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(XXIII.)-AMÉLIE.

Loin du beau ciel où j'ai reçu le jour,
Quand je fuyais, pauvre, errant, sans patrie,
Je n'emportais, hélas! que mon amour;
Je te suivrai, m'a dit mon Amélie.

A mes destins le sien s'était lié ;
Aucuns périls n'ont lassé sa constance.
Nous partagions le pain que la pitié,
Sans nous connaître, offrait à l'indigence.

Je respirais en pressant sur mon cœur
Le bien qui seul m'attachait à la vie

;

Rien aujourd'hui ne manque à mon malheur ; J'ai tout perdu. . . Je n'ai plus d'Amélie !!

Elle épuisa, sous un ciel rigoureux,

Du sort jaloux la colère funeste;

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Sous un cyprès, triste ami des tombeaux,
J'ai déposé son urne solitaire,

Ma main tremblante y gravera ces mots :
Ici périt une fleur étrangère.

Coupigny.

(XXIV.)-LA PRIÈRE DU VIEILLARD.

Le soir d'un beau jour d'été, fatigué de la chaleur, je sortis pour respirer le frais.

J'allai m'asseoir dans un bosquet voisin, pour considérer à loisir tant de merveilles; et là je me livrais à toutes les réflexions que peut inspirer un spectacle si doux, lorsque le son d'une voix vint tirer mon âme de l'enchantement où elle était plongée. Cette voix me paraissant peu éloignée, j'écartai sans bruit les branches épaisses, qui me [laissèrent entrevoir] non loin de moi un homme d'un grand âge.

Sa tête presque chauve, son visage noble et serein, sa barbe ondoyante et blanchie par ses longues années, imprimaient un saint respect. Il était à genoux sous un chêne, dont le tronc, vainqueur du temps, produisait encore des jets vigoureux. Les yeux élevés vers le ciel, il parlait vivement. J'écoutai en silence, et j'entendis cette prière majestueuse et touchante, qui partait d'un cœur tout plein de la divinité qu'il invoquait.

"O toi, dont la nature entière manifeste avec tant de grandeur l'existence et le pouvoir infini; père des hommes, du haut de ce trône sublime qu'environnent des chœurs innombrables d'esprits purs qui vivent de ton amour, qui brûlent de tes feux, et célèbrent sans cesse sur des harpes ravissantes tes louanges divines, daigne un moment écouter un faible mortel, et recevoir son hommage.

"Au milieu du silence de la nuit, j'élève ma voix, et je viens adorer cette Intelligence éternelle qui m'a tiré du néant.

"L'univers, grand Dieu! est ton temple. Eclairés, le jour, par le soleil éblouissant, qui est ton image, et parsemés pendant la nuit, d'étoiles étincelantes, qui forment ta couronne, les cieux immenses sont la voûte de ce temple magnifique, et l'homme innocent et pur en est le prêtre.

"Oh! comment d'insensés mortels ont-ils pu mé

connaître cette sagesse visible, universelle, qui gouverne le monde avec tant d'éclat ? Comment à l'aspect de ces globes rayonnans qui roulent au-dessus des nues, des mers profondes qui embrassent ta terre et rapprochent les nations, de ces trésors répandus avec tant de profusion sur sa surface et dans ses entrailles; comment donc, environnés de tant de prodiges, en ont-ils oublié l'auteur ?

"Je te bénis Dieu suprême, de m'avoir fait naître dans les champs, loin des cités corrompues, et d'avoir éloigné de mon cœur l'orgueil et l'ambition: grâce à ta bonté paternelle, je jouis depuis un siècle des seuls vrais biens de la vie, la paix de l'âme, et l'heureuse médiocrité.

:

"Jamais tu n'as cessé de me prodiguer les dons de ton amour; mes derniers jours encore sont tous marqués par tes bienfaits d'abondantes moissons remplissent mes greniers; tu arroses mes prairies, tu donnes la fécondité à mes troupeaux, tu fertilises mes vignobles, ta main couvre mes arbres de fleurs et de fruits, que n'ont jamais ravagés le violent Africus, ni l' Auster orageux.

"Pour comble de félicité, tu m'as conservé ma compagne paisible et nos deux enfans dont la tendresse fait le charme de nos vieux jours: mon Dieu, je n'ai plus rien à désirer, que de mourir avant eux.

