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Jéfus-Chrift lui a offert celui qu'il a répandu fur la croix pour vos péchés. De tout mon cœur, répondit la Princeffe, avec une douceur, une bonté & une égalité d'ame, qui faififfoient tout le monde d'admiration, & qui l'accompagnerent jufqu'au dernier moment.

La faignée étant faite, on alla chercher les Saintes Huiles. Le pieux Chanoine difpofa la Princefle à recevoir ce dernier Sacrement felon les intentions de l'Eglife. Elle fuivit toutes les prieres qu'on récitoit pour elle; & pendant qu'on faifoit les faintes onctions fur les différentes parties de fon corps, M. Feuillet lui expliquoit les paroles de l'Eglife, & lui rappeloit chacune des différentes efpeces de péchés, dont l'Eglife demandoit pour elle & avec elle, le pardon; & il conclut én difant: On oignoit, Madame, les athletes, quand ils entroient dans le lieu du combat. Vous voilà fur le champ_de bataille. Vous avez en tête de puiffans ennemis. Il faut combattre, aidée de la grace de Jefus-Chrift, & il faut vaincre. La Princeffe prit encore d'elle-même la croix, & renouvella en fa préfence, les actes de foi, d'efpérance & d'amour dont fon ame étoit occupée. Mais les douleurs qu'elle fouffroit, & que rien ne pouvoit calmer, étant extrêmes, elle s'écria: Mon Dieu, cés grandes douleurs ne finiront-elles pas bientôt ? Sur quoi M. Feuillet reprit, avec fon zèle ferme & inflexible : Quoi, Madame, vous vous oubliez! Il y a tant d'années que vous offenfer Dieu, & il n'y a encore que fix heures que vous faites pénitence. Dites plutôt avec Saint Auguftin, Coupez, Seigneur, tranchez, taille. Que je reffente dans tous mes membres de très-fenfibles douleurs; que le pus & l'ordure coulent dans la moëlle de mes os; que les vers grouillent dans mon fein pourvu, mon Dieu, que je vous aime, c'eft affez. J'ef pere, ajouta le zélé Miniftre des miféricordes de Dieu fur cette Princeffe, que vous vous reffouviendrez des promeffes & des proteftations que vous faites préfentement à votre Dieu. Oui, répondit fur-le-champ la Mourante, je l'efpere, Monfieur; & je vous conjure, fi Dieu me redonnoit la fanté, ce que je ne crois pas de me fommer de les exécuter, fi j'étois affez malheureufe de ne le pas faire. Enfin, le Chanoine lui ayant dit: Madame, quoique vous deviez être dans la difpofition de fouffrir davantage, je puis vous affurer que vos peines finiront bientôt. A quelle heure, demanda la Princefle, Jésus-Chrift eft-il mort? On lui répondit :

L

à trois heures. Peut-être, dit-elle, Dieu me fera-t-il la grace de mourir à pareille heure. Sur quoi M. Feuillet repliqua: Ne vous mettez pas en peine de cela, Madame; il faut fupporter la vie, & attendre la mort en patience.

Sur ces entrefaites, M. l'Evêque de Condom arriva, & parla de Dieu à la Princeffe, conformément à l'état où elle étoit, & avec cette éloquence & cet efprit de religion qui paroît dans tous fes Difcours. Sa présence donna autant de joie à Madame, qu'il fut lui-même affligé & faifi de la trouver aux abois. Le Prélat fe prof terna contre terre, & fit une priere pleine de fentimens de religion, entremêlée d'actes de foi, de confiance & d'amour, dont M. Feuillet témoigne qu'il fut charmé. La Princeffe entra dans tout ce que lui difoir le Prélar, & l'écoutoit avec un zèle & une préfence d'efprit admirables. Dans le moment, s'étant retournée de l'autre, côté, le Prélat ceffa; mais elle le pria de continuer, & lui dit qu'elle l'entendoit. M. de Condom ayant repris la parole, au bout de quelques momens, la Princeffe abattue & épuifée, dit qu'elle vouloit repofer. Pour lors M. Boffuct se leva pour aller faluer Monfieur. Mais un moment après, elle fe retourna, pria qu'on rappelât M. de Condom; & s'adreffant à M. Feuillet qui étoit préfent, elle lui dit: M. Feuillet, c'en eft fait à ce coup-ci. Eh bien, Madame, répondit le faint Prêtre n'êtes-vous pas bienheureufe d'avoir accompli en fi peu de tems votre courfe? Après un fi petit combat allez recevoir de grandes récompenfes. M. de Condom approcha, lui donna le Crucifix, qu'elle prit & embrafla avec ardeur. M. de Condom lui parloit toujours, & elle lui répondoit avec le même jugement que fi elle n'eût pas été malade, tenant toujours attaché fur fa bouche le Crucifix, que la mort feule lui fit abandonner. Madame ayant perdu la parole, le Prélat commença les prieres des Agonifans, pendant lefquelles M. Feuillet ne ceffoir d'entretenir la mourapte dans les fentimens de réfignation & de pénitence, que Dieu lui avoit infpirés,. Enfin, en très peu d'inftans, & après deux ou trois petits mouvemens convulfifs, elle expira fur les trois heures après minuit, le 30 Juin 1670, & neuf heures après avoir commencé à fe trouver mal. Ainfi mourut, à l'âge de vingt-fix ans, la plus aimable Princeffe, qui laiffa toute la Cour & même toute l'Europe, & fur-tour les perfonnes qui, l'approchant de plus près, connoif

