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Auguste.

Oui, je vous unirai, couple ingrat et perfide,
Et plus mon ennemi qu'Antoine ni Lépide,
Oui, je vous unirai, puisque vous le voulez:

Il faut bien satisfaire aux feux dont vous brûlez,
Et que tout l'univers, sachant ce qui m'anime,
S'étonne du supplice aussi bien que du crime.

SCÈNE III.

1660

AUGUSTE, LIVIE, CINNA, MAXIME, ÆMILIE, FULVIE.

Auguste.

Mais enfin le ciel m'aime, et ses bienfaits nouveaux

Ont enlevé Maxime à la fureur des eaux.

Approche, seul ami que j'éprouve fidèle.

Maxime.

Honorez moins, seigneur, une âme criminelle.

Auguste.

Ne parlons plus de crime après ton repentir,
Après que du péril tu m'as su garantir:
C'est à toi que je dois et le jour et l'empire.

Maxime.

1665

De tous vos ennemis connaissez mieux le pire:
Si vous régnez encor, seigneur, si vous vivez,

1670

C'est ma jalouse rage à qui vous le devez.

Un vertueux remords n'a point touché mon âme;

Pour perdre mon rival, j'ai découvert sa trame.

Euphorbe vous a feint que je m'étais noyé,

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De crainte qu'après moi vous n'eussiez envoyé :
Je voulais avoir lieu d'abuser Æmilie,
Effrayer son esprit, la tirer d'Italie,

Et pensais la résoudre à cet enlèvement

Sous l'espoir du retour pour venger son amant;

1680

Mais, au lieu de goûter ces grossières amorces,
Sa vertu combattue a redoublé ses forces.
Elle a lu dans mon cœur. Vous savez le surplus,
Et je vous en ferais des récits superflus.
Vous voyez le succès de mon lâche artifice.
Si pourtant quelque grâce est due à mon indice,
Faites périr Euphorbe au milieu des tourments,
Et souffrez que je meure aux yeux de ces amants.
J'ai trahi mon ami, ma maîtresse, mon maître,
Ma gloire, mon pays, par l'avis de ce traître,
Et croirai toutefois mon bonheur infini,

Si je puis m'en punir après l'avoir puni.

Auguste.

En est-ce assez, ô ciel! et le sort, pour me nuire,

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A-t-il quelqu'un des miens qu'il veuille encore séduire ?
Qu'il joigne à ses efforts le secours des enfers:
Je suis maître de moi comme de l'univers;
Je le suis, je veux l'être. O siècles, ô mémoire,
Conservez à jamais ma dernière victoire!
Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux
De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous.
Soyons amis, Cinna, c'est moi qui t'en convie:
Comme à mon ennemi je t'ai donné la vie,
Et malgré la fureur de ton lâche dessein,
Je te la donne encor comme à mon assassin.
Commençons un combat qui montre par l'issue
Qui l'aura mieux de nous ou donnée ou reçue.
Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler;
Je t'en avais comblé, je t'en veux accabler:
Avec cette beauté que je t'avais donnée
Reçois le consulat pour la prochaine année.

Aime Cinna, ma fille, en cet illustre rang,
Préfère-s-en la pourpre à celle de mon sang;
Apprends sur mon exemple à vaincre ta colère:

Te rendant un époux, je te rends plus qu'un père.

Emilie.

Et je me rends, seigneur, à ces hautes bontés;

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Je recouvre la vue auprès de leurs clartés:
Je connais mon forfait, qui me semblait justice;
Et, ce que n'avait pu la terreur du supplice,
Je sens naître en mon âme un repentir puissant,
Et mon cœur en secret me dit qu'il y consent.
Le ciel a résolu votre grandeur suprême;

1720

Et pour preuve, seigneur, je n'en veux que moi-même :
J'ose avec vanité me donner cet éclat,

Puisqu'il change mon cœur, qu'il veut changer l'État.

1725

Ma haine va mourir, que j'ai crue immortelle ;
Elle est morte, et ce cœur devient sujet fidèle;
Et prenant désormais cette haine en horreur,
L'ardeur de vous servir succède à sa fureur.

Cinna.