"Je le sens, je touche au terme de ma carrière; bientôt j'irai mêler ma cendre à celle de mes pères. Quand on m'aura descendu dans leur tombeau, protecteur de ma longue vie, je te recommande mes enfans, prends pitié de leur tendre mère; veille du haut des cieux sur des têtes si chères: ô mon Dieu, ne les abandonne jamais!"

En achevant ces mots, ses yeux s'emplirent de larmes, de profonds soupirs s'exhaloient de son cœur; il respirait à peine. Je crus voir alors je ne sais quoi de divin briller sur le front de ce vieillard vénérable. Il se leva, et d'un pas tranquille se retira dans sa demeure, cù je l'entendis encore bénir longtemps l'Etre suprême.

(XXV.)—L'ENFANT ET LES NOISETTES.

QUE j'aime une image naïve
Qui soit en apparence une leçon d'enfant,
Et qui pour le sage instructive

Renferme un précepte important!

Les grandes vérités charment sous cette écorce;
On ne les attend point, et d'abord on les voit;
Cette surprise y donne de la force.

Un exemple, dit-on: eh bien, exemple; soit.
Philosophiquement, si je vais dire à l'homme,
Contente-toi de médiocrité ;

Il ne t'en coûtera le repos ni le somme;
Tu l'auras sans difficulté.

Mais par mille projets je te vois agité;
Tes désirs n'ont point de limite;
Toutes fortunes sont [å ton gré] trop petites;
Tu veux tout; tout échappe à ton avidité.
Belles leçons! mais l'homme y bâille,
Que faire pour le réveiller?

Or voici comme j'y travaille;

Je lui conte une fable; il cesse de bâiller.

Un jeune enfant, je le tiens d'Epictète,
Moitié gourmand et moitié sot,

Mit un jour sa main dans un pot

Où logeait mainte figue avec mainte noisette.
Il en emplit sa main tant qu'elle en peut tenir;
Puis veut la retirer; mais l'ouverture étroite
Ne la laisse point revenir.

Il n'y sait que pleurer; en plainte il se consomme ;
Il voulait tout avoir et ne le pouvait pas.

Quelqu'un lui dit (et je le dis à l'homme), N'en prends que la moitié, mon enfant; tu l'auras.

La Motte.

(XXVI.)-APOLOgue.

'COSROÈS, roi de Perse, dit le philosophe Sadi, avait un ministre dont il était content et dont il se croyait aimé. Un jour ce ministre vint lui demander la permission de se retirer. Cosroès lui dit: Pourquoi veux-tu me quitter? J'ai fait tomber sur toi la rosée de ma bienfaisance, mes esclaves ne distinguent point tes ordres des miens: je t'ai approché de mon cœur, ne t'en éloigne jamais.-Mitrane (c'était le nom du ministre), répondit: O roi! je t'ai servi avec zèle, et tu m'en as trop récompensé; mais la nature m'impose aujourd'hui des devoirs sacrés; laissemoi les remplir; j'ai un fils, il n'a que moi pour lui apprendre à te servir un jour comme je t'ai servi.—Je te permets de te retirer, dit Cosroès, mais à une condition : parmi les [hommes de bien] que tu m'as fait connaître, il n'en est aucun qui soit aussi digne que toi d'éclairer et d'élever l'âme de mon fils; finis ta carrière par le plus grand service qu'elle puisse rendre aux autres hommes; qu'ils te doivent un bon maître; je connais la corruption de la cour, il ne faut pas qu'un jeune prince la respire: prends mon fils, et [va l'instruire avec le tien] dans la retraite, au sein de l'innocence et de la vertu.

Cosroès sentit il s'en plaignit

Mitrane partit avec les deux enfans, et après cinq ou six années, il revint avec eux auprès de Cosroès, qui fut charmé de revoir son fils, mais qui ne le trouva pas égal en mérite au fils de son ancien ministre. cette différence avec une douleur amère, et à Mitrane. O roi! lui dit Mitrane, mon fils a fait un meilleur usage que le tien, des leçons que j'ai données à l'un et à l'autre, mes soins ont été également partagés entre eux; mais mon fils savait qu'il aurait besoin des hommes, et [je n'ai pu cacher au tien] que les hommes auraient besoin de lui.

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