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les véritables lois qui régissent notre langue, ils eussent rendu d'incontestables services à l'enseignement. Mais ce ne sont que des aperçus, souvent pleins de profondeur, sur des questions de métaphysique, bons pour ceux qui aiment à se bercer l'intelligence dans de vaporeuses généralités, et assez peu utiles à ceux qui veulent apprendre. Et puis M. Lemare, loin de coordonner d'après les faits le système qu'il voulait établir, a eu le grave tort de courber les faits à son système, ce qui détruit complètement l'autorité de ses doctrines. On peut également reprocher à l'estimable M. Boniface d'avoir donné pour base à ses principes des faits qu'il a lui-même inventés, forgés. Mieux que personne pourtant il devait savoir que ce n'est que dans les ouvrages de nos grands écrivains qu'il faut chercher ses autorités, et qu'il est ridicule à un grammairien, quelle que soit d'ailleurs sa supériorité, de prétendre dicter à tout un peuple les lois du beau langage.

Liberté pleine et entière à chacun de conserver son rituel et son rudiment, de s'imposer des règles, d'y croire et de les suivre. Ce qui n'est plus permis, a dit M. Charles Nodier, c'est de les prescrire tyranniquement aux autres. Le réseau de Restaud et de Lhomond est devenu trop lâche et trop fragile pour emprisonner l'esprit de nos écrivains.

C'est dans le but de régénérer la grammaire, en lui donnant un nouvel aliment par l'observation de la nature et à l'aide d'une étude plus soignée des faits, que cet ouvrage a été entrepris : nous avons voulu fonder un enseignement national, en remplaçant enfin toutes ces grammaires des grammairiens par la grammaire des grands écrivains. Aussi, avec quelle ardeur, quel enthousiasme ne fut pas accueillie la Grammaire Nationale, non seulement dans toutes les parties de la France, mais encore à l'étranger! C'est que cet ouvrage, bien différent de tous ceux qui l'avaient précédé, n'établissait pas de règles à priori; c'est que, pour la première fois, il montrait le génie de la langue se développant sous la main de nos grands hommes; c'est qu'il était comme l'écho vivant de l'usage. Personne ne s'y est trompé, et si nous avions pu douter un seul instant du succès de notre livre, l'éloge qu'en ont fait les organes de l'opinion publique, les suffrages dont l'ont honoré la plupart des sociétés savantes, auraient suffi pour dissiper nos craintes, et nous convaincre que nous avions atteint le but que nous nous étions proposé (1). Mais un accueil aussi flatteur ne nous a pas aveuglés sur les imperfections de notre livre.

Dans cette dernière édition, nous nous sommes efforcés d'en améliorer tout à la fois le plan de l'exécution. Plusieurs parties ont été complétées; d'autres ont été refondues en entier. Quant aux citations, nous avons préféré nous priver de certaines

(1) La Grammaire Nationale a été approuvée par l'Athénée des Arts, la Société des Méthodes, la Societé Grammaticale de Paris, la Societé d'Emulation pour le perfectionnement de l'instruction primaire en France, etc.

IV

phrases, plutôt que de citer des ouvrages éphémères, ou d'admettre des noms indignes à la compagnie de Voltaire, de Rousseau, de Bossuet, de Racine et de Fénelon. Nous avons également supprimé tout ce qui touchait à la polémique, car nous vivons dans un temps où la jeunesse a trop de choses utiles à apprendre. En un mot, nous n'avons rien négligé pour donner à notre œuvre tous les perfectionnements dont elle était susceptible; nous avons voulu offrir à la France un ouvrage digne d'elle, un livre éminemment français, en un mot une grammaire nationale.

Aujourd'hui que l'on commence à rougir tout à la fois des écarts de la pensée et des erreurs du style; que les livres qu'enfantait l'esprit déréglé de quelques écrivains ont passé de mode; qu'on en est revenu à la nature, à la vérité, au bon goût, cet ouvrage, destiné à ramener la langue dans les limites raisonnables que nos grands écrivains ont su respecter sans rien perdre de leur essor et de leurs prodigieux avantages, ne peut manquer d'obtenir les suffrages universels, et il restera, nous en avons l'espoir, comme le monument le plus imposant qu'on ait jamais élevé à la gloire de notre langue.

