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Il part, et, de ses doigts saintement alongés,
Bénit tous les passants, en deux files rangés.
Il sait que l'ennemi, que ce coup va surprendre,
Désormais sur ses pieds ne l'oseroit attendre,
Et déja voit pour lui tout le peuple en courroux
Crier aux combattants: Profanes, à genoux!
Le chantre, qui de loin voit [a] approcher l'orage,
Dans son cœur éperdu cherche en vain du courage[b] =
Sa fierté l'abandonne, il tremble, il cède, il fuit.
Le long des sacrés murs sa brigade le suit :

Tout s'écarte à l'instant; mais aucun n'en réchappe;
Par-tout le doigt vainqueur les suit et les rattrape.
Évrard seul, en un coin prudemment retiré,

Se croyoit à couvert de l'insulte sacré [c];

« tient si bien sa place. » (Tableau annuel de la littérature, t. Io1, page 321:)

[a] Le mot voit est employé un vers plus haut.

[b] Avec quel art Despréaux perfectionne ce qu'il emprunte! La matière de ces deux bons vers étoit cachée dans ceux-ci de Chapelain : L'infortuné guerrier, contre ce double orage,

Vainement dans son sein recherche du courage.

(La Pucelle, chant II.)

[c] « L'insulte sacré est un peu gaillard, ce me semble, dit Pradon, « pour une cérémonie qui doit attirer le respect de tout le monde, « et par qui tant de saints évêques ont fait autrefois tant de mi«racles.» (Nouvelles Remarques, page 106.)

Dans une lettre du 10 août 1706, laissée par Despréaux sans réponse, Brossette soumettoit ses doutes à ce dernier, sur le mot insulte, employé deux fois au masculin. Il se seroit épargné d'assez mauvais raisonnements à ce sujet, en ouvrant le dictionnaire de l'académie, édition de 1694 : il y auroit vu la justification de l'auteur du Lutrin. Voyez le tome IV, page 581, notę a.

Mais le prélat vers lui fait une marche adroite:
Il l'observe de l'œil; et tirant vers la droite,
Tout-d'un-coup tourne à gauche, et d'un bras fortuné
Bénit subitement le guerrier consterné [a].

Le chanoine, surpris de la foudre mortelle,
Se dresse, et lève en vain une tête rebelle;
Sur ses genoux tremblants il tombe à cet aspect,
Et donne à la frayeur ce qu'il doit au respect.
Dans le temple aussitôt le prélat plein de gloire
Va goûter les doux fruits de sa sainte victoire :
Et de leur vain projet les chanoines punis

[a] Brossette, dans cet endroit, ayant cité quelques vers de la Secchia rapita, canto V, où le nonce du pape donne des bénédictions aux soldats bolonois qui défilent devant lui, Saint-Marc en conclut que Despréaux imite le poëte italien. Cela n'est pas vraisemblable: le nonce accorde ses bénédictions aux troupes protégées par le pape, il les refuse à Salinguerre, dont la cour de Rome avoit à se plaindre, tandis que le trésorier prodigue les siennes à ses ennemis. Elles sont les dernières armes qui lui restent pour leur arracher la victoire.

K

Nous aimons mieux nous en rapporter au récit de Cizeron-Rival : « Le cardinal de Retz, coadjuteur de Paris, dit-il, étant brouillé avec Monsieur le Prince (le Grand Condé), un jour ce cardinal faisoit «< la procession avec son clergé, quand M. le prince vint à passer, « et rencontra la procession. Il descendit de son carrosse. Monsieur « le coadjuteur le voyant à pied, s'arrêta, et, se tournant brusque«ment de son côté, affecta de lui donner une grande bénédiction, « et après la lui avoir donnée, il mit le bonnet à la main, et le salua * profondément. Voilà, suivant M. Brossette qui le tenoit de Boileau « même, ce qui a fourni à ce dernier l'idée des bénédictions qu'il « fait donner par le trésorier de la Sainte-Chapelle. » ( Lettres familières de MM. Boileau-Despréaux et Brossette, tome III, Bolœana, page 206.)

S'en retournent chez eux éperdus et bénis [a].

[a] « Voyez, dit Clément, comme la rencontre des chantres et « des chanoines est adroitement amenée vers l'antre de la Chicane ; « comme le combat se prépare et s'anime; comme toutes les circon« stances de cette burlesque bataille, tous les coups portés, toutes « les blessures, sont exactement et poétiquement détaillés! Comme « tous les héros, annoncés dans les chants précédents, y soutiennent « leur caractère par leurs exploits et leurs discours! Quel agrément «< infini dans celui que tient Brontin à Boirude! Quelle richesse les «< comparaisons semées dans le cours du combat n'ajoutent-elles pas « à ce récit ! Que le dernier exploit du chanoine Fabri, si bien orné « et raconté dans le goût antique, termine heureusement ce combat! Et que tout cela est plaisamment conclu par le dévot stratagème « du prélat! Aussi ce cinquième chant du Lutrin est-il un chefd'oeuvre de poésie en son genre, etc. » (Huitième Lettre à M. de Voltaire, page 278.)

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DE leur crime à leurs yeux vat en peindre l'horreur:
Sauve-moi, Sauve-les de leur propre fureur..

Chant VI. Vers 59-40.

J. J. Blaise Libraire, Quai des Augustine.

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