dérangerait rien. Il voit à ses pieds une feuille de rose, il la ramasse, il la pose délicatement sur la surface de l'eau, et [fait si bien] qu'il n'en échappe pas une seule goutte. A cette réponse ingénieuse, tout le monde [battit des mains]; on laissa dormir les règles pour ce jour-là, et le docteur Zeb fut reçu par acclamation. On lui présenta sur-le-champ le registre de l'Académie, où les récipiendaires devaient s'inscrire eux-mêmes. Il s'y inscrivit donc ; et [il ne lui restait plus qu'à prononcer, selon l'usage, une phrase de remercîment. Mais en académicien vraiment silencieux, le docteur Zeb remercia sans dire mot. Il écrivit en marge le nombre 100; c'était celui de ses nouveaux confrères; puis en mettant un zéro devant le chiffre, il écrivit au-dessous : [Ils n'en vaudront] ni moins ni plus.―0100.-Le président répondit au modeste docteur avec autant de politesse que de présence d'esprit. Il mit le chiffre un- -1-devant le nombre cent, et il écrivit : ils en vaudront dix fois d'avantage.-1100. L'Abbé Blanchet. (XII.)-LES DEUX CHARRUES. Le soc d'une charrue, après un long repos, "Forgés des mêmes bras, de semblable matière, H (XIII.)-LE CHÊNE ET LE ROSEAU. LE chêne un jour dit au Roseau : Vous oblige à baisser la tête; Tout vous est aquilon : tout me semble zéphyr ; Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des royaumes du vent. Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots, Que le nord eût portés jusque-là dans ses flancs. Le vent redouble ses efforts; Celui de qui la tête au ciel était voisine, Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts. La Fontaine. (XIV.) L'INCONnue. Au temps de ma jeunesse, il m'arriva une aventure singulière, qui m'a laissé d'inéffaçables souvenirs, et dont le récit est de nature à faire frissonner les plus intrépides. J'avais à-peine vingt ans; mon père, selon la coutume des pères de province, m'avait envoyé à Paris pour y faire mon droit. Naturellement [ami de l'étude,] je prenais peu de part aux plaisirs frivoles de la capitale, et tous les miens consistaient à suivre avec ardeur les leçons des savants professeurs qui prodiguaient les trésors de l'instruction à cette jeunesse studieuse accourue de tous les points de la France. La Révolution [venait d'éclater] et avec elle toutes les fureurs de la démagogie. La terreur était à l'ordre du jour, le sang ruisselait de toutes parts les sciences elles-mêmes, si étrangères aux débats politiques souffraient de cet état d'anarchie; les écoles étaient fermées, chacun alors songeant bien moins à s'instruire qu'à pourvoir à sa sûreté, et moi, confiné dans une petite chambre du faubourg Saint-Jacques, je bénissais mon heureuse obscurité, et, [réduit à fuilleter] solitairement Cujas et Barthole, j' attendais avec impatience des jours plus heureux. Un soir que j'étais resté dehors plus tard que de coutume, je traversais d'un pas rapide les vieux quartiers du Marais pour regagner mes paisibles pénates. Arrivé à cette place de Grève dont le nom se rattache à tant d' affreux souvenirs, le premier objet qui frappa mes regards fut l'échafaud encore dressé en face de l'Hôtel-deVille. A cette époque, le terrible instrument de mort était en permanence, et ce jour avait vu immoler de nombreuses victimes; saisi d'horreur, j'allais faire un grand détour pour éviter la hideuse machine, lorsqu'à la lueur d'un sinistre fanal il me sembla voir quelque chose s'agiter lentement au pied de l'échafaud: j'eus de tout temps un caractère romanesque et aventureux; ma première pensée fut que c'était quelque infortuné, condamné à d'éternels regrets par un arrêt du tribunal sanguinaire, et que mes secours pourraient ne pas lui être inutiles. Plein de cette idée je m'avançai avec