GRAMMAIRE EN FRANCE,

ET PRINCIPALEMENT DE LA

GRAMMAIRE NATIONALE,

AVEC QUELQUES OBSERVATIONS PHILOSOPHIQUES ET LITTERAIRES
SUR LE GÉNIE, LES PROGRÉS ET Les vicissitudes DE LA LANGUE FRANÇAISE;

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Ainsi parle, en son chapitre de la grammaire, l'auteur du Regnars traversant les voyes périlleuses du monde, livre imprimé le 25 janvier 1530, par Philippe Lenoir, l'un des deux relieurs jurés de l'Université de Paris. On voit qu'il y a trois cents ans la grammaire n'inspirait pas confiance entière. C'est encore l'avis de MM. Bescherelle, qui viennent de publier le Répertoire le plus complet de nos règles grammaticales. Après avoir lu et examiné leur court Résumé de toutes les Grammaires, vaste trésor de toutes les acceptions, concordances, idiotismes, gallicismes, employés par nos écrivains de tous les siècles, on est plus que jamais tenté de répéter: Qui se fye en sa grammaire s'abuse, etc., etc.

Si la grammaire s'est trouvée en butte à plus d'une défiance et d'un quolibet, elle l'a bien mérité. Il faut avouer que les grammairiens ont eu d'étranges imaginations. Depuis l'imprimeur Geoffroy Thory, qui publiait au commencement du seizième siècle son Champ-Fleury, dont les fleurs sont fleurs de syntaxe et les platesbandes semées de gérondifs, jusqu'à M. Lemare qui damne hardiment tous ses prédécesseurs, les cultivateurs de la syntaxe ont souvent prété à la plaisanterie. On ferait une longue liste de leurs folies et de leurs absurdités. Vaugelas pose en principe (devinez son motif, je l'ignore), que l'on ne peut et ne doit pas dire les père et mère. Cela n'empêche pas, depuis trois cents ans, les fils de parler de leurs père et mère, malgré Vaugelas. Les rudiments affirment unanimement qu'après un comparatif, le subjonctif est indispensablement nécessaire. Cependant Pascal écrit cette excellente phrase: Il faut donner aux hommes le plus de liberté que l'on peut. Tout le monde avoue la légitimité de cette manière d'employer l'indicatif. Que l'on puisse serait une faute grossiere.

L'auteur du Dictionnaire des Dictionnaires cherche l'étymologie de l'interjection bah! et il l'explique ainsi, fort gravement :

BAR! interjection, qui équivaut à mon étonnement est bas! c'est-à-dire j'y mets peu d'importance. Voilà une bien jolie étymologie!

Du temps de La Bruyère, les grammairiens et les gens du monde formèrent une ligue contre le mot car; le mot car survécut aux grammairiens et aux marquis. Souvent les écrivains jaloux ont fait cause commune avec les pédants, pour jouer pièce aux hommes de génie. Montesquieu avait dit: Le peuple jouit des refus du prince, et le courtisan de ses grâces. Cette sentence si lucide, si concise, si belle, Marmontel la condamne au nom de la grammaire: il prétend que l'ellipse est trop forte. La clarté de la phrase prouve le ridicule de la critique, Mais n'était-il pas naturel et nécessaire que l'auteur des Incas se montrât injuste envers l'auteur de l'Esprit des Lois?

Il est arrivé à Voltaire même, dans son Commentaire sur Corneille, de se livrer à de mauvaises chicanes grammaticales qu'il soutient par de bons mots. Il prétend que ces vers.

Trois sceptres à son trône, arrachés par mon bras,

Parleront au lieu d'elle et ne se tairont pas !

rivalisent en niaiseric avec les vers de M. de la Palisse: Hélas! s'il n'était pas mort, il serait encore en vie. Voltaire est de très mauvaise foi; il sait que le langage prété par le poète aux sceptres qu'il anime, acquiert dans le second hémistiche une éloquence foudroyante, une voix éternelle qui ne se taira plus! C'est une beauté, non une faute. La taquinerie grammaticale rabaisse au niveau des esprits médiocres les esprits supérieurs, les genes les plus brillants.

