pardonne luy de te nuire desormais, il ne pourra, et proufitera à ta gloire." Auguste feut bien ayse d'avoir trouvé un advocat de son humeur; et, ayant remercié sa femme, et contremandé ses amis qu'il avoit assignez au conseil, commanda qu'on feist venir à luy Cinna tout seul: et ayant faict sortir tout le monde de sa chambre, et faict donner un siege à Cinna, il luy parla en ceste maniere: “En premier lieu, ie te demande, Cinna, paisible audience: n'interromps pas mon parler; ie te donneray temps et loisir d'y respondre. Tu sçais, Cinna, que t'ayant prins (4) au camp de mes ennemis, non seulement t'estant faict mon ennemy, mais estant nay tel, ie te sauvay, ie te meis entre mains touts tes biens, et t'ai enfin rendu si accommodé et si aysé, que les victorieux sont envieux de la condition du vaincu : l'office du sacerdoce que tu me demandas, ie te l'octroyay, l'ayant refusé à d'aultres, desquels les peres avoient tousiours combattu avecques moy. T'ayant si fort obligé, tu as entreprins de me tuer." A quoy Cinna s'estant escrié qu'il estoit bien esloingné d'une si meschante pensee: "Tu ne me tiens pas, Cinna, ce que tu m'avois promis, suyvit Auguste; tu m'avois asseuré que ie ne seroy pas interrompu. Ouy, tu as entreprins de me tuer en tel lieu, tel iour, en telle compaignie, et de telle façon." En le voyant transi de ces nouvelles, et en silence, non plus pour tenir le marché de se taire, mais de la presse de sa conscience: “Pourquoy, adiousta il, le fais tu? Est-ce pour estre empereur? Vrayement il va bien mal à la chose publique, s'il n'y a que moy qui t'empesche d'arriver à l'empire. Tu ne peulx pas seulement deffendre ta maison, et perdis dernièrement un procez par la faveur d'un simple libertin (5). Quoy! n'as tu moyen ny pouvoir en aultre chose qu'à entreprendre Cesar? Ie le quitte, s'il n'y a que moy qui empesche tes esperances. Penses tu que Paulus, que Fabius, que les Cosseens et Serviliens te souffrent, et une si grande troupe de nobles, non seulement nobles de nom, mais qui par leur vertu honnorent leur noblesse ?" Aprez plusieurs aultres propos (car il parla à luy plus de deux heures entières): "Or va, luy dict il, ie te donne, Cinna, la vie à traistre et à parricide, que ie te donnay aultrefois à ennemy: que l'amitié commence de ce iourd'huy entre nous essayons qui de nous deux de meilleure foy, moy t'aye donné ta vie, ou tu l'ayes receue." Et se despartit d'avecques luy en cette maniere. Quelque temps aprez il luy donna le consulat, se plaignant de quoy il ne le luy avoit osé demander. Il l'eut depuis pour fort amy, et feut seul faict par luy heritier de ses biens. Or depuis cet accident, qui adveint à Auguste au quarantiesme an de son aage, il n'y eut iamais de coniuration ny d'entreprinse contre luy, et receut une iuste recompense de cette sienne clemence. CINNA ου LA CLÉMENCE D'AUGUSTE. PERSONNAGES. OCTAVE-CÉSAR-AUGUSTE, empereur de Rome. LIVIE, impératrice. CINNA, fils d'une fille de Pompée (1), chef de la conjuration contre Auguste. MAXIME, autre chef de la conjuration. ÆMILIE, fille de C. Toranius, tuteur d'Auguste (2), et pros- La scène est à Rome. ACTE PREMIER. SCÈNE I. EMILIE. Impatients désirs d'une illustre vengeance Dont la mort de mon père a formé la naissance, 5 Et que je considère, en l'état où je suis, ΙΟ 15 20 25 L'ordre mal concerté, l'occasion mal prise, Peuvent sur son auteur renverser l'entreprise, 30 Tourner sur toi les coups dont tu le veux frapper; Dans sa ruine même il peut t'envelopper; Et, quoi qu'en ma faveur ton amour exécute, Il te peut, en tombant, écraser sous sa chute. 35 Te perdre en me vengeant, ce n'est pas me venger. Mais peut-on en verser alors qu'on venge un père? 40 Cessez, vaines frayeurs, cessez, lâches tendresses, SCÈNE II. ÆMILIE, FULVIE. Emilie. Je l'ai juré, Fulvie, et je le jure encore, Elle a pour la blâmer une trop juste cause: 45 50 55 60 Semble assez réparer les maux qu'il vous a faits; 65 Emilie. Toute cette faveur ne me rend pas mon père; Les bienfaits ne font pas toujours ce que tu penses; 70 |