Page images
PDF
EPUB

Sans peine il souffroit ma présence:

O la rare reconnoissance (1)!

défectueuses sans doute, la plupart des expressions de la dernière. C'est mettre une importance affectée à un essai bien court, sur lequel les opinions ne sauroient être partagées.

(1) Le célèbre M. Patru, pressé par un créancier impitoyable (c'étoit un fermier général), étoit sur le point de vendre ses livres, la plus agréable et presque la seule chose qui lui restoit. M. Despréaux le tira de cette fâcheuse extrémité, en lui portant une somme beaucoup plus considérable que celle pour laquelle il étoit résolu de les donner. Il voulut même que M. Patru gardât sa bibliothèque comme auparavant, et qu'elle ne vînt à lui qu'en survivance. Il déboursa environ quatre mille livres, et il n'avoit pas encore les successions qu'il a recueillies dans la suite. Cette épigramme n'a été faite qu'après la mort de M. Patru, arrivée en janvier 1681. (Brossette.) * Elle fut insérée dans l'édition de 1701.

Saint-Marc dit qu'elle seroit beaucoup meilleure si l'on supprimoit le dernier vers. D'Alembert pense qu'elle est un trait général contre les ingrats, et qu'elle ne regarde point Patru, dont l'auteur resta l'ami après l'avoir obligé [a]. M. Daunou y voit une vérité importante, qu'il développe en disant : « C'est une reconnoissance bien « rare en effet que de souffrir sans peine la présence d'un bienfai« teur. » Sans présumer trop avantageusement du cœur humain, il nous semble que le juger ainsi, c'est prendre les exceptions pour le général. Les hommes assez vils pour se dérober à l'aspect de ceux qui leur ont rendu des services forment le petit nombre. Pour louer dignement Patru, suffisoit-il de ne pas le comprendre parmi ces hommes, la honte de leur espèce? Non assurément. Plus on examine cette épigramme, moins il est facile de se persuader que Despréaux ait eu l'intention de l'appliquer à un ami maltraité par la fortune, et dont il parla toujours avec une profonde estime [b].

[a] Eloge de Despréaux, note 38.

[b] Voyez la satire Ire, tome Ier, page yo, note b; l'épitre V, dans ce volume, page 59, note a. et le tome IV, page 478.

AUTRE.

A M. Racine (1).

Racine, plains [a] ma destinée.
C'est demain la triste journée,

Où le prophète Desmarais (2),

Lui convenoit-il d'ailleurs de rappeler l'acte de générosité qu'il eut le bonheur d'exercer envers lui? Nous croyons donc qu'il a voulu s'égayer aux dépens d'un débiteur endurci, qui, ne sachant plus rougir, s'étoit affranchi de l'embarras qu'éprouvent les mauvais payeurs en voyant leurs créanciers. C'est en cela que nous paroît consister le sel du vers ironique, dont Saint-Marc désire la suppres

sion :

O la rare reconnoissance!

(1) En 1674, M. Desmarets de St.-Sorlin entreprit une critique générale des œuvres de M. Despréaux, et la fit imprimer en 1675. Notre poëte, qui en fut averti, prévint la critique par cette épigramme. M. le duc de..., l'abbé Testu et Desmarets avoient travaillé de concert à cette critique. (Brossette.) * Au nom que ce commentateur laisse en blanc, Saint-Marc ajoute l'initiale N, qui signifie Nevers. Philippe-Julien Mancini-Mazarini, né à Rome en 1641, mort à Paris en 1707, étoit l'aïeul du dernier duc de Nivernois [a]. Quant à l'abbé Testu, c'est celui dont il est parlé dans la satire VIIo, t. I, page 172, note 2. La critique à laquelle ils travaillèrent en commun avec Desmarets est la Défense du poëme héroïque, qui parut en 1674, et non en 1675 [b]. L'épigramme de Despréaux fut insérée dans l'édition de 1685, quatre ans après la mort de celui qui en est l'objet. [a] Ce mot est écrit sans s, dans les éditions avouées par l'auteur. (2) Son nom est ici écrit Desmarais, afin que la rime soit plus vi

[a] Voyez, sur le duc de Nevers, l'épitre VII, page 86, note a, et page 91,

note a.

[b] Voyez, sur Desmarets, le tome Jer, satire Ire, page 76, note a, et, dans ce volume, l'Art Poétique, chant III, page 262, note b.

[ocr errors]
[merged small][ocr errors]

sible. Il s'étoit érigé en homme inspiré et en prophète. Dans un de ses ouvrages, il disoit fort sérieusement que « Dieu, par sa bonté infinie, lui avoit envoyé la clef du trésor de l'apocalypse. » ( Délices de l'esprit [a], part. III, page 2). Dans un autre, il publioit que « Dieu l'avoit destiné à faire une réformation générale du genre humain; et que pour cet effet il levoit une armée de cent quarante« quatre mille victimes, dévouées à tout faire, et à tout souffrir se‹lon ses ordres. » (Avis au Saint-Esprit [b].) Il annonçoit quantité d'autres merveilles, dont on fit voir la vanité et le ridicule, dans huit lettres, qui parurent en 1666, et qu'on intitula Les Visionnaires, tant à cause d'une comédie de Desmarets qui porte le même titre, que parcequ'on découvroit dans ces lettres la source des illusions des fanatiques, dont on lui faisoit l'application, et l'on y prouvoit géométriquement qu'il étoit un visionnaire. M. Nicole en étoit l'auteur. (Brossette.) *Il est à présumer que le nom de Desmarets est altéré, dans cette épigramme, par respect pour la rime; mais il est possible que Despréaux ait négligé de l'écrire exactement, comme nous l'avons remarqué pour beaucoup d'autres noms [c]. D'ailleurs il l'écrit de la même manière dans sa note.