Les seules fautes de français véritables, ce sont les locutions qui rendent le langage obscur, pénible, équi

(1) Ces observations littéraires et philosophiques sur l'histoire de notre langue, sont extraites des trois beaux articles que le Journal des Débats a bien voulu consacrer à notre ouvrage Nous avons pense que nos lecteurs ne les liraient pas sans interet

voque, établissent confusion, embarrassent le sens, ou détruisent ces teintes et ces acceptions délicates qui constituent le génie de notre langue, et la principale source de ses richesses. L'ouvrage de MM. Bescherelle est neuf, en ce qu'il n'établit pas de théories; il montre le génie de la langue se développant sous la main de nos grands hommes. Les Bossuet et les Pascal, instituteurs que ces messieurs appellent à leur aide, valent bien les Beauzée et les Court de Gébelin. Les enseignements de ces écrivains supérieurs démontrent le ridicule et l'arbitraire de mille prétendues règles qu'il faut savoir violer pour savoir bien écrire. On voit que tous les chefsd'œuvre ont été créés non d'après ces règles, mais souvent malgré elles et en dehors du cercle magique trace par la grammaire sacro-sainte. Les faits sont là qui parlent plus haut que les règles. Les auteurs nouveaux, parcourant toute l'étendue de la syntaxe française, et s'appuyant sur cent mille exemples puisés aux meilleures Sources, indiquent avec une rare justesse, avec une sagacité analytique digne de beaucoup d'éloges, la valeur, l'usage, la place, les variations de chaque mot; les bornes de telle acception; les limites de telle concordance; la nécessité de franchir telle règle accréditée; la légitimité de telle licence qui établit une nouvelle règle dans la règle. C'est une collection unique et fort précieuse : là se trouve éparse toute l'histoire de notre idiome, de ses variations, de ses origines et de ses singularités. Sous la forme d'une compilation et sans afficher de hautes prétentions philosophiques, c'est l'œuvre la plus philosophique et la plus rationnelle dont la langue française ait été depuis longtemps l'objet.

Non que toutes les données des auteurs nous semblent justes et que leur livre soit, selon nous, exempt de lacunes et d'imperfections. Si le plan est excellent et l'exécution en général très distinguée, s'ils ont eu raison de ridiculiser les folles délicatesses de quelques puristes et d'en prouver le peu de fondement; si leur analyse est souvent heureuse et lucide, ils nous semblent avoir poussé bien loin en plusieurs circonstances la tolérance grammaticale, et justifié des fautes réelles par des analyses trop subtiles.

Voici une phrase qu'ils donnent pour correcte: les animaux ont en soi ; n'est-elle pas d'une incorrection frappante? On dit : chacun pense à soi; on ne dira pas : les hommes attachent à soi les animaux. Je sais que l'analogic latine du mot semetipsum pcut justifier jusqu'à un certain point les grammairiens; mais l'usage est roi; ses sentences veulent être écoutées et respectées. Aujourd'hui que l'on parle en France une quarantaine de langues différentes; qui, le gaulois de Villehardouin; qui, le français de Marot; qui, un autre français à la Shakespeare, à la Schiller, à l'arlequin; qui, un idiome de taverne, de rue, de café, de coulisse; aujourd'hui que tous ces styles s'impriment; aujourd'hui que chacun s'évertue à créer, comme sous Louis XIII, un petit barbarisme nouveau (s'il est possible, car on a usé le barbarisme), le grammairien doit-il ouvrir la porte toute grande, et, jetant les deux battants à droite et à gauche, proclamer que tout est permis? Ce qui a fait la gloire de Malherbe, génie peu poétique, c'est que, dans un temps littéraire assez semblable au nôtre, il s'est armé de sévérité. Nous accusera-t-on, à ce propos, de pédantisme ou de contradiction? Nous avons loué le principe: nous en blàmons l'abus.

En fait de style et de langage, comme en politique et en philosophic, la lutte est entre la liberté d'une part, et d'une autre la puissance d'ordre et d'organisation; deux excellents principes qui ne doivent pas s'annuler, mais se soutenir; ils s'accordent malgré leur combat. Tout écrivain supérieur est à la fois néologue et puriste. Veut-on fixer à jamais la langue ? On arrête le progrès; on est pédant. Donne-t-on une liberté effrénée aux mots, à leur vagabondage, à leur mixtion, à leurs alliances, à leur fusion, à leurs caprices ? On expose un idiome au plus grand malheur qui puisse lui arriver, à la perte de son caractère propre, à la ruine de son génie. La langue grecque va mourir, lorsque l'empereur Julien se sert d'un grec asiatique; elle n'existe plus, lorsque la princesse Anne Comnène introduit dans la langue de Platon toutes les circonlocutions orientales. Saint Augustin et Tertullien sont des hommes de génie et d'esprit ; mais leur langage romano-africain annonce la chute de l'empire; voilà bien les inflexions et les désinences latines; cela ressemble un peu à l'idiome de Cicéron; hélas! similitude éloignée et trompeuse; le latin ne renaîtra plus, c'est une remarque fort curieuse que les langues se forment, croissent, se renouvellent, mùrissent, et atteignent leur perfection au moyen des idiomes étrangers qu'elles s'assimilent; que cette assimilation seule les soutient, et qu'à la fin de leur carrière cet élément de leur vic, devenant l'élément de leur mort, les corrompt, les étouffe, les écrase et les tue.

