que la chanvre se sème,

Elle vit un manant en couvrir maints sillons.

1 Ce mot, qui ne se prend plus qu'en mauvaise part, se disoit alors pour désigner un habitant de la campagne.

Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux oisillons;

Je vous plains, car, pour moi, dans ce péril extrême,
Je saurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin.
Voyez-vous cette main qui par les airs chemine?
Un jour viendra, qui n'est pas loin,

Que ce qu'elle répand sera votre ruine.
De là naîtront engins à vous envelopper,
Et lacets pour vous attraper;
Enfin mainte et mainte machine

Qui causera dans la saison

Votre mort ou votre prison :

Gare la cage ou le chaudron!

C'est pourquoi, leur dit l'hirondelle,
Mangez ce grain; et croyez-moi.

Les oiseaux se moquèrent d'elle :

Ils trouvoient aux champs trop de quoi.

Quand la chènevière fut verte,

L'hirondelle leur dit: Arrachez brin à brin

Ce qu'a produit ce maudit grain,
Ou soyez sûrs de votre perte.

Prophète de malheur! babillarde! dit-on,

Le bel emploi que tu nous donnes!
Il nous faudroit mille personnes

Pour éplucher tout ce canton.

La chanvre étant tout à fait crue,

L'hirondelle ajouta : Ceci ne va pas bien;

Mauvaise graine est tôt venue.

Mais, puisque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien,
Dès que vous verrez que la terre

Sera couverte, et qu'à leurs blés
Les gens n'étant plus occupés
Feront aux oisillons la guerre ;
Quand reginglettes et réseaux
Attraperont petits oiseaux,

Ne volez plus de place en place,

Demeurez au logis ou changez de climat :
Imitez le canard, la grue et la bécasse.

Mais vous n'êtes pas en état

De passer, comme nous, les déserts et les ondes.
Ni d'aller chercher d'autres mondes,

C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr :
C'est de vous renfermer au trou de quelque mur.
Les oisillons, loin de l'entendre,

Se mirent à jaser aussi confusément

Que faisoient les Troyens quand la pauvre Cassandre
Ouvroit la bouche seulement.

Il en prit aux uns comme aux autres :

Maint oisillon se vit esclave retenu.

Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les nôtres,

Et ne croyons le mal que quand il est venu.

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