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(VII.)-LE PAUvre.

[Il vient de naître], il pleure; et, près de lui, sa mère pleure aussi elle n'a rien à lui donner que sa part de misère. Elle le couvre de haillons; et tandis

que le riche se plaint de l'excessive chaleur de son salon, elle cherche à réchauffer sur son sein glacé son enfant aussi froid qu'elle. Il grandit, et, lorsqu'il commence à comprendre sa misère, et qu'il voit d'autres enfans que le luxe environne, il réfléchit, s'étonne, et voudrait savoir pourquoi ils ne sont pas comme lui, ou lui comme eux; et quand sa mère lui dit: "Prie Dieu, mon fils," il demande ce qu'il a fait à Dieu pour n'avoir ni asile, ni pain, ni vêtements; et sa mère lui répond: "Il t'a béni, mon fils... et si tu restes bon et vertueux, tu seras là-haut, plus riche que tous les riches ;" puis elle se détourne et pleure...

L'enfant grandit encore... il est homme, et tous les jours passent, pour lui, semblables les uns aux autres : un peu plus, ou un peu moins de misère, forme le soir tous ses souvenirs.

Il travaille, mais son pain arrosé de sueur lui suffit à peine. Humilié, maltraité, il traverse la vie, et n'a rien à lui que cette vie qu'il voudrait quitter. Il peut mourir de faim en ayant sous les yeux tout ce qui peut faire vivre; et lorsqu'il a tous les besoins, on exige de lui toutes les vertus.

Il meurt; près de lui, nul ami n'est là pour l'aider à souffrir et pleurer sur lui: il meurt, et sa misère le prive des prières de ceux qui se sont établis entre Dieu et les hommes, de ceux qui prêchent la charité et vendent leurs paroles et leurs pas. Le char roule: il arrive; et, dans ce lieu où l'égalité n'est qu'un mot, sa misère le suit jusque sous la terre, sous cette terre humide et froide qui lui sert à-la-fois da linceul, de bière, and de tombe...

Infortuné! sa mort, aussi triste que sa vie, n'est connue de personne; et c'est en riant qu'on recouvre son corps jusqu'à ce que la bêche égalise la terre qui le cache, à celle que l'on foule sans jamais penser qu'elle n'est qu'un amas de poussière autrefois vivante. Madame Waldor.

(VIII.)-CONVOI D'UNE JEUNE FILLE.

Quand Louise mourut, à sa quinzième année,
Fleur des bois par la pluie et le vent moissonnée,
Un cortége nombreux ne suivit pas son deuil :
Un seul prêtre, en priant, conduisait le cercueil,
Puis venait un enfant qui d'espace en espace
Aux saintes oraisons répondait à voix basse;
Car Louise était pauvre, et jusqu'en son trépas,
Le riche a des honneurs que le pauvre n'a pas.
La simple croix de buis, un vieux drap mortuaire,
Furent les seuls apprêts de son lit funéraire ;
Et quand le fossoyeur soulevant son beau corps,
Du village natal l'emporta chez les morts,
A peine si la cloche avertit la contrée

Que sa plus douce vierge en était retirée.
Elle mourut ainsi. . . . Par les taillis couverts,
Les vallons embaumés, les genêts, les blés verts,
Le convoi descendit au lever de l'aurore.
Avec toute sa pompe, avril venait d'éclore,
Et couvrait, en passant, d'une neige de fleurs
Ce beau sein virginal, et le baignait de pleurs;
L'aubépine avait pris sa robe rose et blanche,
Un bourgeon étoilé tremblait à chaque branche;
Ce n'était que parfums et concerts infinis :

Tous les oiseaux chantaient sur le bord de leurs nids.
A. Brizeux.

(IX.)-L'ARABE ET SON CHEVAL.