Notre langue a de vieux principes, assez mal expliqués jusqu'ici par les scolastiques, mais fondés en raison et que les nouveaux grammairiens ont tort de détruire. Pour le prouver, il faudra bien entrer dans quelques discussions dont le pédantisme et la sécheresse m'effraient d'avance. MM. Bescherelle déclarent que la langue française n'a pas de genre neutre. Nous le retrouvons, effacé, il est vrai, et peu reconnaissable, mais doué de sa signification et de sa valeur propres, dans les verbes il pleut, il tonne, il importe; dans les locutions il y a, il fait beau, il faut; dans les mots en cty, sur lesquels nous ne partageons pas l'avis de la grammaire nouvelle; dans je le veur, je le dois, je l'emporte; où le mot le joue le rôle du pronom neutre des Latins, illud. Pour expliquer ces diverses locutions, MM. Bescherelle ont recours à des procédés analytiques fort savants, trop savants, selon nous. Une phrase excellente de La Bruyère, qu'ils condamnent à tort comme anti-grammacale, prouve que l'acception du mot le est bien celle d'illud, du pronom neutre latin: « Les fourbes croyent aisément que les autres le sont...» Qui peut rien reprendre à cette phrase, d'une clarté parfaite, et où le proDom le est évidemment pour illud, cela?

L'analogie des langues étrangères modernes suffit pour décider la question. Les Allemands et les Anglais ort un neutre distinct qu'ils emploient à tout moment, es et it. Pour traduire dans ces deux langues les phrases que MM. Bescherelle se donnent tant de peine à expliquer, au moyen de longues et savantes analyses, on n'a qu'à employer le neutre allemand ou anglais. Il pleut, «es reignet, it rains; » il faut, « es muss, it must; » Il est vrai, « es ist treuc, it is true.» Les grammairiens nouveaux commentent subtilement l'expression vous l'emportez, qu'ils regardent comme un gallicisme embarrassant. Ce qui les embarrasse, c'est le système qu'ils défendent et la persuasion où ils sont que le n'est pas un pronom neutre, et que nous n'avons pas de neutre. Mais l'emporter n'est pas un gallicisme; c'est la contraction de la locution latine : Falmam tulit, emporter la palme. Les Allemands et les Anglais possèdent aussi cet idiotisme, et ils rendent précisément ce le par leur pronom neutre es et it. — « Eh bien ! ( demande Hamlet dans le drame de Shakespeare) sont-ce les enfants qui

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D

carry it away), et l'emportent? Do the boys carry it away? La traduction est littérale (l'emporter,· le neutre s'y trouve. J'ai peine à croire que la véritable explication de il pleut, soit le ciel pleut. L'analogie la plus étroite lie cette locution aux locutions du même genre: il faut, il vaut mieux, il doit être beau de, etc., que les Anglais traduisent par: it must, it is better, etc. Je sais que le roman de la Rose a dit

Li air pleut et tonne;

mais alors même que Jehan de Meung aurait employé activement le mot pleuvoir (comme cela est arrivé une scale fois à Bossuet), l'analogie des locutions que nous venons de citer, et le fait de leur existence et de leur groupe ne seraient pas détruits. Quittons la théoric; remontons jusqu'à l'origine de ces tournures: il faut, il pleut, il y a,sont évidemment l'expression d'une sénsation subite et positive, qui règle les choses: Pluie, Ne cessité Présence d'un objet. En sauvage dirait : Pluie, nécessité, voici! De ces mots, on a fait des verbes. Dans l'origine ces verbes n'étaient précédés d'aucun pronom; le style marotique a conservé cette primitive et rude forme: Faut être sage, disent encore les paysannes.

Alors tonnait, pleuvinait à merveilles,

dit le Verger d'honneur. Mais comme tous les verbes français se trouvaient précédés d'un pronom ou d'un nom, et que le verbe neutre impersonnel était seul de sa classe, on voulut le régulariser, le faire marcher de front avec le reste de la syntaxe, et on lui donna peur aflixe, vers le commencement du quinzième siècle, cet il (illud) qui correspond exactement au it des Anglais.

