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et de nombreux accrocs dans la riche dentelle de pierre qui nimbe le front des mystérieuses basiliques. Hélas! la main des hommes a trop souvent secondé la faux du temps. Mais ne vous arrêtez pas devant ces spectacles affligeants et remarquez plutôt dans les logis anciens, encore debout, les enfançons joufflus et roses dont le babil égaie l'appartement noirci et qui grandiront pour continuer notre sainte tâche pacifique, sous l'égide d'une République humanitaire, telle que l'a représentée l'éminent artiste qui dessina les affiches annonçant ce Congrès.

Soyez donc les bienvenus, amis du Nord, de l'Est ou du Sud, vous tous qui, oubliant que les pays ont des frontières, êtes venus vous asseoir ici, pour nous prouver que ce n'est pas une chimère de penser au désarmement et à l'arbitrage.

D'ailleurs, ne sommes-nous pas au lendemain du voyage de Sa Majesté Edouard VII et de M. Emile Loubet, à la veille de celui du roi Victor-Emanuel III, à Paris; n'avons-nous pas ici même S. A. S. le prince Albert de Monaco, le Mécène de la Paix et de la Science, M. d'Estournelles de Constant, l'admirable promoteur de l'entente cordiale qui aboutira à une paix durable et solidement garantie?

Dimanche prochain, M. le ministre du Commerce affirmera à son tour, à nos fêtes du Havre, que le temps est venu où le commerce et l'industrie, s'appuyant sur la science et la paix, peuvent désormais prendre leur essor et verser sur le monde les trésors promis à l'homme.

Or, quelle ville pouvait se réjouir davantage du triomphe de l'idée pacifique, si ce n'est Rouen, cette ruche laborieuse autour de laquelle sont venues se grouper d'autres colonies ouvrières, apportant l'aisance et le bienêtre tout le long du flot argenté de la Seine?

C'est par la paix que Rouen a pu se développer, c'est par la paix aussi que les Etats-Unis d'Europe rivaliseront avec ceux d'Amérique pour le plus grand bonheur des citoyens.

C'est aussi par le travail que nous comptons prospérer. Parmi nos adhérents, nous avons eu le plaisir de lire les noms de groupements ouvriers, syndicats. coopératives, bourses du travail; de nombreuses chambres de commerce ont récemment porté leur attention sur le projet Barclay; il y a à l'heure actuelle, dans le monde qui pense et agit, une attente, presque une angoisse.

Que sera l'avenir, murmure l'Europe?

L'avenir, l'avenir est à nous. Je suis de ceux qui croient que le marteau du forgeron a définitivement broyé l'épée du soldat, que bientôt les fusils ne serviront plus qu'aux parades des fêtes officielles.

Là, où jadis se livrèrent les batailles décisives, fleurissent et mûrissent intimement mêlés bleuets et lourds épis, demain sur l'emplacement où s'élèvent bastions et redoutes, l'ouvrier avide de repos, d'air pur et de liberté, après la semaine de labeur, conduira sa vaillante compagne pour y cueillir, sans crainte de jours sombres, la fleur des champs et le baiser d'amour.

Que ce baiser soit l'image du baiser symbolique que doivent se donner le Travail et la Paix avant de féconder la Terre, et pour terminer, laissez-moi vous proposer une devise qui sera celle des hommes de bon vouloir: «Bas les armes, et haut les cœurs !»

M. de Raïssac, secrétaire général de la préfecture de la Seine-Inférieure:

,,Mesdames, Messieurs,

M. le Préfet de la Seine-Inférieure, empêché de se rendre à cette séance, m'a prié de vous exprimer ses excuses et ses regrets. En revanche il aura l'avantage de venir avec vous à Rouen vendredi, et dimanche au Hâvre. Il vous donnera alors tous les témoignages de sa sympathie.

