Page images
PDF
EPUB

Plaît par la raison seule, et jamais ne la choque.
Mais pour un faux plaisant, à grossière équivoque,
Qui pour me divertir n'a que la saleté (1),

Qu'il s'en aille, s'il veut, sur deux tréteaux monté,
Amusant le Pont-Neuf(2) de ses sornettes fades,
Aux laquais assemblés jouer ses mascarades.

"

l'auteur, si, lors même qu'il descend à la portée du peuple, il se « fait reconnoître aux honnêtes gens par des scènes où le comique « de mœurs et de caractères perce au milieu de la gaieté bouffonne? « C'est ce que Molière a toujours fait. » ( Cours de littérature, 1821, tome VI, page 290.)

etc.

(1) Mont-Fleury le jeune, auteur de la Femme juge et partie, Quand notre auteur récita cet endroit à M. C...... ( Colbert), ce ministre s'écria: Voilà Poisson, voilà Poisson. Il ne pouvoit souffrir ce comédien, depuis qu'un jour Poisson, faisant le rôle d'un bourgeois, parut sur le théâtre en pourpoint et en manteau noir, avec un collet de point et un chapeau uni, enfin avec un habillement conforme en tout à celui de M. C......, qui par malheur étoit présent, et qui crut que Poisson vouloit le jouer, quoique cela fût arrivé sans dessein. Poisson, qui s'en aperçut, changea quelque chose à son habillement dans le reste de la pièce; mais cela ne satisfit point M. C...... (Brossette.). Antoine Jacob de Mont-Fleury, né en 1640, mort en 1685, se fit recevoir avocat, et ne travailla que pour le théâtre. Il connoît la scène, il a de l'esprit et de la vivacité dans le dialogue; mais il blesse trop souvent la décence. Il étoit fils du comédien Mont-Fleury, qui composa la tragédie de La mort d'Asdrubal.

[ocr errors]

Raimond Poisson, mort en 1690, auteur du Baron de la Crasse, du Fou de qualité, etc., étoit connu sous le nom de Crispin, parcequ'il aimoit à jouer ce rôle dont l'invention lui est attribuée. Un de ses fils (Philippe ), mort en 1743, a composé le Procureur arbitre, l'Impromptu de campagne, etc. Il étoit acteur comme son père.

(2).... M. Despréaux disoit des mauvaises pièces de théâtre qu'elles n'étoient bonnes qu'à jouer en plein air. ( Brossette.)

CHANT IV.

Dans Florence jadis vivoit un médecin,
Savant hâbleur, dit-on, et célébre assassin.
Lui seul y fit long-temps la publique misère :
Là le fils orphelin lui redemande un père;
Ici le frère pleure un frère empoisonné.
L'un meurt vide de sang, l'autre plein de séné[a];
Le rhume à son aspect se change en pleurésie,
Et par lui la migraine est bientôt frénésie.
Il quitte enfin la ville, en tous lieux détesté.
De tous ses amis morts un seul ami resté
Le méne en sa maison de superbe structure.
C'étoit un riche abbé, fou de l'architecture.
Le médecin d'abord semble né dans cet art,
Déja de bâtiments parle comme Mansart [b]:
D'un salon qu'on élève il condamne la face;

[a] Vers devenu proverbe.

[b] François Mansart, né à Paris en 1598, mort en 1666, est inventeur de cette sorte de couverture que l'on appelle Mansarde. Cet architecte donna son nom à Jules Hardouin, son neveu et son élève, qui a construit le château de Versailles, l'hôtel des Invalides, etc. Ce dernier passe pour inférieur à son oncle dans beaucoup de parties de son art; il mourut en 1708. Né en 1645, il avoit à peine vingtneuf ans lorsque l'Art Poétique fut publié, et ne devoit pas encore être bien connu. Despréaux écrit Mansard, suivant l'usage.

Au vestibule obscur il marque une autre place;
Approuve l'escalier tourné d'autre façon [a].
Son ami le conçoit, et mande son maçon.

Le maçon vient, écoute, approuve et se corrige.
Enfin, pour abréger un si plaisant prodige [b],
Notre assassin renonce à son art inhumain;
Et désormais, la règle et l'équierre [c] à la main,
Laissant de Galien [d] la science suspecte [e],

[a] Brossette trouvoit trop hardie l'ellipse que ce vers présente. Il soumit ses doutes à Despréaux; mais celui-ci lui fit sentir que cette heureuse hardiesse étoit suffisamment préparée par le vers qui la précède. Voyez la lettre du 2 août 1703, tome IV, page 478.

[b] « Que veut dire abréger un prodige? Il veut dire pour ne pas a ennuyer le lecteur d'un si plaisant prodige; mais abréger un si plai« sant prodige est une expression que je ne crois pas françoise. (Nouvelles Remarques, page 96.) Cette critique, l'une des moins hasardées de Pradon, est adoptée par Saint-Marc. Cependant les phrases antécédentes expliquent l'ellipse qu'ils condamnent; elle est usitée, et le lecteur supplée ce qui est sous-entendu. C'est comme s'il y avoit « Pour abréger le récit d'un si plaisant prodige. »

[c] Les éditions avouées par Despréaux, depuis 1674 jusqu'en 1713 inclusivement, celles de Brossette, de Saint-Marc, etc., écrivent équierre. Dans les éditions de MM. Didot, Crapelet, Daunou, etc., on lit équerre, qui est le mot autorisé par l'usage actuel. « Quelques uns écrivent équierre, » dit le dictionnaire de l'académie françoise, édition de 1694.

