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Quelle fureur les borne au milieu de leur course?
Quel charme ou quel poison en a tari la source?
Les ombres par trois fois ont obscurci les cieux
Depuis que le sommeil n'est entré dans vos yeux;
Et le jour a trois fois chassé la nuit obscure
Depuis que votre corps languit sans nourriture.
A quel affreux dessein vous laissez-vous tenter ?
De quel droit sur vous-même osez-vous attenter?
Vous offensez les dieux auteurs de votre vie ;
Vous trahissez l'époux à qui la foi vous lie;
Vous trahissez enfin vos enfants malheureux,
Que vous précipitez sous un joug rigoureux.
Songez qu'un même jour leur ravira leur mere,
Et rendra l'espérance au fils de l'étrangere,
A ce fier ennemi de vous, de votre sang,

Ce fils qu'une Amazone a porté dans son flanc,
Cet Hippolyte...

PHEDRE.

Ah dieux!

OF NON E.

Ce reproche vous touche?

PHEDRE..

1

Malheureuse! quel nom est sorti de ta bouche!

OE NON E.

Hé bien, votre colere éclate avec raison:
J'aime à vous voir frémir à ce funeste nom.
Vivez donc: que l'amour, le devoir vous excite.
Vivez; ne souffrez pas que le fils d'une Scythe,
Accablant vos enfants d'un empire odieux,
Commande au plus beau sang de la Grece et des dieux.
Mais ne différez point; chaque moment vous tue:
Réparez promptement votre force abattue,
Tandis que de vos jours prêts à se consumer
Le flambeau dure encore et pent se rallumer.

} PHEDRE.

J'en ai trop prolongé la coupable durée. ·

OE NONE.

Quoi! de quelques remords êtes-vous déchirée ? Quel crime a pu produire un trouble si pressant? Vos mains n'ont point trempé dans le sang innocent?

PHEDR E.

Graces au ciel, mes mains ne sont point criminelles. Plût aux dieux que mon cœur fût innocent comme elles!

OE NONE.

Et quel affreux projet avez-vous enfanté
Dont votre cœur encor doive être épouvanté?

PHEDR F.

Je t'en ai dit assez : épargne-moi le reste.
Je meurs, pour ne point faire un aveu si funeste.

OE NON E.

Mourez donc, et gardez un silence inhumain ;
Mais pour fermer vos yeux cherchez une autre

main.

Quoiqu'il vous reste à peine une foible lumiere,
Mon ame chez les morts descendra la premiere ;
Mille chemins ouverts y conduisent toujours,
Et ma juste douleur choisira les plus courts.
Cruelle! quand ma foi vous a-t-elle déçue?
Songez-vous qu'en naissant mes bras vous ont reçue ?
Mon pays, mes enfants, pour vous j'ai tout quitté.
Réserviez-vous ce prix à ma fidélité?

PHEDRE.

Quel fruit esperes-tu de tant de violence?
Tu frémiras d'horreur si je romps le silence.

OE NONE.

Et que me direz-vous qui ne cede, grands dieux!
A l'horreur de vous voir expirer à mes yeux ?

PHEDRE.

Quand tu sauras mon crime, et le sort qui m'accable, Je n'en mourrai pas moins; j'en mourrai plus cou=

pable.

OE NON E.

Madame, au nom des pleurs que pour vous j'ai

versés,

Par vos foibles genoux que je tiens embrassés, Délivrez mon esprit de ce funeste doute.

Tu le veux: leve-toi.

PHEDRE.

OE NONE.

Parlez, je vous écoute.

PHEDRE.

Ciel ! que lui vais-je dire? et par où commencer?

OE NON E.

Par de vaines frayeurs cessez de m'offenser.

PHEDRE.

O haine de Vénus! ô fatale colere!

Dans quels égarements l'amour jeta ma mere!

OE NON E.

Oublions-les, inadame; et qu'à tout l'avenir
Un silence éternel cache ce souvenir.

PHEDRE.

Ariane ma sœur! de quel amour blessée
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée !

OE NONE.

Que faites-vous, madame? et quel mortel ennui Contre tout votre sang vous anime aujourd'hui ?

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Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable Je péris la derniere et la plus misérable,

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J'aime... A ce nom fatal je tremble, je frissonne.

J'aime...

OE NON E.

Qui?

PHEDRE.

Tu connois ce fils de l'Amazone.

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Ce prince si long-temps par moi-même opprimé.

OE NON E.

Hippolyte? Grands dieux!

PHEDRE.

C'est toi qui l'as nommé!

OE NON E

Juste ciel! tout mon sang dans mes veines se glace!
O désespoir! ô crime! ô déplorable race!
Voyage infortuné! Rivage malheureux,‹
Falloit-il approcher de tes bords dangereux !

PHEDRE.

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Mon mal vient de plus loin. A peine au fils d'Egée
Sous les lois de l'hymen je m'étois engagée,
Mon repos, mon bonheur sembloit être affermi ;
Athenes me montra mon superbe ennemi :.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue;

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Un trouble s'éleva dans mon ame éperdue;
Mes yeux ne voyoient plus, je ne pouvois parler;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler.
Je reconnus Vénus, et ses feux redoutables,
D'un sang qu'elle poursuit tourments inévitables.
Par des voeux assidus je crus les détourner:
Je lui bâtis un temple, et pris soin de l'orner;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchois dans leurs flancs ma raison égarée:
D'un incurable amour remedes impuissants!
En vain sur les autels ma main brûloit l'encens:
Quand ma bouche imploroit le nom de la déesse,
J'adorois Hippolyte ; et, le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisois fumer,

J'offrois tout à ce dieu que je n'osois nommer.
Je l'évitois par-tout. O comble de misere!

Mes yeux le retrouvoient dans les traits de son pere.
Contre moi-même enfin j'osai me révolter:
J'excitai mon courage à le persécuter.
Pour bannir l'ennemi dont j'étois idolâtre,
J'affectai les chagrins d'une injuste marâtre ;'
Je pressai son exil; et mes cris éternels
L'arracherent du sein et des bras paternels.
Je respirois, OEnone; et, depuis son absence,
Mes jours moins agités couloient dans l'innocence:
Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,
De son fatal hymen je cultivois les fruits.
Vaines précautions! Cruelle destinée!
Par mon époux lui-même à Trézene amenée
J'ai revu l'ennemi que j'avois éloigné :

Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.

Ce n'est plus une ardeur dans mes veines cachée;
C'est Vénus tout entiere à sa proie attachée.
J'ai conçu pour mon crime une juste terreur :
J'ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur;
Je voulois en mourant prendre soin de ma gloire,
Et dérober au jour une flamme si noire :

Je n'ai pu soutenir tes larmes, tes combats;
Je t'ai tout avoué ; je ne m'en repens pas,
Pourvu que de ma mort respectant les approches
Tu ne m'affliges plus par d'injustes reproches,
Et que tes vains secours cessent de rappeler
Un reste de chaleur tout prêt à s'exhaler.

SCENE IV.

PHEDRE, OE NONE, PANOPE.

PANOPE.

Je voudrois vous cacher une triste nouvelle,

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