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Lisant ses vers audacieux

Faits pour les habitants des cieux (1),
Ouvrir une bouche effroyable,

S'agiter, se tordre les mains;

Il me semble en lui voir le diable,

Que Dieu force à louer les saints [a].

« bon dans son gouvernement de Bourgogne. Étant à table, le duc « versa furtivement dans son verre une forte dose de tabac d'Es

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«pagne. Le poète, sans se douter de cette espièglerie de prince,

avala le vin et le tabae, et fut attaqué d'une violente colique, dont » on ne put le guérir. Qu'alloit-il faire avec des princes? Plusieurs « écrivains attribuent cette méchanceté au prince de Condé, dit le « Grand. » (Histoire physique, civile et morale de Paris, tome II, page 122.) Lorsque Santeuil mourut, le grand Condé n'existoit plus depuis onze ans. Les biographes du poëte latin se contentent de dire qu'il fut enlevé par une colique de miserere; mais on lit, dans la Vie de Piron par Rigoley de Juvigny, que le père de l'auteur de la Métromanie et Santeuil, s'étant Llessés par des railleries piquantes à leur première entrevue, se raccommodèrent aussitôt le verre à la main, et qu'alors eut lieu la funeste imprudence qui coûta la vie à un homme d'un vrai talent. Celui qui se la permit n'est pas nommé. (1) Il a fait des hymnes latines à la louange des saints (Despréaux.) [a] Qand Santeuil eut fait ses hymnes à la louange de saint Louis, « il alla, dit Brossette, les présenter au roi, et les récita de la ma« nière qu'il récitoit tous ses vers, c'est-à-dire en s'agitant comme « un possédé, et faisant des contorsions et des grimaces, qui firent beaucoup rire les courtisans. M. Despreaux, qui se trouva là, fit a cette épigramme sur-le-champ; et, étant sorti pour l'écrire, il la re

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« mit au duc de... qui l'alla porter au roi, comme si c'eût été un pa

pier de conséquence. Le roi la lut, et la rendit en souriant à ce

« même seigneur, qui eut la malice de l'aller lire à d'autres courti

« sans en présence de Santeuil méme. Elle étoit ainsi :

« A voir de quel air effroyable,

«Roulant les yeux, tordant les mains,

ÉPIGRAMME

Imitée de celle de Martial, qui commence par,

Nuper erat medicus, etc. [a].

Paul, ce grand médecin, l'effroi de son quartier,

« Santeuil nous lit ses hymnes vains,

« Diroit-on pas que c'est le diable

Que Dieu force à louer les saints?»

Dans une Vie de Santeuil où se trouvent bien des anecdotes hasardées, l'abbé Dinouart prétend que cette épigramme fut faite à l'académie françoise, un jour que le poëte latin étoit venu Y réciter une de ses hymnes. (Santoliana, 1764, page 11.)

Brossette devoit être mieux instruit que Dinouart de ce qui est re latif à cette anecdote. Son récit néanmoins mérite-t-il une entière confiance? Je n'oserois pas l'assurer. Il dit que l'impromptu du satirique fut composé au sujet des hymnes pour saint Louis. Dans le recueil intitulé Hymni sacri et novi, 1698, annoncé pour contenir tout ce que Santeuil a produit en ce genre, je n'ai pas trouvé une seule pièce à la louange du saint roi.

Voyez sur Santeuil notre commentaire, tome I, satire II, p. 104, note a; tome II, Art Poétique, chant III, page 248, note a; t. III, Dialogue contre les modernes qui font des vers latins, p. 104, note c, page 108, note a.

[a]

DE DIAULO.

Nuper erat medicus, nunc est vespillo Diaulus :

Quod vespillo facit, fecerat et medicus.

(Liv. I, épigramme XLVIII.)

Brossette cite un autre distique de Martial contre un mauvais méde

cin:

Hoplomachus nunc es; fueras ophthalmicus antè :

Fecisti medicus, quod facis hoplomachus.

(Liv. VIII, épigramme LXXIV.)

Ces deux vers offrent un sens plus juste que les précédents; mais

Qui causa plus de maux que la peste et la guerre [a],
Est curé maintenant, et met les gens en terre:
Il n'a point changé de métier.

ÉPIGRAMME.

A M. P**. (Charles Perrault) [b].

Le bruit court que Bacchus, Junon, Jupiter, Mars,
Apollon, le dieu des beaux arts,

Les Ris mêmes, les Jeux, les Graces et leur mère,
Et tous les dieux enfants d'Homère,

Résolus de venger leur père [c],

Despréaux ne les a pas imités, sans doute parcequ'il n'y a point de gladiateurs chez les modernes.

