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Vous comprenez que si tout le monde se réjouit de cet événement, nous avons plus de raisons que d'autres de le saluer avec bonheur, parce que c'est la vietoire de la Paix; parce que l'Italie unie à la France, c'est une réconciliation générale, ce serait entre autres une union entre la France et l'Allemagne. Je crois que les négociations sont bien avancées pour la conclusion d'un traité d'arbitrage entre la France et l'Angleterre. L'Italie ne tardera pas à entrer dans cette double union.

Mon ami Novicow voulait que ce fût l'Italie qui en prît l'initiative, mais depuis la mégalomanie qui s'était manifestée chez nous, nous sommes devenus modestes. A vous, Français et Anglais, à tirer les premiers, comme à Fontenoy: nous vous suivrons!"

Le général Etienne Türr, représentant de la Hongrie :

,,M. le Président, Messieurs!

J'apporte le salut de la Hongrie à la France et à la ville de Rouen, qui nous a donné une si large hospitalité. Je ne ferai pas un long speech, car nous avons entendu des paroles magnifiques. Mais je viens d'un pays où, dans le voisinage, se produisent des éruptions plus fortes que celles du Vésuve, et où se livre actuellement une guerre atroce. Pour ne pas vous fatiguer par l'exposé de ce qui se passe dans l'empire turc, je l'ai fait imprimer et distribuer dans le Congrès.

Nous voyons, dans l'orient, des peuples qui se ruent l'un sur l'autre, des carnages comme jamais on n'en avait vu, car l'homme qui voit du sang devient comme une bête féroce. Nous nous efforçons de faire ensorte que les hommes vivent les uns pour les autres et non les uns contre les autres.

Je vous citerai seulement la fin de mon travail:

<< En octobre 1860, le général Garibaldi se disposait à remettre la dictature au roi Victor-Emmanuel. Cependant, il était inquiet; il savait que la besogne n'était faite qu'à moitié et que l'unité italienne coûterait encore beaucoup de sang.

Nous parlâmes alors du beau projet du roi de France Henri IV, qui voulait s'entendre avec la reine d'Angleterre pour constituer les Etats-Unis d'Europe. J'engageai le général à s'adresser aux souverains et à les prier d'assurer la Paix.

<< Après votre appel à la lutte adressé au peuple, lui dis-je, vous devriez lancer un appel à la Paix adressé aux souverains. >>

Le général Garibaldi me remit dès le lendemain l'appel que j'ai cité à plusieurs reprises et auquel j'emprunte aujourd'hui le passage final:

« Je désire ardemment que mes paroles parviennent à la connaissance de ceux à qui Dieu a confié la sainte mission de faire le bien; ils le feront certainement, préférant à une grandeur fausse et éphémère la véritable grandeur basée sur l'amour et la reconnaissance des peuples. >>

L'adresse de ce révolutionnaire Garibaldi ne fut nullement écoutée par les souverains. Cela nous a occasionné 4 guerres en Europe, et après ces grandes guerres, la magnifique énonciation de Bismarck, la Paix armée, que j'appelle la peur armée. A chaque fois qu'une puissance augmente ses forces

d'un régiment, l'autre les augmente de deux régiments, et pendant ces 34 ans, depuis la guerre de 1870, nous sommes arrivés à dépenser, pour la Paix armée, plus de 150 milliards. Eh bien! admettons que dans une malheureuse guerre on aille tuer 1 million de soldats; chaque homme tué aura coûté 150,000 francs. Je crois qu'on ferait mieux de dépenser la moitié de cette somme pour les militaires et l'autre moitié pour améliorer les conditions sociales.

La parole du général Garibaldi ne fut pas écoutée; mais plus tard le Tzar, à son tour, envoya une adresse aux souverains et obtint d'eux leur participation à une conférence à La Haye, où fut institué un tribunal d'arbitrage. On est venu d'Amérique, de l'autre côté de l'océan, pour apporter à cette idée l'hommage qu'elle méritait. Grâce à cette institution, on demande une décision sans recourir aux armes. Le fait seul que sous le règne de la « Paix armée » ou de la << Peur armée» des hommes se sont réunis pour préparer les solutions pacifiques des questions qui souvent amènent la guerre, constitue un très grand progrès.

Plusieurs orateurs vous l'ont expliqué, en particulier le prince de Monaco, qui nous a donné l'hospitalité l'année dernière. Aujourd'hui, ce sont les princes qui adressent des paroles de Paix aux autres souverains pour assurer l'avenir des peuples.

Espérons que cela réussira, car si l'Europe n'est pas capable de s'unir, elle est perdue.

Il faut lutter pour le vrai, pour le bien, pour le juste. C'est à vous, Mesdames, que je m'adresse à cet effet, car ce sont les femmes qui perdent dans les guerres leur mari, leur frère ou leur fils. Faites ensorte, je vous en prie, qu'on s'unisse à nous en vue du bonheur de tous!"

