L'usage seulement fait la possession. Je demande à ces gens de qui la passion Est d'entasser toujours, mettre somme sur somme, Quel avantage ils ont que n'ait pas un autre homme. Diogène là-bas est aussi riche qu'eux, Et l'avare ici-haut comme lui vit en gueux. L'homme au trésor caché, qu'Ésope nous propose, Servira d'exemple à la chose. Ce malheureux attendoit Pour jouir de son bien une seconde vie; Ne possédoit pas l'or, mais l'or le possédoit. Il avoit dans la terre une somme enfouie, Son cœur avec, n'ayant autre déduit. Et rendre sa chevance à lui-même sacrée. Qu'il allat ou qu'il vînt, qu'il bût ou qu'il mangeât, On l'eût pris de bien court à moins qu'il ne songeât A l'endroit où gisoit cette somme enterrée. Il y fit tant de tours qu'un fossoyeur le vit, Se douta du dépôt, l'enleva sans rien dire. Notre avare un beau jour ne trouva que le nid. Un passant lui demande à quel sujet ses cris. Votre trésor! où pris? Tout joignant cette pierre. Pour l'apporter si loin? N'eussiez-vous pas mieux fait De le laisser chez vous en votre cabinet Que de le changer de demeure? Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure. Je n'y touchois jamais. Dites-moi donc, de grâce, Reprit l'autre, pourquoi vous vous affligez tant? Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent, Elle vous vaudra tout autant. Un cerf, s'étant sauvé dans une étable à bœufs, Fut d'abord averti par eux Qu'il cherchât un meilleur asile. Mes frères, leur dit-il, ne me décelez pas; Les bœufs, à toutes fins, promirent le secret. L'on va, l'on vient, les valets font cent tours, N'aperçut ni cor, ni ramure, Ni cerf enfin. L'habitant des forêts Rend déjà grâce aux bœufs, attend dans cette étable Que, chacun retournant au travail de Cérès, Il trouve pour sortir un moment favorable. Jusque-là, pauvre cerf, ne te vante de rien. Là-dessus le maître entre, et vient faire sa ronde. Je trouve bien peu d'herbe en tous ces rateliers. Ne sauroit-on ranger ces jougs et ces colliers? Ses larmes ne sauroient la sauver du trépas. Phèdre sur ce sujet dit fort élégamment : Il n'est, pour voir, que l'oeil du maître. Quant à moi, j'y mettrois encor l'oeil de l'amant. |