[a] Saint-Marc se récrie contre cette hyperbole, que personne assurément ne prend à la lettre.

[6] Dans l'édition de 1713, ce nom est indiqué de la manière suivante P***.

[c] Brossette condamne cette rime et les deux précédentes. JeanBaptiste Rousseau, dans des remarques sur son commentaire, lui dit: «Les trois rimes féminines de suite ne sont point une faute « dans cet endroit, non plus que dans une infinité d'autres de Voi<«ture, de Sarrasin, de Chapelle et de La Fontaine, où cette licence « fait un effet très agréable à l'oreille [a]. » Le commentateur répond que cela se trouve dans des récits en vers libres, comme épîtres, descriptions, contes, etc.; mais que l'on n'en citeroit peut-être pas un exemple dans des épigrammes où la versification doit être plus régulière [b]. Le poëte réplique : « Les trois rimes de suite, soit féminines, soit masculines, s'emploient souvent dans des vers de mé« sure égale; et loin que ce soit une licence, elles sont souvent une

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[a] Lettres de Rousseau sur différents sujets de littérature, tome II, P. 189. [b] Ibidem, page 203.

Jettent déja sur vous de dangereux regards.
P**, craignez enfin (1) quelque triste aventure.
Comment soutiendrez-vous un choc si violent [a]?
Il est vrai, Visé (2) vous assure

Que vous avez pour vous Mercure;

Mais c'est le Mercure Galant.

«< beauté. J'en prends à témoin tous ceux qui ont de l'oreille. Il est

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vrai que je ne me souviens pas qu'il y en ait des exemples dans les « épigrammes; mais si c'étoit une faute dans ce petit poëme, c'en <«< seroit une aussi dans tous les autres, la longueur d'un ouvrage « n'étant jamais une excuse pour le défaut de correction [a]. » (1) Première manière :

P**, je crains pour vous.

Ce dernier mot se rencontroit en trois vers de suite, précisément dans la césure ou dans le repos du vers; ce qui étoit une autre faute. (Brossette.)

[a] Ce vers manque dans les éditions de 1735 et de 1740, ainsi que dans une édition très jolie, imprimée à Glasgow en 1759, et qui est une copie de la première.

(2) L'auteur du Mercure Galant. (Despréaux. ) * Jean Donneau de Visé, né à Paris en 1640, mort en 1710, auteur très médiocre de plusieurs pièces de théâtre, de nouvelles galantes, commença le Mercure Galant en 1672. Nous avons fait connoître les différents titres que cet ouvrage périodique a reçus, depuis son origine jusqu'à nos jours. La Bruyère le place « immédiatement au-dessous du « rien. » ( Chapitre 1a .) Racine n'en parle pas avec moins de mépris, lettre du 6 août 1693, tome IV, page 211, note c.

[a] Ibidem, page 212.

VERS

Faits pour mettre au bas d'un portrait de monseigneur le duc du
Maine, alors encore enfant, et dont on avoit imprimé un petit
volume de lettres, au-devant desquelles ce prince étoit peint en
Apollon, avec une couronue sur la tête.

Quel est cet Apollon nouveau,
Qui presque au sortir du berceau
Vient régner sur notre Parnasse?
Qu'il est brillant! Qu'il a de grace!
Du plus grand des héros je reconnois le fils.
Il est déja tout plein de l'esprit de son père [a];
Et le feu des yeux de sa mère

A passé jusqu'en ses écrits [b].

[a] Ce vers et le précédent étoient d'abord de cette manière :

Du plus grand des mortels je reconnois le fils.
Il a déja la fierté de son père.

Saint-Marc blame la correction faite dans le premier vers, parceque « du plus grand des mortels dit beaucoup plus que du plus grand des « héros. » C'est ne pas saisir la pensée de l'auteur, qui est pourtant fort claire: Par le plus grand des mortels on peut n'entendre que le plus puissant des hommes; par le plus grand des héros on entend celui qui les efface tous par ses belles qualités.

[b] Au commencement du volume, le jeune prince étoit représenté en Apollon, avec une couronne de laurier sur la tête. Dans l'édition des œuvres de Racine, à laquelle feu M. Garnier, pair de France, a présidé, on lit les détails suivants : « Madame de Main«< tenon, chargée de l'éducation du duc du Maine, imagina de faire << un recueil des ouvrages de ce prince, qui consistoient pour la « plupart en versions de divers passages de Florus, Justin et autres « historiens latins, qu'il avoit faites sous la direction de son pré

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