Well, it must be so! (illud ) « Bien, il doit en étre ainsi!» Décidément, MM. Bescherelle rendront le neutre à notre grammaire, qui est déjà bien assez irrégulière comme cela.

J'ai un second procès pédantesque à intenter à ces messieurs: il s'agit de deux petits mots très durs à l'oreille, très nécessaires, d'un difficile emploi, mais de grande ressource, comparses utiles et déplaisants, les mots en ety. Y vient du mot latin illic, illuc, là, en cet endroit. » En vient du mot latin indè ou de illo, de là et de cela. Les auteurs de la Grammaire nationale veulent que ces deux mots ne soient pas des neutres, en dépit de leur origine et de leur usage; les arguments qu'ils emploient ne nous persuadent pas. Dire: J'aime cet homme et je m'y attache, au lieu de je m'attache à lui, c'est commettre une des fautes les plus graves possibles faute contre l'étymologie, faute contre le génie de la langue française, dont la délicatesse ne confond jamais des nuances distinctes. Je trainai ma barque jusqu'au rivage et je l'y fixai, est une C'est un homme honnête; fiez-vous-y, me bonne phrase qui ne frappe l'oreille et l'esprit d'aucun sens désagréable. C'est ma place et j'y tiens. C'est mon ami je tiens à lui. La distinction est claire. déplait beaucoup, quoique cette phrase ait été signée, paraphée et sanctionnée par l'Académie française. J'en demande humblement pardon à l'Académie française. Que l'on place à côté l'une de l'autre cette phrase:

Vous avez sa parole; fiez-vous-y.

Et cette autre phrase.

Vous avez vu M. tel? vous vous y fiez?

L'oreille, un instinct secret, d'accord avec le sens véritable des mots et le génie du langage, vous avertiront que la première des deux est excellente; mais qu'il y a dissonance, faute, incorrection dans la seconde. Pour peu qu'on ait de goût, on changera presque involontairement cette dernière, et l'on dira: Vous avez vu M. tel? vous fiez-vous à LUI? Il y a donc une nuance; c'est cette nuance, empruntée à l'étymologie latine, qui fait du mot y un pronom neutre et l'applique aux choses inanimées. Qui oserait dire: Sa fille l'avait quittée, je l'y ai rendue ? On dirait: Je la lui ai rendue. Quand Me de Sévigné écrit à sa fille : Votre petit chien est charmant, je m'y attache. On n'est pas blessé de cela; tout charmant qu'il soit, ce n'est qu'un chien. Ce y est neutre; les Anglais diraient de même en parlant d'un animal favori : I am fond of it; employant le neutre pour les animaux, the brute creation; et nous réservant à nous, bipèdes, qui ne le méritons guère, l'honneur du pronom des deux genres.

Même remarque sur le mot en. Je m'en doute, signifle je me doute de cela (de hoc). En parlant d'une femme, il faut dire: Je doute d'elle, et non pas: J'en doute. MM. Bescherelle nous semblent avoir ouvert une carrière très large aux fautes grammaticales (-i fréquentes de notre temps), quand ils ont essayé de détruire le sens neutre des mots dont nous parlons. Personne n'oserait s'exprimer de la manière suivante: Mon père m'appela; je m'en approchai. On dira: Je m'approchai de lui. Donc le mot en ne remplace pas de lui, mais de cela. On dira très bien : Je vis un chêne à peu de distance, et je m'en approchai (du chéne, de cela). Voilà une nuance bien marquée, une nuance nécessaire; il faut la conserver dès qu'elle existe. Notre langue ne vit que de nuances. Dans ces deux vers d'Andrieux :

Quelle amie oserait m'ouvrir une retraite,

Je n'en ai pas besoin !

tout le monde voit que ce n'est pas de l'amie, mais de la retraite qu'il est question, et que là en est bien neutre. Ne vous en déplaise! il faut s'en moquer! prouvent le sens neutre du même mot. Les poètes, je le sais, l'ont employé souvent au lieu de lui, ou d'elle, mais par licence, par extension, et toujours dans un sens méprisant et odieux.

Un vieillard amoureux (dit Corneille) mérite qu'on en rie.

Pour punir un méchant, (dit Voltaire) pour en tirer justice.

Ces deux personnages si maltraités sont assimilés à des choses, et non pas à des hommes. Quand Marivaus dit: Elle fait la passion des gens, et son mari en est jaloux, la phrase signifie : Son mari est jaloux de cela, et non pas est jaloux d'elle.

Dans les écrits du dix-neuvième siècle, on a souvent confondu les acceptions de ces mots : en ety, avec celles

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