On

LES Arabes étendent leur humanité jusqu'à leurs chevaux : jamais ils ne les frappent. Ils les dressent [à force de] caresses, et ils les rendent si dociles, qu'il n'y en a point dans le monde qui leur soient comparables en beauté et en bonté. Ils ne les attachent point dans leurs camps; ils les laissent errer en paissant aux environs, d'où ils accourent à la voix de leurs maîtres. Ces animaux dociles viennent la nuit se coucher dans leurs tentes, au milieu des enfants, sans jamais les blesser. Si un cavalier tombe dans une course, son cheval s'arrête sur-le-champ, et reste auprès de lui sans le quitter. Ces peuples sont parvenus, par l'influence invincible d'une éducation douce, à faire de leurs chevaux les premiers coursiers de l'univers. ne peut lire sans attendrissement ce que rapporte à ce sujet le vertueux consul d'Hervieux, dans son voyage du Liban.-Un pauvre Arabe du désert avait pour tout bien une magnifique jument: le consul de France à Smyrne lui proposa de la lui vendre, dans l'intention de l'envoyer à Louis XIV. L'Arabe, pressé par le besoin, balança longtemps; enfin il y consentit, et en demanda un prix considérable. Le consul, n'osant de son chef donner une si grosse somme, écrivit à Versailles pour en obtenir l'agrément de la cour. Louis XIV. donna ordre qu'elle fût achetée. Le consul mande sur-le-champ l'Arabe, qui arrive monté sur sa belle coursière, et on lui compte l'or qu'il en avait demandé. L'Arabe, couvert d'une pauvre natte, [met pied à terre], regarde l'or; il jette ensuite les yeux sur sa jument, il soupire, et lui dit : "A qui vais-je te livrer? A des Européens, qui t'attacheront, qui te battront, qui te rendront malheureuse; reviens avec moi, ma belle, ma mignonne, ma gazelle; sois la joie de mes enfants." En disant ces mots, il sauta dessus et reprit la route du désert.

Bernardin de St. Pierre.

(x.)-LA JEUNE AVEUGLE.

A cet âge heureux de la vie
Où tout séduit et paraît beau,

Mes yeux sont couverts d'un bandeau :
La lumière hélas! m'est ravie !

Ma bonne sœur, guide mes pas tremblants;
Je veux m'asseoir sur les vertes fourgères,
Au milieu des bergères

Qui chantent le printemps.

Ah! qu'il est doux de voir éclore
La verdure et l'émail des fleurs !
Ou de voir briller les couleurs
Où se peint la naissante aurore!

Ma bonne sœur, guide mes pas tremblants,
Je veux m'asseoir sur les vertes fougères,
Au milieu des bergères

Qui chantent le printemps.

Du moins dans cette nuit cruelle
Dont gémit mon cœur attristé,

Le plus grand des biens m'est resté :
Ma sœur, ma compagne fidèle !

Ma bonne sœur, guide mes pas tremblants;
Je veux m'asseoir sur les vertes fougères,
Au milieu des bergères

Qui chantent le printemps.

A. Bétourné.

(XI.)-L'ACADEMIE SILENCIEUSE.

IL y avait à Amadan une célèbre Académie, dont le premier statut était conçu en ces termes: Les Académiciens penseront beaucoup, écriront peu, et ne parleront que le moins qu'il sera possible. On l'appelait l'Académie silencieuse, et il n'était point en Perse de vrai savant qui n'eût l'ambition d'y étre admis. Le docteur Zeb, auteur d'un petit livre excellent, intitulé le Bâillon, apprit, au fond de sa province, qu'il vaquait une place dans l'Académie silencieuse. Il part aussitôt; il arrive à Amadan; et, se présentant à la porte de la salle où les académiciens sont assemblés, il prie l'huissier de remettre au président ce billet: Le docteur Zeb demande humblement la place vacante. L'huissier s'acquitta sur-le-champ de la commission; mais le docteur et son billet arrivaient trop tard, la place était déjà remplie.

L'Académie fut désolée de ce contre-temps; elle avait reçu, un peu malgré elle, un bel esprit de la cour, dont l'éloquence vive et légère faisait l'admiration de tous les cercles, et elle se voyait réduite à refuser le docteur Zeb, le fléau des bavards; une tête si bien faite, si bien meublée! Le président, chargé d'annoncer au docteur cette nouvelle désagréable, ne pouvait presque s'y résoudre, et ne savait comment s'y prendre. Après avoir un peu révé, [il fit remplir d'eau] une grande coupe, mais si bien remplie, qu'une goutte de plus eût fait déborder la liqueur; puis il fit signe qu'on introduisît le candidat. Il parut avec cet air simple et modeste, qui annonce presque toujours le vrai mérite. Le président se leva, et, sans proférer une seule parole, il lui montra, d'un air affligé, la coupe emblématique, cette coupe si exactement pleine. Le docteur comprit du reste qu'il n'y avait plus de place à l'Académie; mais sans perdre courage, il songeait à faire comprendre qu'un académicien surnuméraire n'y

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