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Et femble reprocher à ma fidélité

D'avoir ofé tenir contre tant de beauté.

SCENE I I I.

CRÉUSE, JASON, CLEONE.

QUE

JASON.

UE votre zéle eft long, & que d'impatience
Il donne à votre amant qui meurt en votre absence!

Je n'ai pas fait

CRÉUSE.

pourtant au ciel beaucoup de vœux,
Ayant Jafon à moi, j'ai tout ce que je veux.
JASON.

Et moi, puis-je espérer l'effet d'une prière,
Que ma flamme tiendrait à faveur fingulière?
Au nom de votre amour fauvez deux jeunes fruits,
Que d'un premier hymen la couche m'a produits,
Employez-vous pour eux, faites auprès d'un père
Qu'ils ne foient point compris dans l'exil de leur mère;
C'est lui feul qui bannit ces petits malheureux,
Puifque dans les traités il n'eft point parlé d'eux.
CRÉUSE.

J'avais déja parlé de leur tendre innocence.
Et vous y fervirai de toute ma puiffance,

b) On fent affez que ce vers

Vous le faurez après, je ne veux rien pour rien.

eft plus fait pour la farce que pour la tragédie. Mais nous n'infiftons pas fur les fautes de ftyle & de langage.

i) Souverains protecteurs des loix de Thyménée &c.] Voici des vers qui annoncent Corneille. Ce monologue est tout entier imité de celui de Sénèque le tragique. Dii conjugales, tuque genialis tori Lucina Cuftos. Rien n'eft plus difficile

i)

Pourvû qu'à votre tour vous m'accordiez un point
Que jufques à tantôt je ne vous dirai point.
JASON.

Dites, & quel qu'il foit, que ma reine en difpofe.
CRÉUSE.

Si je puis fur mon père obtenir quelque chofe,
Vous le faurez après; je ne veux rien pour rien. h
CLÉONE.

Vous pourrez au palais fuivre cet entretien;
On ouvre chez Médée, ôtez-vous de fa vûe,
Vos préfences rendraient fa douleur plus émûe;
Et vous feriez marris que cet esprit jaloux
Mêlât fon amertume à des plaisirs fi doux.

Souverains

SCENE 1 V.

MÉDÉE Seule.

Ouverains protecteurs des loix de l'hyménée,
Dieux, garans de la foi que Jafon m'a donnée,
Vous qu'il prit à témoins d'une immortelle ardeur
Quand par un faux ferment il vainquit ma pudeur,
Voyez de quel mépris, vous traite fon parjure,
k) Et m'aidez à venger cette commune injure:
S'il me peut aujourd'hui chaffer impunément,
Vous êtes fans pouvoir ou fans reffentiment.

que de traduire les vers latins & grecs en vers français rimés. On eft prefque toujours obligé de dire en deux lignes ce que les anciens ont dit en une. Il y a très-peu de rimes dans le ftile noble, comme je le remarque ailleurs ; & nous

avons même beaucoup de mots auxquels on ne peut rimer. Auffi le poëte eft rarement le maître de fes expreffions. J'ofe affirmer qu'il n'eft point de langue dans laquelle la verfification ait plus d'entraves.

Et vous, troupe favante en noires barbaries,
Filles de l'Achéron, peftes, larves, furies,
Fières fœurs, fi jamais notre commerce étroit
Sur vous & vos ferpens me donna quelque droit,
Sortez de vos cachots avec les mêmes flammes,
Et les mêmes tourmens dont vous gênez les ames:
Laiffez-les quelque tems repofer dans leurs fers,
Pour mieux agir pour moi faites trêve aux enfers;
Aportez-moi du fond des antres de Mégère
La mort de ma rivale & celle de fon père ;
Et fi vous ne voulez mal fervir mon couroux,
Quelque chofe de pis pour mon perfide époux.
Qu'il coure vagabond de province en province,
Qu'il faffe lâchement la cour à chaque prince,
Banni de tous côtés, fans bien & fans apui,
Accablé de frayeur, de mifère, d'ennui,

Qu'à fes plus grands malheurs aucun ne compatiffe,
Qu'il ait regret à moi pour fon dernier fuplice,
Et que mon fouvenir, jufques dans le tombeau,
Attache à fon efprit un éternel bourreau.
Jafon me répudie! Et qui l'aurait pû croire?
S'il a manqué d'amour, manque-t-il de mémoire?
1) Me peut-il bien quitter après tant de bienfaits?

k) Et m'aidez à venger cette commune injure] n'apartient qu'à Corneille. Racine a imité ce vers dans Phèdre:

Déeffe, venge-toi, nos caufes font

pareilles.

