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engagé à marcher fur fes pas, femblait le devoir fuivre égale ment parmi les épines & parmi les fleurs, & ne le pouvoir abandonner, quelque bon ou mauvais chemin qu'il tint, fans une espèce d'infidélité. Mais outre que les fautes font eftimées volontaires, quand on fe les rend néceffaires volontairement, & que lorfqu'on choifit une fervitude, on la doit au moins choisir belle, il a bien fait voir lui-même, par la liberté qu'il s'eft donnée de changer plufieurs endroits de ce poëme, qu'en ce qui regarde la poëfie on demeure encor libre après cette fujétion. Il n'en eft pas de même dans l'hiftoire, qu'on eft obligé de rendre telle qu'on la reçoit. Il faut que la créance qu'on lui donne foit aveugle, & la déférence que l'hiftorien doit à la vérité, le dif penfe de celle que le poëte doit à la bienféance. Mais comme cette vérité a peu de crédit dans l'art des beaux menfonges, nous penfons qu'à fon tour elle y doit céder à la bienséance, qu'être inventeur & imitateur n'eft ici qu'une même chofe, & que le poëte français qui nous a donné le Cid, eft coupable de toutes les fautes qu'il n'y a pas corrigées. Après tout il faut avouer, qu'encor qu'il ait fait choix d'une matière défectueufe, il n'a pas laiffé de faire éclater en beaucoup d'endroits de fi beaux fentimens, & de fi belles paroles, qu'il a en quelque forte imité le ciel e), qui en la difpenfation de fes trésors & de fes graces, donne indifféremment la beauté du corps aux méchantes ames & aux bonnes. Il faut confeffer qu'il y a femé un bon nombre de vers excellens, & qui femblent avec quelque justice demander grace`pour ceux qui ne le font pas. Auffi les aurions nous remarqués particuliérement, comme nous avons fait les autres, n'était qu'ils

e) Cette imitation du ciel fait voir qu'on était éloigné de la véritable élo

quence, & qu'on cherchait de l'efprit

à quelque prix que ce fût.

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fe découvrent affez d'eux-mêmes, & que d'ailleurs nous craindrions qu'en les ôtant de leur fituation, nous ne leur ôtalfions une partie de leur grace, & que commettant une espèce d'injuftice pour vouloir être trop juftes, nous ne diminuaffions leurs beautés à force de les vouloir faire paraître. Ce qu'il y a de mauvais dans louvrage, n'a pas l'aiffé même de produire de bons effets, puifqu'il a donné lieu aux obfervations qui ont été faites deffus, & qui font remplies de beaucoup de favoir & d'élégance. De forte que fans que l'on peut dire que fes défauts ont été utiles, & y penfer il a profité aux lieux où il n'a fù plaire. Enfin nous concluons, qu'encor que le fujet du Cid ne foit pas bon, qu'il péche dans fon dénouement, qu'il foit chargé d'épisodes inutiles', que la bienséance y manque en beaucoup de lieux, auffi-bien que la bonne difpofition du théatre, & qu'il y ait beaucoup de vers bas, & de façons de parler impures; néanmoins f) la naïveté & la véhémence de fes paffions, la force & la délicateffe de plufieurs de fes pensées, & cet agrément inexplicable qui fe mêle dans tous fes défauts, lui ont aquis un rang confidérable entre les poëmes français de ce genre. Si fon auteur ne doit pas toute fa réputation à fon mérite, il ne la doit pas toute à fon bonheur; & la nature lui a été affez libérale pour excufer la fortune fi elle lui a été prodigue.

Fin des fentimens de l'Académie Française fur le Cid.

ƒ) Ces dernières lignes font un aveu affez fort du mérite du Cid. On en doit conclure que les beautés y furpaffent les défauts, & que par le jugement de l'aca

démie, Scudéri est beaucoup plus condamné que Corneille.

a) Voici cette épitre de Corneille qu'on prétend qui lui attira tant d'ennemis ;

EXCUSE A ARISTE. a)

CE

E n'eft donc pas affez; & de la part des mufes, Arifte, c'est en vers qu'il vous faut des excuses; Et la mienne pour vous n'en plaint pas la façon; Cent vers lui coûtent moins que deux mots de chanfon : Son feu ne peut agir, quand il faut qu'il s'explique Sur les fantafques airs d'un rêveur de musique, Et que pour donner lieu de paraître à fa voix, De fa bizare quinte il fe faffe des loix : Qu'il ait fur chaque ton fes rimes ajustées Sur chaque tremblement fes fillabes comptées, Et qu'une faible pointe à la fin d'un couplet En dépit de Phébus donne à l'art un fouflet: Enfin cette prifon déplait à fon génie : Il ne peut rendre hommage à cette tyrannie; Il ne fe leurre point d'animer de beaux chants, Et veut pour se produire avoir la clef des champs. C'est lors qu'il court d'haleine, & qu'en pleine carrière, Quittant fouvent la terre, en quittant la barrière, Puis d'un vol élevé fe cachant dans les cieux,

Il rit du defefpoir de tous fes envieux.