[a] On peut se former une idée du ton de Desmarets dans la polémique, par le titre seul de ses écrits contre cette maison. Le premier est intitulé: Réponse à l'insolente apologie des religieuses de Port-Royal, avec la découverte de la fausse église des jansénistes et de leur fausse éloquence, 1666. Les autres écrits ne diffèrent guère de celui-ci, qu'en ce qu'il met: Seconde partie, troisième partie à l'insolente apologie des religieuses de Port-Royal, etc.

[a] On a dit que l'errata de ce livre devoit se borner à ce peu de mots: délices, lisez délires.

[b] On croit que cet écrit n'a pas été imprimé. D'Olivet n'en fait point mention dans le catalogue des ouvrages de l'auteur, Histoire de l'académie. [c] Voyez le tome Ier, satire V, page 143, pote b.

1

C'en est fait, mon heure est venue.
Non que ma muse, soutenue
De tes judicieux avis,

N'ait assez de quoi le confondre :
Mais, cher ami, pour lui répondre,

Hélas! il faut lire Clovis (1).

VERS

Pour mettre ́sous le buste du roi, fait par M. Girardon, l'année que les Allemands prirent Belgrade.

C'est ce roi si fameux dans la paix, dans la guerre,

Qui seul fait à son gré le destin de la terre.
Tout reconnoît ses lois, ou brigue son appui.
De ses nombreux combats le Rhin frémit encore;
Et l'Europe en cent lieux a vu fuir devant lui
Tous ces héros si fiers, que l'on voit aujourd'hui
Faire fuir [a] l'Ottoman au-delà du Bosphore (2).

(1) Poëme de Desmarais ennuyeux à la mort. (Despréaux, édition de 1685.) * En 1657, l'auteur le publia en vingt-six chants; en 1673, il le réduisit à vingt chants, après y avoir fait des changements très nombreux.

[a] Faire fuir est désagréable.

(2) M. de Louvois ayant fait graver le portrait du roi, chargea M. Racine et M. Despréaux de faire des vers pour être mis sous le portrait. M. Racine eut plutôt fait les siens, et ils furent gravés. Ceux de M. Despréaux furent destinés à servir d'inscription au buste du roi, fait par le fameux Girardon, l'année que les Allemands prirent Belgrade, 1687. (Brossette.) * Cette date n'est pas exacte: l'électeur de Bavière emporta d'assaut la place de Belgrade, le six septembre mil sept cent quatre-vingt-huit.

Les faits donnés par M. Daunou sur cette inscription sont si po

VERS

Pour mettre au bas du portrait de mademoiselle de Lamoignon.

Aux sublimes vertus nourrie en sa famille,
Cette admirable et sainte fille

En tous lieux signala son humble piété;
Jusqu'aux climats (1) où naît et finit la clarté,
Fit ressentir l'effet de ses soins secourables;

sitifs, que nous les transcrivons : « Dès le 31 août 1687, Girardon

K

"

K

lui-même, dit-il, écrit aux maire et échevins de Troyes [a], que

Boileau lui a donné ces sept vers pour mettre au bas de l'image du roi. Il y a vraisemblablement erreur de date dans cette lettre de Girardon.

"

Les mots sous le buste sont inexacts dans l'intitulé de cette petite pièce de vers. C'étoit un médaillon en marbre que Girardon avoit fait pour Louis XIV [b].

« L'inscription latine, qui accompagnoit ce médaillon, étoit de « Racine [c]. Les sept vers françois de Boileau furent composés pour << remplacer cette inscription dans l'estampe de ce même médaillon, gravée par Leclerc [d].

[ocr errors]

(1) Mademoiselle de Lamoignon, sœur de M. le premier président, faisoit tenir de l'argent à beaucoup de missionnaires jusque dans les Indes orientales et occidentales. (Despréaux, édition de 1713.) * Dans les éditions précédentes, telles que celles de 1694 et de 1701, on ne lit point ces mots : « Sœur de M. le premier président......»

[a] François Girardon naquit à Troyes, en 1630, suivant l'opinion commune, et mourut à Paris le 1er septembre 1715, le même jour que Louis XIV. [b] Ce prince y étoit représenté en buste, ce qui semble autoriser l'expression de Despréaux.

[c] Cette inscription ne se trouve point dans ses œuvres, même dans l'édition si complete publiée par feu M. Germain Garnier, pair de France. [d] Despréaux les inséra dans son édition de 1694.

« PreviousContinue »