N'en as-tu rien apris? N'as-tu point vû Jafon? Croit-il qu'en cet affront je m'amufe à me plaindre? n) S'il ceffe de m'aimer, qu'il commence à me craindre; Il verra, le perfide, à quel comble d'horreur De mes reffentimens peut monter la fureur. NERINE. Modérez les bouillons de cette violence; MÉDÉE. Tu veux que je me taife & que je diffimule! à me craindre. ] Le vers de Sénèque, Adeone credit omne confumptum nefas ? parait bien plus fort. o) Et faut-il perdre ainfi des menaces en l'air? J'ai déja dit que je ne ferais aucune remarque fur le ftile de cette tragédie, qui eft vicieux prefque d'un bout à l'autre. J'observerai feulement Sans fuport, fans amis, fans retraite, fans bien, Madame, penfez mieux à l'éclat que vous faites. L'ame doit fe roidir plus elle eft menacée, Et contre la fortune aller tète baiffée, La choquer hardiment, & fans craindre la mort, P) Cette lâche ennemie a peur des grands courages, iei, à propos de ces rimes dissimuler, & en l'air, qu'alors on prononçait dissunuluir, pour rimer à l'air. J'ajouterai qu'on a été long-tems dans le préjugé, que la rime doit être pour les yeux. C'eft pour cette raifon qu'on faifait rimer cher à bucher. I eft indubitable que la rime n'a été inventée que pour l'oreille. C'est le retour des mêmes fons, ou des fons à peu près femblables, qu'on demande, & non pas le retour des mêmes lettres. On fait rimer abhorre qui a deux r avec encore qui n'en a qu'un. Par la même raifon terre peut rimer à père. Mais je me hâte ne peut rimer avec je me flatte, parce que flatte eft bref, & bate eft long. P) Cela eft imité de Sénèque, & enchérit encor fur le mauvais gout de l'original. Fortuna fortes metuit, ignavos premit. Corneille appelle la fortune lâche. Toutes les tragédies qui précédèrent fa Médée font remplies d'exemples de ce faux bel efprit. Ces puérilités furent fi long-tems en vogue, que l'abbé Cotin, du tems même de Boileau & de Molière, NERINE. Que fert ce grand courage où l'on eft fans pouvoir? Il trouve toûjours lieu de fe faire valoir. Forcez l'aveuglement dont vous êtes féduite, q) Moi, dis-je, & c'est affez. NÉRINE. Moi. Quoi? vous feule, Madame? MÉ DÉ E. Oui, tu vois en moi feule & le fer, & la flamme, donna à la fiévre l'épithète d'ingrate ; eette ingrate de fiévre qui attaquait infolemment le beau corps de Mademoiselle de Guife, où elle était fi bien logée. q) Moi... Moi, dis-je, & c'est affez. ] Ce moi eft célébre. C'est le Medea fupereft de Sénèque. Ce qui fuit est encor une traduction de Sénèque. Mais dans l'original & dans la traduction, ces vers affaibliffent la grande idée que donne, mɔi, dis-je, & c'est affez. Tout ce qui explique un grand fentiment l'énerve. On demande fi le Medea fupereft eft fu blime? Je répondrai à cette question, que ce ferait en effet un fentiment fublime, fi ce moi exprimait de la grandeur de courage. Par exemple, fi lorfqu'Horatius Cocles défendit feul un pont contre une armée, on lui eût demandé, Que vous refte-t-il ? & qu'il eût répondu, moi, c'eût été du véritable fublime. Mais ici il ne fignifie que le pouvoir de la magie: & puifque Médée difpofe des élémens, il n'eft pas étonnant qu'elle puiffe feule & fans autre fecours fe venger de tous fes ennemis. NÉRINE. L'impétueuse ardeur d'un courage fenfible A vos reffentimens figure tout poffible: Mais il faut craindre un roi fort de tant de fujets. Mon père qui l'était rompit-il mes projets ? Non, mais il fut furpris, & Créon fe défie. Las! je n'ai que trop fui; cette infidélité Il n'eût point vû Créüfe, & cet objet nouveau Fuyez encor, de grace. MÉ DÉ E. Oui, je fuirai, Nérine, Mais avant de Créon on verra la ruine. Je brave la fortune, & toute fa rigueur En m'ộtant un mari ne m'ôte pas le cœur. Laiffe agir pleinement mon favoir & ma haine, NÉRINE. [Seule] Madame... Elle me quitte au lieu de m'écouter; |