M. Gaston Moch, délégué du Groupe monégasque:

,,Mesdames et Messieurs!

J'ai l'honneur de représenter le plus jeune et le plus petit de tous vos groupes. Je dois néanmoins obéir à la tradition, qui veut que les délégués entretiennent leurs collègues de l'état de la propagande pacifique depuis le dernier Congrès. Il n'y a pas eu de propagande pacifique à Monaco; d'ailleurs la population est calme. Néanmoins, il y a une institution pacifique récemment fondée et je puis vous dire un mot de ce qu'elle a fait. Elle commence à peine à s'organiser. Pour commencer, nous sommes en train d'imprimer un travail nécessaire, c'est la bibliographie de la Paix, de notre ami La Fontaine. C'est un travail considérable. Nous avons une édition en volume et en fiches. Ceci nous oblige à imprimer en ce moment 350,000 fiches différentes. Ce travail avance, et j'espère qu'au prochain Congrès je pourrai vous soumettre non seulement cette bibliographie, mais quelques autres travaux conçus dans l'esprit qui nous est imposé.

Notre Institut est surtout destiné à vous fournir des armes de bon aloi, forgées avec un esprit scientifique que vous avez pu concevoir en entendant les hautes paroles philosophiques du fondateur de l'Institut. J'espère que nous atteindrons l'heureux moment où vous pourrez dire que la propagande a disparu faute de nécessité.“

M. Brouwer, délégué des Pays-Bas :

,,Mesdames et Messieurs!

Dernièrement un journaliste hollandais nommait La Haye capitale du monde depuis que c'est dans ses murs que la Cour d'arbitrage tient ses séances. Vous voudrez bien pardonner à la vanité de ce pays, qui, tout en sachant petit, sait qu'il est un lieu de grandes inspirations.

La Hollande, pays de la liberté, déteste la guerre. Les expériences des dernières années et les sanglants combats dans l'Afrique du sud n'ont fait qu'augmenter ces sentiments-là. Pour la Hollande la question de la Paix et de la guerre se résume dans ce mot d'un philosophe français: La domination, c'est la guerre; la liberté c'est la Paix!

Combien je voudrais que le journaliste hollandais eût raison! Combien je voudrais que ce pays fût la capitale du monde pour que je pusse dire: La guerre, c'est la domination, la Paix, c'est la liberté!

Malheureusement la réalité s'y refuse. Cependant je puis, au nom des sociétés de Paix d'un petit pays, animées d'une grande pensée, apporter de chaleureuses salutations à nos amis de France, notre hôte, et des autres nations dont les représentants sont réunis ici.

Je ne vous dirai pas en détail ce que nous avons fait. C'est seulement en passant que je vous parle de trois requêtes importantes adressées au gouvernement hollandais par la Société néerlandaise La Paix par le Droit, ayant pour but 1o de faire insérer dorénavant dans tous les traités à conclure une clause qui stipule que les conflits éventuels seront portés devant la Cour d'Arbitrage de La Haye; 2o de faire déclarer ouverte la Convention de 1899, c'est-à-dire que les puissances qui n'ont pas pris part à la Conférence de La Haye puissent encore mettre leur signature sous le texte de la Convention, et 3o de recommander à la bienveillance des ministres de l'Instruction publique les dispositions à prendre pour que cet enseignement soit donné dans un sens pacifique.

J'ajoute que plusieurs sociétés ouvrières ont adhéré à notre programme, de même que deux comités franc-maçonniques; que, le 18 mai, la célébration de la fête de la Paix a eu lieu à La Haye sous la présidence d'un membre de la Cour d'Arbitrage; qu'une société a été fondée pour s'occuper spécialement de la jeunesse hollandaise a fin de la pénétrer de sentiments pacifiques. Je pourrais continuer: je ne le veux pas. Ce que je viens de vous dire prouve bien l'activité des sociétés néerlandaises qui travaillent au grand but commun: la Paix universelle.

Comme nous en sommes loin encore! Et cependant il en sera ainsi un jour. Les rêveurs du temps actuel seront appelés alors des clairvoyants. Ce sera la fin de la plus cruelle oppression, la fin du règne de la force. Alors seulement s'établira dans le monde entier la vraie, la grande liberté, qui permettra aux peuples de prendre leur essor dans la large sphère du travail paisible et utile.

La Hollande, pays de la liberté, fait des voeux ardents pour l'avènement du règne de la Paix sur la terre. Elle souhaite de tout coœur que les travaux du présent Congrès aident puissamment à amener ce résultat."

M. Novicow, d'Odessa:

,,M. le Président, Messieurs!

Je suis assez embarrassé pour vous dire ce qu'est le mouvement pacifique dans la Russie. Je parle au nom de 150 millions de muets, car dans mon pays ni la liberté de la presse, ni la liberté de la parole n'ont jamais existé.