Mais dans Corneille il n'eft qu'une beauté de poefie; dans Racine il eft une beauté de fentiment. Ce monologue pourait au

D'être

jourd'hui paraître une amplification, une déclamation de rhétorique. Il eft pourtant bien moins chargé de ce défaut que la fcène de Sénèque.

1) Me peut-il bien quitter après tant de bienfaits? &c.] Ces vers font dignes de la vraie tragédie, & Corneille n'en a guères fait de plus beaux. Si au lieu

M'ofe-t-il bien quitter après tant de forfaits?
Sachant ce que je puis, ayant vû ce que j'ofe,
Croit-il que m'ofenfer ce foit fi peu de chofe?
Quoi? mon père trahi, les élémens forcés,
D'un frère dans la mer les membres difperfés.
Lui font-ils préfumer mon audace épuisée?
Lui font-ils préfumer qu'à mon tour méprisée.
Ma rage contre lui n'ait par où s'affouvir,
Et que tout mon pouvoir fe borne à le fervir?
Tu t'abuses, Jafon, je fuis encor moi-même.
Tout ce qu'en ta faveur fit mon amour extrême,
Je le ferai par haine ; & je veux pour le moins,
Qu'un forfait nous fépare, ainfi qu'il nous a joints;
Que mon fanglant divorce en meurtres, en carnage,
S'égale aux premiers jours de notre mariage:
Et que notre union que rompt ton changement
Trouve une fin pareille à fon commencement.
Déchirer par morceaux l'enfant aux yeux du père,
N'eft que le moindre effet qui fuivra ma colère.
Des crimes fi légers furent mes coups d'effai.
Il faut bien autrement montrer ce que je fai;

Il faut faire un chef-d'oeuvre; & qu'un dernier ouvrage

d'être noyés dans un long monologue inutile, ils étaient placés dans un dialogue vif & touchant, ils feraient le plus grand effet.

Ces Monologues furent très-long-tems à la mode. Les comédiens les fefaient ronfler avec une emphase ridicule, ils les exigeaient des auteurs qui leur vendaient leurs piéces; & une comédienne P. Corneille. Tome I.

qui n'aurait point eu de monologue dans fon rôle, n'aurait pas voulu réciter? Voilà comme le théatre relevé par Corncille commença parmi nous. Des farceurs ampoulés repréfentaient dans des jeux de paume ces mafcarades rimées, qu'ils achetaient dix écus. Les athéniens en ufaient autrement.

D

Surpaffe de bien loin ce faible apprentiffage.

Mais pour exécuter tout ce que j'entreprens,
Quels dieux me fourniront des fecours affez grands?
Ce n'est plus vous, enfers, qu'ici je follicite:
Vos feux font impuiffans pour ce que je médite.
Auteur de ma naiffance, auffi-bien que du jour,
Qu'à regret tu dépars à ce fatal féjour,

m) Soleil, qui vois l'affront qu'on va faire à ta race,
Donne-moi tes chevaux à conduire en ta place:
Accorde cette grace à mon defir bouillant.

Je veux choir fur Corinthe avec ton char brûlant.
Mais ne crains pas de chûte à l'univers funefte ;.
Corinthe confumé garantira le refte;

De mon jufte couroux les implacables vœux
Dans fes odieux. murs arrêteront tes feux

Créon en: eft le prince, & prend Jason pour gendre::
C'eft affez mériter d'etre réduit en cendre,
D'y voir réduit tout l'ifthme afin de l'en punir,
Et qu'il n'empêche plus les deux mers de s'unir.

SCENE V

MÉDÉE, NERINE.

MÉ DÉ E.

Hé bien, Nérine, à quand, à quand cette hyménée ?

En ont-ils choifi l'heure?. En fais-tu la journée ?

m) Soleil, qui vois l'affront qu'on va faire à ta race.] Cette prière au foleil fon père eft encor toute de Sénèque, & devait faire plus d'effet fur les peuples

qui mettaient le foleil au rang des dieux, que fur, nous qui n'admettons pas cette mythologie.

1) S'il ceffe de m'aimer, qu'il commense

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