Ce trait eft un peu vain, Arifte, je l'avoue ;
b) Mais faut-il s'étonner d'un poète qui fe loue?

mais il est très-vraisemblable que le fuc-
cès du Cid lui en fit bien davantage : elle
paraît écrite entiérement dans le goût &
dans le ftile de Régnier,
fans grace, fans

fineffe, fans élégance, fans imagination; mais on y voit de la facilité & de la naïveté.

b) Mais faut-il s'étonner d'un poëte qui

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Le Parnaffe, autrefois dans la France adoré,
Faifait pour fes mignons un autre âge doré:
Notre fortune enflait du prix de nos caprices,
Et c'était une banque à de bons bénéfices;
Mais elle est épuifée, & les vers à présent
Aux meilleurs du métier n'aportent que du vent;
Chacun s'en donne à l'aife, & fouvent fe difpenfe
A prendre par fes mains toute fa récompenfe.

Nous nous aimons un peu, c'eft notre faible à tous ;
Le prix que nous valons, qui le fait mieux que nous ?
Et puis la mode en eft, & la cour l'autorife.
Nous parlons de nous-même avec toute franchise.
La fauffe humilité ne met plus en crédit.

Je fais ce que je vaux, & crois ce qu'on m'en dit.
Pour me faire admirer, je ne fais point de ligue:
J'ai peu de voix pour moi, mais je les ai fans brigue;
Et mon ambition pour faire plus de bruit

c) Ne les va point quêter de réduit en réduit ;

fe loue?] Le mot poëte, ouate, étaient

alors de deux fillabes en vers. Boileau

qui a beaucoup fervi à fixer la langue,
a mis trois fillabes à tous les mots de cette
efpèce.

Si fon aftre en naiffant ne l'a formé
poëte.

Où fur l'ouate molle éclate le ta-
bis.

c) Ne les va point quêter de réduit en réduit. ] Ce vers défigne tous fes rivaux qui cherchaient à fe faire des protecteurs

Mon

& des partisans, & cet endroit les foule

va tous.

d) Par leur feule beauté &c.— Je në dois qu'à moi feul.] Ces vers étaient d'autant plus révoltans, qu'il n'avait fait encor aucun de ces ouvrages qui ont rendu fon nom immortel. Il n'était connu que par fes premières comédies & par fa tragédie de Médée, piéces qui feraient ignorées aujourd'hui fi elles n'avaient été foutenues depuis par fes belles tragédies. II n'eft pas permis d'ailleurs de parler ainsi de foi-même. On pardonnera toûjours à

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Mon travail fans apui monte fur le théatre
Chacun en liberté l'y blâme ou l'idolatre:
Là, fans que mes amis prèchent leurs fentimens
J'arrache quelquefois leurs aplaudiffemens ;
Là, content du fuccès que le mérite donne,
Par d'illuftres avis je n'éblouis perfonne;

Je fatisfais enfemble & peuple & courtisans,
Et mes vers en tous lieux font mes feuls partisans :
d) Par leur feule beauté ma plume eft eftimée :
Je ne dois qu'à moi feul toute ma renommée;
Et penfe toutefois n'avoir point de rival
A qui je fale tort en le traitant d'égal.
Mais infenfiblement je donne ici le change;
Et mon efprit s'égare en fa propre louange :
Sa douceur me féduit, je m'en laiffe abufer
Et me vante moi-même au lieu de m'excufer.
Revenons aux chanfons que l'amitié demande.
e) J'ai brûlé fort lengtems d'une amour affez grande,
Et que jufqu'au tombeau je dois bien eftimer,

un homme célèbre de fe moquer de fes ennemis, & de les rendre ridicules; mais fes propres amis ne lui pardonneront jamais de fe louer.

e) J'ai brûlé longtems d'une amour affez grande. ] Il avait aimé très-paffionnément une dame de Rouen, nommée madame du Pont, femme d'un maître des comptes de la même ville, qui était parfaitement belle, qu'il avait connue toute petite fille, pendant qu'il étudiaît à Rouen au collége des jéfuites, & pour qui il fit plusieurs petites piéces de galanterie, qu'il n'a jaP. Corneille. Tome I.

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mais voulu rendre publiques, quelques inftances que lui ayent fait fes amis. Il les brûla lui-même environ deux ans avant fa mort. Il lui communiquait la plupart de fes piéces avant de les mettre au jour; & comme elle avait beaucoup d'efprit, elle les critiquait fort judicieufement; enforte que monfieur Corneille a dit plufieurs fois, qu'il lui était redevable de plufieurs endroits de fes premières piéces. Note ancienne qui fe trouve dans les éditions de Corneille.

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