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Que Jason m'y remette ainfi qu'il m'en tira;
Je fuis prête à partir fous la même conduite.
Qui de ces lieux aimés précipita ma fuite.

O d'un injufte affront les coups les plus cruels!
Vous faites différence entre deux criminels!

Vous voulez qu'on l'honore, & que de deux complices
b) L'un ait votre couronne, & l'autre des fuplices.
CRÉ O N.

Ceffe de plus mêler ton intérêt au fien;

Ton Jafon pris à part eft trop homme de bien
Le féparant de toi, fa défenfe eft facile;.
Jamais il n'a trahi fon père ni fa ville,
Jamais fang innocent n'a fait rougir fes mains,
Jamais il n'a prêté fon bras à tes deffeins;
Son crime, s'il en a, eft de t'avoir pour femme;
Laiffe-le s'affranchir d'une honteufs flamme,
Ren-lui fon innocence en t'éloignant de nous,.
Porte en d'autres climats ton infolent couroux,
Tes herbes, tes poifons, ton cœur impitoyable,.
Et tout ce qui jamais a fait Jafon coupable.

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Peignez mes actions plus noires que la nuit,
Je n'en ai que la honte, il en a tout le fruit.
Ce fut en fa faveur que ma favante audace
Immola fon tyran par les mains de fa race;
Joignez-y mon pays & mon frère, il fufit

Qu'aucun de tant de maux ne va qu'à fon profit.

Mais vous les faviez tous quand vous m'avez reçue:

b) Hic pretium fceleris talit, bic diadema..

Votre fimplicité n'a point été déçue;

En ignoriez-vous un, quand vous m'avez promis
Un rempart affuré contre mes ennemis?

Ma main faignante encor du meurtre de Pélie,
Soulevait contre moi toute la Theffalie

Quand votre coeur fenfible à la compaffion,
Malgré tous mes forfaits, prit ma protection.
Si l'on me peut depuis imputer quelque crime,
C'est trop peu que l'exil, ma mort est légitime;
Sinon, à quel propos me traitez-vous ainsi ?
Je fuis coupable ailleurs, mais innocente ici,
CRÉON.

Je ne veux plus ici d'une telle innocence,
Ni fouffrir en ma cour ta fatale préfence.
Va...

MÉDÉ E.

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Va, dis-je, en d'autres lieux,

Par tes cris importuns folliciter les dieux.
Laiffe-nous tes enfans: je ferais trop févère,
Si je les puniffais des crimes de leur mère,
Et bien que je le puffe avec juste raison,

c) Soldats, remettez-la chez elle. ] Si Médée est une magicienne auffi puiffante qu'on le dit, & que Créon même le croit, comment ne craint-il pas de l'offenfer, & comment même peut-il difpofer d'elle? C'eft là une étrange contradiction que l'antiquité Grecque s'eft permife. Les illufions de l'antiquité ont

été adoptées par nous; les juges ont ofé juger des forciers; mais il s'était répandu une opinion auffi ridicule que celle de la magie même, & qui lui fervait de correctif; c'était que les magiciens perdaient tout leur pouvoir dès qu'ils étaient entre les mains de la juftice,

Ma fille les demande en faveur de Jafon.
MÉ DÉ E.

Barbare humanité qui m'arrache à moi-même,
Et feint de la douceur pour m'ôter ce que j'aime!
Si Jason & Créüse ainfi l'ont ordonné,

Qu'ils me rendent le fang que je leur ai donné.
CRÉON.

Ne me replique plus, fui la loi qui t'eft faite,
Prépare ton départ, & pense à ta retraite.
Pour en délibérer, & choifir le quartier,
De grace, ma bonté te donne un jour entier.
MÉDÉE.

Quelle grace!

CRÉON.

c) Soldats, remettez-la chez elle,

Sa conteftation deviendrait éternelle.

SCENE I I I.

CRÉON Seul.

QUel indomtable efprit! Quel arrogant maintien

Accompagnait l'orgueil d'un fi long entretien!
A-t-elle rien fléchi de fon humeur altière?

L'Ariofte, & le Taffe fon heureux imitateur prirent un tour plus heureux; ils feignirent que les enchantemens pouvaient être détruits par d'autres enchantemens; cela feul mettait de la vraifemblance dans ces fables, qui par ellesmêmes n'en ont aucune. Ariofte tout fécond qu'il était, avait apris cet art.

d'Homère; il eft vrai que fon Alcine est prodigieufement fupérieure à la Circé de l'Odyfée; mais enfin Homère eft le premier qui parait avoir imaginé des préfervatifs contre le pouvoir de la magie, & qui par-là mit quelque raifon dans des chofes qui n'en avaient pas.

A-t-elle pû defcendre à la moindre prière?
Et le facré refpect de ma condition d)
En a-t-il arraché quelque foumiffion?

SCENE I V.

CREON, JASON, CRÉUSE.
CLÉONE.

CRÉON.

TE voilà fans rivale, & mon pays fans guerres ;

Ma fille, c'eft demain qu'elle fort de nos terres.
Nous n'avons déformais que craindre de fa part; e)
Acafte eft fatisfait d'un fi proche départ;
Et fi tu peux calmer le courage d'Egée,
Qui voit par notre choix fon ardeur négligée,
Fa's état que demain nous affure à jamais,
Et dedans & dehors, une profonde paix.
CRÉUSE.

Je ne crois pas, feigneur, que ce vieux roi d'Athènes,
Voyant aux mains d'autrui le fruit de tant de peines,
Mėle tant de faibleffe à fon reffentiment,
Que fon premier couroux fe diffipe aifément.
J'efpère toutefois qu'avec un peu d'adreffe
Je pourai le réfoudre à perdre une maîtreffe,

d) Il eft bien ici queftion du facré refpect qu'on doit à la condition de ce Créon, qui d'ailleurs joue dans cette piéce un rôle trop froid.

Dont

e) Nous n'avons que craindre, eft un barbarifme. Cette piéce en a beaucoup. Mais encor une fois, c'eft la première de Corneille.

Dont l'âge peu fortable & l'inclination
Répondaient affez mal à fon affection.
JASON.

Il doit vous témoigner par fon obéiffance
Combien fur fon efprit vous avez de puiffance;
Et s'il s'obftine à fuivre un injufte couroux,
Nous faurons, ma Princeffe, en rabatre les coups;
Et nos préparatifs contre la Theffalie

Ont trop de quoi punir fa flamme & fa folie.
CRÉON.

Nous n'en viendrons pas là, Regarde feulement
A le payer d'eftime & de remerciment.
Je voudrais pour tout autre un peu de raillerie;
f) Un vieillard amoureux mérite qu'on en rie:
Mais le trône foutient la Majefté des rois

Au deffus du mépris, comme au-deffus des loix.
On doit toujours refpect au fceptre, à la couronne.
Remets tout, fi tu veux, aux ordres que je donne;
Je faurai l'apaifer avec facilité

Si tu ne te défens qu'avec civilité.

SCENE V.

JASON, CREUSE, CLEONE.

Q

JASON.

Ue ne vous dois-je point pour cette préférence,
Où mes defirs n'ofaient porter mon espérance?

f) Ces vers montrent qu'en effet on mêlait alors le comique au tragique. Ce mauvais gout était établi dans prefP. Corneille. Tome I.

que toute l'Europe, comme on le remarque ailleurs.

F

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