assurance, et bientôt je distinguai une femme vêtue de noir, assise au-bas de la fatale échelle. Son visage, extrêmement pâle, était d'une beauté ravissante; un large collier noir serré autour de son cou, en faisait ressortir la blancheur éclantante. Elle paraissait en proie à ce muet désespoir mille fois plus effrayant que les cris et les sanglots. Les longues tresses de ses beaux cheveux noirs flottaient au gré des vents, et son regard morne était attaché sur cet autel sanglant, où sans doute elle avait vu périr ce qu'elle avait de plus cher au monde. Emu de compassion, je m'approchai d'elle et m'efforçai par de douces paroles, de la tirer de cet état d'abattement qui m'effrayait. Pendant long-temps elle parut insensible à mes consolations; mais peu à peu elle devint plus attentive, et fixa enfin sur moi ses yeux brillants d'une expression singulière. Je respectais sa douleur, et, sans lui faire aucune question, je lui proposai de la reconduire dans sa famille ou auprès de ses amis. "Je n'ai plus d'amis sur la terre!" me répondit-elle d'une voix Sépulcrale."Mais au moins il vous reste un asile ?"-"Oui, le tombeau!" Les larmes me suffoquaient; cette étrangère m'inspirait un intérêt difficile à décrire. Jusqu'à ce jour une application constante à des études abstraites m'avait préservé des écarts de la jeunesse, mais il semblait que cette rencontre extraordinaire eût décidé du sort de ma vie; mon cœur battait avec violence, et je me persuadais que la main du ciel m'avait conduit en cet endroit pour devenir le protecteur de cette femme si belle, si malheureuse, si abandonnée-" Qui-que vous soyez, m'écriaije dans mon exaltation, daignez vous confier à moi! je suis homme d'honneur; je tâcherai de remplacer tout ce que vous avez perdu; je serai votre ami, votre frère, je jure de ne jamais vous abandonner. Répondez. con sentez-vous à me suivre ?" L'inconnue me regarda un instant avec attention, comme pour pénétrer ma pensée ; puis, laissant tomber sa main dans la mienne: "J'y consens, me répondit-elle d'un ton solennel. . . ; partons. . . En même temps elle se leva, prit mon bras qu'elle serra fortement, et nous nous dirigeâmes silencieusement vers les quartiers enfumés de la Sorbonne. Nous arrivons, nous pénétrons dans mon modeste réduit; bientôt un feu brillant, allumé par mes soins, vient réchauffer les membres glacés de l'inconnue; je l'établis dans un fauteuil auprès de la cheminée, et je sors pour lui procurer quelque breuvage beinfaisant . . . Je n'avais été absent qu'un moment; je rentrai, je la trouvai renversée sur le fauteuil; sa tête était penchée en arrière et ses bras étaient pendants: je crus d'abord qu'elle [s'était trouvée mal]. Inquiet, alarmé, je veux la relever, la placer dans une situation plus commode, quel est mon effroi ! ses mains sont froides, son pouls est arrêté; j' interroge son cœur, il avait cessé de battre, l'infortunée n'existait plus! . . Eperdu, hors de moi, j'appelle du secours : l'alarme se répand dans la maison: la police est avertie, le commissaire du quartier se transporte chez moi. On avait déposé le cadavre sur mon lit; l'officier de paix prit un flambeau pour l'examiner; mais à peine l'eut-il envisagé, qu'il s'écria avec un accent terrible : "Grand Dieu! qui donc a conduit cette femme ici?" "Vous la connaissez ?" demandai-je vivement. répondit-il ; "elle a été exécutée ce matin. . ." En parlant ainsi, il détacha le collier noir qui entourait le cou d'albâtre de l'inconnue, et la tête roula sur le parquet. . A cet horrible aspect, je jetai, un cri terrible, et soudain je m'éveillai, je me trouvai dans mon lit; une sueur froide glaçait tous mes membres; j'avais été le jouet d'un songe affreux. Anonyme. "Sans doute," |