Cependant je puis dire que le jour où le peuple russe pourra exprimer son opinion, celle-ci sera une des plus radicales.

Nous ne nous arrêtons jamais à mi-chemin. Eh bien, Messieurs, quand le peuple russe pourra exprimer son avis, il n'admettra jamais que l'on puisse massacrer des populations pendant de nombreuses années parce que telles sont les convenances de l'Empereur de Russie et de celui d'Autriche. Quoique je sois un barbare, cette politique me paraît criminelle. Si j'étais parmi ceux des grands de ce monde qui président aux destinées des nations, je penserais que ne pas empêcher les massacres de se commettre, c'est presque les commettre soi-même. Mais puisque le peuple russe n'a que les diplomates officiels comme représentation, lesquels ont des idées différentes des siennes, je crois de mon devoir de Russe de m'adresser à la France et de la prier de prendre dans toutes les affaires de l'Europe une initiative plus grande et plus hardie que jusqu'à présent. La France a fait plus que toutes les autres nations, mais, ce que je reproche à notre « amie et alliée », c'est de ne pas faire assez, c'est d'être trop timide. Si les Français voulaient être audacieux, ils pourraient empêcher bien des atrocités. Je me permettrai de rappeler un trait de votre histoire.

En 1860, vous aviez le malheur d'avoir un empereur. A ce moment, les chrétiens étaient massacrés en Syrie. L'empereur Napoléon, malgré les objections de tous les diplomates, car les diplomates s'opposaient à un envoi de troupes françaises, l'empereur Napoléon, dis-je, n'écouta que sa conscience et celle du peuple français: il envoya une expédition qui arrêta les massacres. Si la France avait agi comme en 1860, si elle avait envoyé sa flotte en Macédoine, les massacres auraient cessé; nous aurions pris le chemin de la vérité réelle, de la vérité qui assure le bien des nations. Eh bien! moi, modeste délégué de ce grand pays composé de 130 millions de muets, je viens vous dire: Ce que nous ne pouvons pas faire, faites-le pour nous!"

M. Elie Ducommun, délégué de la Société suisse de la Paix:

,,Mesdames et Messieurs!

Il peut paraître superflu de venir déclarer que le peuple suisse est ami de la Paix entre les nations. En effet, l'existence de ma patrie repose sur la pratique des bons rapports entre les puissances militaires qui l'entourent. Toujours prête à défendre son sol et son indépendance, la Suisse aspire tout naturellement à la création d'un état de choses pacifique qui finisse par rendre la défense inutile, l'attaque étant devenue impossible.

Il y a 500 ans, la petite république suisse, composée d'élements très divers, avait senti qu'elle avait un besoin absolu de concorde et d'union entre ces éléments. C'était pour elle une question de vie ou de mort. Que fit-elle pour réaliser cette condition d'existence? Elle proclama dans son intérieur

le principe de l'arbitrage pour régler pacifiquement tous les litiges de droit public. L'application de ce principe a fait de la Suisse ce qu'elle est, en prévenant des désaccords qui eussent désagrégé son unité politique.

Espérons qu'un jour viendra où, dans le monde entier, prévaudra cette même pensée, qui a porté les vieux confédérés suisses à introduire chez eux l'arbitrage comme un gage de Paix et de bien-être, comme une nécessité d'existence sociale!

Oui, le jour viendra où tous les Etats civilisés se confédéreront pour le plus grand bien de chacun et des tous, en écartant les préventions de races, de langues ou de traditions, comme on l'a fait dans mon petit pays.

Je vous salue de tout mon cœur, au nom de nos sections suisses, vous tous dont le cœur bat pour les idées de justice et d'humanité! Ceux qui nous ont délégués attendent avec le plus grand intérêt que nous leur disions, à notre retour, qu'il s'est fait de bon travail à Rouen, où nous nous sommes rencontrés avec l'élite de ceux qui pensent comme eux en matière de relations internationales et qui ont de l'enthousiasme pour ce qui est juste et bon!"

M. Spalikowski donne lecture de plusieurs adresses envoyées au Congrès.

Il est ensuite procédé à l'élection d'un président.

M. Emile Arnaud est nommé par acclamations à l'unanimité. M. Arnaud. Permettez que le premier acte de votre président ne soit pas un discours, mais l'organisation du Congrès! Sur sa proposition, le Bureau est complété comme suit:

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M. Emile Arnaud exprime au Congrès sa gratitude pour la marque de confiance qu'il vient de lui donner.

Le Congrès vote, sur la proposition de M. Arnaud, l'adresse suivante de félicitations à M. Loubet, président de la République :

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Le XII Congrès universel de la Paix vous adresse respectueusement l'expression de sa reconnaissance pour votre action pacificatrice et pour le grand témoignage d'intérêt que vous avez donné au Congrès en acceptant d'être son président d'honneur. Arnaud, président.

Le télégramme suivant est adressé à M. Combes, président du Conseil des ministres :

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