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De tant de coups affreux la tempête orageuse (2)
Tient un temps sur les eaux la fortune douteuse;
Mais Louis d'un regard sait bientôt la fixer:

Le destin à ses yeux n'oseroit balancer (3).

Bientôt avec Grammont [a] courent Mars et Bellone[b];
Le Rhin à leur aspect d'épouvante frissonne:
Quand, pour nouvelle alarme à ses esprits glacés,
Un bruit s'épand qu'Enguien [c] et Condé sont passés:
Condé, dont le seul nom fait tomber les murailles,

Portant la foudre de nos rois,

Des Alpes a battu les têtes?

(Ode à monseigneur le duc de Bellegarde, grand écuyer de France, 1608, liv. II, page 127.)

(1) Se plaint est admirable; il imprime au vers le sentiment et la vie. (Le Brun.) Dans un nouveau commentaire sur Boileau, où M. Mermet enchérit sur toutes les critiques dont ce poëte a été l'objet, on lit: « l'onde écume, à la bonne heure; mais se plaint « n'est évidemment là que pour la rime. » (in-12, 1809, page 42.)

(2) Orageuse, uni à tempête, est ici une épithète habilement hasardée. (Le Brun.) *J'ai cherché le mérite de ce mot, dans la place qu'il occupe: il m'a paru satisfaire plutôt l'oreille que l'esprit.

(3) Ce vers étoit fait pour enivrer l'orgueil de Louis XIV; c'étoit le mettre au-dessus des dieux de la fable qui fléchissoient scus le destin: irrevocabile fatum. (Le Brun. )* Ce vers, où la flatterie se cache adroitement sous l'enthousiasme, mettoit le grand sens de Louis XIV à une épreuve bien difficile.

[a] Voyez, sur le comte de Guiche, la page 44, note 1.

[b] Dans un sujet où l'on emploie le merveilleux de la mythologie, il est naturel d'opposer Mars et Bellone au dieu du Rhin.

[c] Henri-Jules de Bourbon, né en 1643, mort en 1709. Son père, né en 1621, mort en 1686, si justement célèbre, lui dut la vie à la bataille de Senef, la dernière qu'il ait gagnée (le 11 août 1674).

Force les escadrons, et gagne les batailles [a];
Enguien, de son hymen le seul et digne fruit,
Par lui dès son enfance à la victoire instruit.
L'ennemi renversé fuit et gagne la plaine;
Le dieu lui-même cède au torrent qui l'entraîne;
Et seul, désespéré, pleurant ses vains efforts,
Abandonne à Louis la victoire et ses bords.

Du fleuve ainsi domté la déroute éclatante
A Wurts (1) jusqu'en son camp va porter l'épouvante.
Wurts, l'espoir du pays, et l'appui de ses murs;
Wurts... Ah! quel nom, grand roi, quel Hector que ce Wurts!
Sans ce terrible nom, mal né pour les oreilles,

Que j'allois à tes yeux étaler de merveilles!
Bientôt on eût vu Skink [b] dans mes vers emporté
De ses fameux remparts démentir la fierté;

Bientôt.... Mais Wurts s'oppose à l'ardeur qui m'anime.
Finissons, il est temps: aussi bien si la rime
Alloit mal à propos m'engager dans Arnheim [c],
Je ne sais pour sortir de porte qu'Hildesheim [d].

vers,

en les empruntant à

[a] Despréaux a perfectionné ces deux
Pierre Corneille, qui fait dire au capitan Matamore:

Le seul bruit de mon nom renverse les murailles,
Défait les escadrons, et gagne les batailles.

(L'Illusion, comédie, acte II, scène II.)

(1) Commandant de l'armée ennemie. ( Despréaux, édit. de 1713.) *Il étoit d'une famille obscure du Holstein; son grade étoit celui de maréchal de camp.

[b] Ce fort que les habitants regardoient comme imprenable fut assiégé le 18 juin, et pris le 21.

[c] Ville considérable du duché de Gueldre.

[d] Petite ville de l'électorat de Trèves. «A peine M. D*** ( Des

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Oh! que le ciel, soigneux de notre poésie,
Grand roi, ne nous fit-il plus voisins de l'Asie!
Bientôt victorieux de cent peuples altiers,

Tu nous aurois fourni des rimes à milliers.
Il n'est plaine en ces lieux si sèche et si stérile
Qui ne soit en beaux mots par-tout riche et fertile.
Là, plus d'un bourg fameux par son antique nom
Vient offrir à l'oreille un agréable son.
Quel plaisir de te suivre aux rives du Scamandre;
D'y trouver d'Ilion la poétique cendre [a];
De juger si les Grecs, qui brisèrent ses tours,
Firent plus en dix ans que Louis en dix jours!
Mais pourquoi sans raison désespérer ma veine?
Est-il dans l'univers de plage si lointaine
Où ta valeur, grand roi, ne te puisse porter,

Et ne m'offre bientôt des exploits à chanter?