Seigneur, que vous dirais-je après que nos offenses
Au lieu de châtiments trouvent des récompenses?
O vertu sans exemple! ô clémence, qui rend
Votre pouvoir plus juste, et mon crime plus grand!

Auguste.

Cesse d'en retarder un oubli magnanime;

1730

Et tous deux avec moi faites grâce à Maxime:
Il nous a trahis tous; mais ce qu'il a commis
Vous conserve innocents, et me rend mes amis.
(A Maxime.)

1735

Reprends auprès de moi ta place accoutumée;
Rentre dans ton crédit et dans ta renommée;
Qu'Euphorbe de tous trois ait sa grâce à son tour;
Et que demain l'hymen couronne leur amour.
Si tu l'aimes encor, ce sera ton supplice.

1740

Maxime.

Je n'en murmure point, il a trop de justice;
Et je suis plus confus, seigneur, de vos bontés
Que je ne suis jaloux du bien que vous m'ôtez.

Cinna.

Souffrez que ma vertu dans mon cœur rappelée
Vous consacre une foi lâchement violée,

1745

Mais si ferme à présent, si loin de chanceler,
Que la chute du ciel ne pourrait l'ébranler.

Puisse le grand moteur des belles destinées,
Pour prolonger vos jours, retrancher nos années;
Et moi, par un bonheur dont chacun soit jaloux,
Perdre pour vous cent fois ce que je tiens de vous!

Livie.

Ce n'est pas tout, seigneur: une céleste flamme
D'un rayon prophétique illumine mon âme.
Oyez ce que les dieux vous font savoir par moi;
De votre heureux destin c'est l'immuable loi.

Après cette action vous n'avez rien à craindre:
On portera le joug désormais sans se plaindre;
Et les plus indomptés renversant leurs projets,
Mettront toute leur gloire à mourir vos sujets;
Aucun lâche dessein, aucune ingrate envie
N'attaquera le cours d'une si belle vie;
Jamais plus d'assassins, ni de conspirateurs:
Vous avez trouvé l'art d'être maître des cœurs.
Rome avec une joie, et sensible, et profonde,
Se démet en vos mains de l'empire du monde;
Vos royales vertus lui vont trop enseigner
Que son bonheur consiste à vous faire régner:
D'une si longue erreur pleinement affranchie,
Elle n'a plus de vœux que pour la monarchie,
Vous prépare déjà des temples, des autels,
Et le ciel une place entre les immortels;

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Que nous leur offrirons sous de meilleurs auspices;
Et que vos conjurés entendent publier
Qu'Auguste a tout appris, et veut tout oublier.

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EXAMEN DE CINNA.

Ce poëme a tant d'illustres suffrages (1) qui lui donnent le premier rang parmi les miens, que je me ferais trop d'importants ennemis si j'en disais du mal: je ne le suis pas assez de moi-même pour chercher des défauts où ils n'en ont point voulu voir, et accuser le jugement qu'ils en ont fait, pour obscurcir la gloire qu'ils m'en ont donnée. Cette approbation si forte et si générale vient sans doute de ce que la vraisemblance s'y trouve si heureusement conservée aux endroits où la vérité lui manque, qu'il n'a jamais besoin de recourir au nécessaire. Rien n'y contredit l'histoire, bien que beaucoup de choses y soient ajoutées; rien n'y est violenté par les incommodités de la représentation, ni par l'unité de jour, ni par celle de lieu.

Il est vrai qu'il s'y rencontre une duplicité de lieu particulier (2). La moitié de la pièce se passe chez Æmilie, et l'autre dans le cabinet d'Auguste. J'aurais été ridicule si j'avais prétendu que cet empereur délibérât avec Maxime et Cinna s'il quitterait l'empire ou non, précisément dans la même place où ce dernier vient de rendre compte à Æmilie de la conspiration qu'il a formée contre lui. C'est ce qui m'a fait rompre la liaison des scènes au quatrième acte, n'ayant pu me résoudre à faire que Maxime vînt donner l'alarme à Æmilie de la conjuration découverte, au lieu même où Auguste en venait de recevoir l'avis par son ordre, et dont il ne faisait que de sortir avec tant d'inquiétude et d'irrésolution. C'eût été une impudence extraordinaire, et tout à fait hors du vraisemblable, de se présenter dans son cabinet un mo

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