vous

foient encore mieux la bonté de fon cœur, dans un deuil univerfel.

Elle conferva, pendant le cours de douleurs fi vives, une préfence d'efprit merveilleufe. La furprile d'un événement auffi imprévu qu'un éclat de tonnerre, comme s'exprime M. Boffuet, ne fervit, pour ainfi dire, qu'à manifefter fon courage & fa force. La confternation du Roi & de toute la Cour ne la troubla point. L'agitation & les incertitudes des Médecins, les larmes de les plus tendres amies, défolées de la voir fi cruellement fouffrir fans pouvoir la foulager, & de n'y pas entrevoir d'autre fin que la mort, ne parurent pas lui faire jetter un regard de regret fur la vie qu'elle alloit perdre. Occupée des plus vifs & des plus profonds fentimens de pénitence & de religion, elle prit tous les remedes qu'on lui donna. Elle n'oublia aucune des perfonnes à qui elle avoit quelque devoir à rendre, ou quelque bien à faire. Pleine d'eftime pour M. Boffuet, & de reconnoiffance pour les fervices fpirituels qu'il lui avoit rendus, elle ordonna en fa préfence, mais en Anglois, afin qu'il ne l'entendît pas, qu'on lui fît préfent, après la mort, d'une émeraude qu'elle avoit fait faire pour lui, & que le Prélat a toujours portée depuis (1). Elle donna auffi tous les ordres qu'elle put donner, pour la récompenfe de fes domeftiques. Enfin, la préfence de la mort ne lui fit rien perdre de ce caractere de bonté, de douceur, de générofité & de bienfaisance, qui, joint à toutes les graces extérieures dont elle étoit ornée, l'avoit rendue capable d'être l'idole du monde. Les douleurs fubites & violentes que la Princeffe éprouva pendant cette courte maladie, lui firent croire & dire qu'elle étoit empoifonnée. La malignité répandit bientôt au loin cette fauffe conjecture, qui tomba d'elle-même. Il eft certain que Madame, qui étoit naturellement affez mal faine, mourut d'une colique bilieufe, dont les remedes n'eurent pas la force de la délivrer.

L'Oraifon funèbre que M. Boffuet prononça à SaintDenis, au service folemnel que le Roi fit faire avec une magnificence royale, pour le repos de l'ame de la Princeffe, attendrit toute l'affemblée; & l'on ne peut la lire

(1) Nota, M. de Burigny, fur la foi de manufcrits moins affures fans doute que les Mémoires de Madame de la Fayette, qui étoit préfente, rapporte cette anecdote un peu différem

ment.

encore à préfent, fans prendre un vif intérêt au fort de celle qui en eft l'objet ; & ce qui eft plus important, fans être faifi des fentimens les plus preffans de Religion.

Marie-Thérefe D'AUTRICHE,
Reine de France.