[d] Claude Galien, le plus grand médecin de l'antiquité après Hippocrate, naquit sous l'empire d'Adrien, vers l'an 131 de l'ère vulgaire, à Pergame, ville de l'Asie mineure, fameuse par son temple d'Esculape. L'opinion la plus vraisemblable sur la durée de son existence est celle de Suidas, qui le fait vivre l'espace de soixante-dix ans. Les nombreux ouvrages qui nous restent de lui sont écrits en grec, dans un style abondant et prolixe.

De méchant médecin devient bon architecte [a].

1

Son exemple est pour nous un précepte excellent. Soyez plutôt maçon, si c'est votre talent [b], |

[e] Aux yeux de Saint-Marc, cette épithète expressive est amenée par le besoin de la rime.

[ocr errors]

[a] Chaque objet, sous la plume de Despréaux, reçoit si bien les couleurs qui lui sont propres, qu'il n'avoit pas besoin de recourir aux épisodes, pour éloigner le reproche de monotonie. Il n'a pourtant pas voulu priver entièrement son ouvrage de l'agrément qu'ils pouvoient y ajouter; c'étoit d'ailleurs un moyen de se venger de Claude Perrault. « En même temps qu'il donne un précepte, « dit Louis Racine, il donne par son style l'exemple du précepte. «S'il parle de l'ode et des différents sujets qu'elle peut traiter, il « prend le style élevé, gracieux ou tendre, suivant ces différents sujets. Son style doux et naturel, quand il parle de l'idylle, se « change en un style lugubre quand il vient à l'élégie. Il enlève par « le style le plus pompeux, en parlant de la poésie épique; et lui« même remue le cœur en apprenant aux poëtes tragiques à le re« muer. Il a su même, dans un si noble sujet, prendre un moment << le ton familier et badin, en racontant l'histoire de ce médecin,

[ocr errors]

« Savant hâbleur, dit-on, et célèbre assassin;

« de manière qu'il a exécuté ce qu'il recommande aux autres, quand « il leur dit qu'il faut

d'une main légère

« Passer du grave au doux, du plaisant au sévère. »

(Réflexions sur la poésie, chap. VII, sur la poésie didactique, p. 346 du tome II des œuvres de Louis Racine, in-8°, 1808. )

[b] On lit 1° dans la première Réflexion critique, tome III, p. 159, les motifs que le poëte croyoit avoir de se venger de Claude Pérrault; 2° dans une lettre écrite en 1676 au duc de Vivonne, les suites de son démêlé avec ce médecin-architecte. Celui-ci se récria contre une injure dont il ne pouvoit s'offenser, puisqu'il n'étoit pas nommé. Employé dans les bâtiments du roi, il porta même sa plainte à Colbert qui en avoit la surintendance. Au lieu de se disculper,

Ouvrier estimé dans un art nécessaire,
Qu'écrivain du commun [a], et poëte vulgaire.
Il est dans tout autre art des degrés différents [b],
On peut avec honneur remplir les seconds rangs;
Mais dans l'art dangereux de rimer et d'écrire,
Il n'est point de degrés du médiocre au pire;
Qui dit froid écrivain dit détestable auteur [c].

Despréaux fit rire le ministre par cette plaisanterie : « Il a tort de se

[ocr errors]

plaindre, je l'ai fait précepte. » Voyez sur Claude Perrault le tome I, satire IX, page 252, note a.

[a] C'est par erreur qu'il y a dans l'édition de M. Daunou,

ou poëte vulgaire.

La leçon que nous avons suivie est celle de toutes les autres éditions. [b] . Certis medium et tolerabile rebus

Rectè concedi.

Mediocribus esse poetis

Non homines, non dî, non concessere columnæ.

(Horace, Art Poétique, vers 368–373. ) [c] Au lieu de ce vers et des trois suivants, il y dans les éditions antérieures à celle de 1701:

avoit ceux-ci

Les vers ne souffrent point de médiocre auteur,
Ses écrits en tous lieux sont l'effroi du lecteur;
Contre eux dans le Palais les boutiques murmurent,
Et les ais chez Billaine (1) à regret les endurent.

Voici les raisons principales que Brossette donne de ce changement: 1o Le mot médiocre se trouvoit répété dans le premier vers; 2° les mots qui terminent ce vers se lioient mal avec ceux qui commencent le second; 3° ces quatre vers, foiblement imités d'Horace, étoient une amplification des précédents; 4° ceux qui les remplacent confirment la règle par des exemples.

L'abbé Paul Tallemant regrettoit les deux derniers vers, qui sont

(1) Fameux libraire. ( Despréaux, édition de 1674.)

« PreviousContinue »