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THEODORE-AGRIPPA D'AUBIGNÉ

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L'Hyver

1551-+1630

MES volages humeurs, plus sterilles que belles,

S'en vont ; et je leur dis: Vous sentez, irondelles,
S'esloigner la chaleur et le froid arriver.
Allez nicher ailleurs, pour ne tascher, impures,
Ma couche de babil et ma table d'ordures;
Laissez dormir en paix la nuict de mon hyver.
D'un seul poinct le soleil n'esloigne l'hemisphere;
Il jette moins d'ardeur, mais autant de lumiere.
Je change sans regrets, lorsque je me repens
Des frivoles amours et de leur artifice.
J'ayme l'hyver qui vient purger mon cœur de vice,
Comme de peste l'air, la terre de serpens.

Mon chef blanchit dessous les neiges entassées.
Le soleil, qui reluit, les eschauffe, glacées,

Mais ne les peut dissoudre, au plus court de ses mois.
Fondez, neiges; venez dessus mon cœur descendre,
Qu'encores il ne puisse allumer de ma cendre
Du brazier, comme il fit des flammes autrefois.

Mais quoi! serai-je esteint devant ma vie esteinte?
Ne luira plus sur moi la flamme vive et sainte,
Le zèle flamboyant de la sainte maison?

Je fais aux saints autels holocaustes des restes,
De glace aux feux impurs, et de naphte aux celestes:
Clair et sacré flambeau, non funebre tison!

Voici moins de plaisirs, mais voici moins de peines.
Le rossignol se taist, se taisent les Sereines.
Nous ne voyons cueillir ni les fruits ni les fleurs ;

L'esperance n'est plus bien souvent tromperesse,
L'hyver jouit de tout. Bienheureuse vieillesse,
La saison de l'usage, et non plus des labeurs!

Mais la mort n'est pas loin; cette mort est suivie
D'un vivre sans mourir, fin d'une fausse vie :
Vie de nostre vie, et mort de nostre mort.

Qui hait la seureté, pour aimer le naufrage?
Qui a jamais esté si friant de voyage

Que la longueur en soit plus douce que le port?

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TA

FRANÇOIS DE MALHERBE

Consolation à M. du Périer

1555-†1628

A douleur, du Périer, sera donc éternelle '
Et les tristes discours

Que te met en l'esprit l'amitié paternelle
L'augmenteront toujours?

Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,

Est-ce quelque dédale, où ta raison perdue

Ne se retrouve pas ?

Je sais de quels appas son enfance étoit pleine,

Et n'ai pas entrepris,

Injurieux ami, de soulager ta peine

Avecque son mépris.

Mais elle étoit du monde, où les plus belles chose

Ont le pire destin;

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,

L'espace d'un matin.

Puis quand ainsi seroit que, selon ta prière,
Elle auroit obtenu

D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu'en fût-il advenu?

Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
Elle eût eu plus d'accueil ?

Ou qu'elle eût moins senti la poussière funeste
Et les vers du cercueil?

Non, non, mon du Périer, aussitôt que la Parque

Ôte l'âme du corps,

L'âge s'évanouit au deçà de la barque,

Et ne suit point les morts.

Tithon n'a plus les ans qui le firent cigale;

Et Pluton aujourd'hui,

Sans égard du passé, les mérites égale

D'Archémore et de lui.

Ne te lasse donc plus d'inutiles complaintes ;

Mais, sage à l'avenir,

Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes Éteins le souvenir.

C'est bien, je le confesse, une juste coutume

Que le cœur affligé,

Par le canal des yeux vidant son amertume,
Cherche d'être allégé.

Même quand il advient que la tombe sépare
Ce que nature a joint,

Celui qui ne s'émeut a l'âme d'un barbare,
Ou n'en a du tout point.

Mais d'être inconsolable et dedans sa mémoire

Enfermer un ennui,

N'est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire
De bien aimer autrui?

Priam qui vit ses fils abattus par Achille,
Dénué de support

Et hors de tout espoir du salut de sa ville,
Reçut du réconfort.

François, quand la Castille, inégale à ses armes, Lui vola son dauphin,

Sembla d'un si grand coup devoir jeter des larmes Qui n'eussent point de fin.

Il les sécha pourtant, et, comme un autre Alcide, Contre fortune instruit,

Fit qu'à ses ennemis d'un acte si perfide

La honte fut le fruit.

Leur camp, qui la Durance avoit presque tarie
De bataillons épais,

Entendant sa constance, eut peur de sa furie,
Et demanda la paix.

De moi, déjà deux fois d'une pareille foudre
Je me suis vu perclus,

Et deux fois la raison m'a si bien fait résoudre
Qu'il ne m'en souvient plus.

Non qu'il ne me soit grief que la tombe possède

Ce qui me fut si cher;

Mais en un accident qui n'a point de remède
Il n'en faut point chercher.

La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles.
On a beau la prier,

La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles
Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses lois;

Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N'en défend point nos rois.

De murmurer contre elle et perdre patience,
Il est mal à propos;

Vouloir ce que Dieu veut est la seule science
Qui nous met en repos.

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ILS

LS s'en vont, ces rois de ma vie,
Ces yeux, ces beaux yeux,

Dont l'éclat fait pâlir d'envie
Ceux même des cieux.
Dieux, amis de l'innocence,
Qu'ai-je fait pour mériter
Les ennuis où cette absence
Me va précipiter?

Elle s'en va cette merveille,
Pour qui nuit et jour,

Quoi que la raison me conseille,
Je brûle d'amour.

Dieux, amis de l'innocence,
Qu'ai-je fait pour mériter

Les ennuis où cette absence
Me va précipiter?

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