Non, non, ne faisons plus de plaintes inutiles :

Puisqu'ainsi dans deux mois tu prends quarante villes, Assuré des bons vers dont ton bras me répond,

Je t'attends dans deux ans aux bords de l'Hellespont [b].

"

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préaux) a-t-il fait une centaine de vers, dit Pradon, que le voilà à «bout et plus fatigué que nos guerriers. Il trouve heureusement

a

Wurts auquel il s'accroche; ce nom lui fournit des turlupinades, etc." (Nouvelles Remarques, page 61.) Cette critique trouvé des partisans bien dignes de la répéter.

"

[a] Expression aussi juste que neuve.

[b] Voyez, sur cette magnifique épître, où le plaisant se joint si bien à l'héroïque, et qui est si heureusement terminée, la correspondance de Despréaux et de Bussy - Rabutin, tome IV, pages 3

et suivantes.

ÉPITRE V.

A M. DE GUILLERAGUES, SECRÉTAIRE DU CABINET [a].

Esprit né pour la cour, et maître en l'art de plaire, Guilleragues, qui sais et parler et te taire [b],

[a] L'épître V, composée en 1674, parut dans l'édition de 1675 sous ce titre : A M. de Guilleragues, secrétaire du cabinet du roi. Cette dernière qualité, supprimée dans les éditions postérieures, est rétablie dans celle de 1701 telle que nous la donnons.

Le comte de Lavergne de Guilleragues, né à Bordeaux, fut d'abord premier président de la cour des aides de cette ville, puis attaché à la personne du prince de Conti, frère du grand Condé, ensuite pourvu de la charge de secrétaire de la chambre et du cabinet du roi, enfin nommé en 1679 ambassadeur à Constantinople, où son adresse et sa fermeté le firent aimer et respecter. Il y mourut d'apoplexie en 1684, peu de temps après avoir obtenu les honneurs du sopha. On a de lui la relation de son ambassade. On lui attribue la traduction des Lettres portugaises, dont la première édition parut en 1669; mais les bibliographes les plus exacts ne décident pas si elle est son ouvrage ou celui de Subligny.

[b] .

Dicenda tacendaque calles. (Perse, sat. IV, vers 5.)

Le trait suivant confirme la justesse de cet éloge. Guilleragues, la veille de son départ pour Constantinople, alla prendre congé de Louis XIV, et lui demander ses dernières instructions. «< Si vous « voulez, lui dit le roi, vous acquittër à mon gré de votre ambassade, « faites tout le contraire de ce qu'a fait votre prédécesseur (M. de « Nointel.)» M. de Guilleragues, en faisant la révérence au roi, lui répondit : « Sire, je ferai en sorte que votre Majesté ne donne pas la

Apprends-moi si je dois ou me taire ou parler.
Faut-il dans la satire encor me signaler,

Et, dans ce champ fécond en plaisantes malices,
Faire encore aux auteurs redouter mes caprices?
Jadis, non sans tumulte, on m'y vit éclater,
Quand mon esprit plus jeune, et prompt à s'irriter,
Aspiroit moins au nom de discret et de sage;
Que mes cheveux plus noirs ombrageoient mon visage (1).
Maintenant, que le temps a mûri mes desirs,

Que mon âge, amoureux de plus sages plaisirs,
Bientôt s'en va frapper à son neuvième lustre (2),
J'aime mieux mon repos qu'un embarras illustre [a].
Que d'une égale ardeur mille auteurs animés
Aiguisent contre moi leurs traits envenimés;

Que tout, jusqu'à Pinchêne (3), et m'insulte et m'accable:

« même instruction à mon successeur.» (Note recueillie Rival, dans ses Récréations littéraires, page 117.)

par Cizeron

Madame de Sévigné rapporte plusieurs bons mots de Guilleragues.

L'un des plus connus est celui-ci : « Guilleragues, écrit-elle à sa fille,

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"

disoit hier Pellisson abusoit de la permission qu'ont les hommes

que

« d'être laids. » ( Lettre du 5 janvier 1674.)

On lit dans les Souvenirs de madame de Caylus le passage qui suit : " M. de Guilleragues, par la constance de son amour, son esprit et ses chansons, doit aussi trouver place dans le catalogue des << adorateurs de madame de Maintenon. » (Édit. de 1806, p. 140.) (1) L'auteur portoit alors ses cheveux, qui commençoient à blanchir. (Brossette.)

(2) A la quarante et unième année. ( Despréaux, édit. de 1683.) *Il avoit trente-huit ans.

[a] Le Brun cite le plus souvent des alliances de mots, moins remarquables que celle-ci, sur laquelle il garde le silence.

(3) Pinchêne étoit neveu de Voiture. (Despréaux, édit. de 1713.)

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