EPUIS long-tems la France étoit en guerre avec
maux

qui accompagnent ce fléau, avoient un égal intérêt d'en defirer la fin, lorfque Marie-Thérefe, premiere Infante d'Espagne, & l'unique fruit du mariage de Philippe IV, & d'Elifabeth de France, fa premiere femme, fut choific par la Providence pour être l'inftrument & le gage de la réconciliation entre les deux Couronnes. Cette Princeffe naquit le 20 Septembre 1638, & fut élevée jufqu'à l'âge d'environ fix ans, avec toute forte de foins, par la Reine fa mere, qui étoit refpectée dans les deux Cours, pour les vertus chrétiennes & royales, & qui mourut en 1644 La jeune Princeffe reçut de Dieu, dès l'enfance, cet efprit de piété, qu'elle a confervé toute fa vie, & que fes grandeurs, bien loin de l'étouffer, ne firent que rendre plus éclatante. On n'admira pas moins dans fes premieres années, la vivacité de fon efprit, qui fe manifeftoit fur-tout par une grande facilité à concevoir, à retenir & à répéter ce qu'on lui enfeignoit.

Anne d'Autriche, veuve de Louis XIII, defiroit, avec ardeur, de voir fa niece porter la couronne de France. Mais la méfintelligence qui s'animoit de plus en plus entre les deux Cours, lui avoit prefque ôté l'efpérance du fuccès de fes defirs. Enfin, en 1660, elle eut la joie de voir l'accompliffement de fes vœux ; & l'on a toujours regardé comme un des plus grands traits de la profonde politique & de l'habilité du Cardinal Mazarin, & comme un des plus glorieux événemens de fon miniftere, la conclufion du mariage de Louis XIV, avec l'Infante d'Espagne, d'autant plus que la paix entre les deux Royaumes fut la dot que la jeune Reine apportoit en France. Les conférences entre le Ministre de France & celui d'Espagne, avoient été entamées dès l'année précédente 1659, dans l'île des Faifans. Après quatre

mois de débats & de difficultés, la paix fut conclue & fignée le 17 Novembre de la même année. Une des principales conditions du traité, fut le mariage du Roi avec l'Infante Marie-Thérefe. Le traité de paix fut enregiftré en Parlement, le 12 Février 1660; & le 21 fuivant, elle fut publiée folemnellement a Paris. L'Infante fut épousée par Procureur au nom du Roi, à Fontarabie, le 3 Juin 1660; & le 9 du même mois, le Roi l'époufa en perfonne, à Saint-Jean-de-Luz, en préfence des deux Cours. Enfin, la jeune Reine fit fon entrée à Paris, avec une magnificence vraiment royale, le 26 Août de la même année, & fut reçue comme un Ange de paix, au milieu des acclamations & des témoignages les plus marqués d'une joie publique.

Après cette cérémonie glorieufe, où elle fe fit admirer, autant par fa modeftic que par fes autres belles qualités, une des premieres occupations de la Reine, fut d'aller visiter les Eglifes, pour rendre fes hommages au fouverain Roi, & confacrer les prémices de fon regne, par des actes publics de Religion. Sa Cour devint bientôt une école de fageffe: l'ordre y regnoit par tout, la vertu y étoit plus eftimée que la naiffance & la fortune: & les fentimens de la Reine étant la regle de ceux qui l'environnoient, fi on n'imitoit pas en tout fa conduite & fes exemples, on ne pouvoit au moins s'empêcher de l'admirer & de la refpecter.

&

Il n'y a qu'une voix dans tous les mémoires du tems fur les aimables qualités de cette Reine. Sa piété conftante & uniforme, a toujours été fur-tout célébrée, & pendant la vie & après fa mort. Les éloges que l'on a donnés aux vertus de la jeune Reine, font d'autant plus touchans, qu'ils font fondés fur la vérité même prouvés par une multitude de faits particuliers qu'il n'eft pas poffible de rapporter en détail, La Reine-Mere Anne d'Autriche avoit une tendre affection pour cette aimable niece; & la jeune Reine, de fon côté, ne s'attacha pas moins à fon illuftre tante. Elle prenoit fes avis avec autant de confiance que de refpect; l'accompagnoit avec beaucoup de zèle, dans tous les exercices de dévotion & de piété; afliftoit avec elle aux folemnités publiques, autant que fes autres devoirs pouvoient le lui permettre, & principalement aux fermons des Prédicateurs les plus célèbres, & fur-tout à ceux de M. Boffuet, qui étoit pour lors T'Oracle de la chaire. Dans les fêtes les plus folemnelles & pour lesquelles elle avoit plus de dévotion, la jeune Reine

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