Il me reste, au nom du Gouvernement de la République, à vous souhaiter la bienvenue dans ce beau département et à vous exprimer tous mes vœux pour la réussite de ce Congrès.“

Le prince Albert de Monaco, l'un des présidents d'honneur du Congrès, s'exprime comme suit:

,,Mesdames, Messieurs,

Vous m'avez donné dans vos congrès une place dont je suis heureux et fier, parce que l'œuvre scientifique à laquelle mon dévouement appartient exige, pour se développer, le triomphe de votre œuvre pacifiste sur l'héritage cruel transmis à l'humanité par la barbarie primitive: sur l'esprit guerrier qui empoisonne les fruits de la civilisation. Et j'ai accepté avec joie de combattre les préjugés qui entretiennent les peuples dans une aberration contraire aux lois de la nature, et dont les animaux eux-mêmes n'ont jamais souffert, puisque les plus sauvages s'entretuent seulement dans les limites exigées par le maintien de leur existence.

Je suis avec vous pour exalter la justice et la vérité, qui rapprochent les hommes les plus éloignés les uns des autres par leurs origines ou par leurs tendances, et qui leur offrent les bénéfices de la solidarité dans la lutte pour la vie.

Au milieu de vous, Messieurs, on considère avec plus de confiance l'avenir, parce que votre jugement condamne la force brutale, qui exerce encore sur la famille humaine l'influence d'un argument suprême, et parce que l'autorité légitime d'une raison scientifique éclaire vos consciences. Mais on envisage avec plus de douleur la force du vieux levain qui suggère aux peuples des iniquités hors de leurs frontières et conserve dans leur propre sein la plaie des haines de race ou de religion.

A vrai dire, les égorgements tolérés jusqu'en Europe par une politique inhumaine, les interventions sanglantes imposées à des peuples lointains pour leur soustraire des territoires, les discordes vaines fomentées par la propagande d'un mysticisme que le travail des peuples transforme sans cesse; toutes ces misères qui maintiennent une angoisse perpétuelle au cœur des hommes constituent un spectacle ironique devant nos aspirations généreuses. Pourtant il faut travailler toujours pour dégager de l'inconnu la lumière qui diminuera la tyrannie du mensonge et de l'ignorance.

Vos assemblées fournissent au savant le concours d'une sérénité favorable pour la culture des idées fécondes avec lesquelles grandit la raison humaine; votre idéal promet à son œuvre une protection nécessaire. Et lui vous communiquera sa philosophie, qui transporte les âmes dans une atmosphère lumineuse,

au-delà des hésitations, au-delà des légendes brumeuses, et qui tranquillise l'être humain tourmenté par l'incertitude de sa destinée, en lui montrant la logique et l'harmonie des lois auxquelles obéit l'Univers.

Travaillez ensemble, ouvriers ou savants, philosophes ou artistes, vous tous qui représentez ici les masses victimes de la guerre, l'aliment des luttes coupables entre les puissants de la Terre, entre ceux dont la conscience, troublée par les suggestions ataviques d'une gloire imaginaire, oublie le rôle auguste que la volonté des peuples confie aux gouvernants, et vous qui apportez aux luttes pour l'existence une foi et des forces nouvelles, vous survivrez, dans la sève de l'esprit moderne, aux générations qui meurent dans l'aveuglement. Votre action, lente comme le progrès d'une aurore, gagne d'abord les êtres épris de la science, parce qu'ils comprennent la loi universelle de l'évolution et repoussent facilement l'esclavage des principes immuables qui retardent le progrès de l'Humanité, comme l'immuabilité des théories scientifiques paralyserait la science.

Pour eux, le problème troublant de la concurrence vitale qui engendre, parmi les passions monstrueuses de la guerre, le sentiment élevé du patriotisme, trouvera une solution dans la connaissance plus avancée des lois de la vie. Le patriotisme entretiendra toujours dans leur cœur un parfum qui s'élève au foyer où dorment les premières tendresses, où la fumée des premières illusions se mêle au cher souvenir de quelques morts; mais il perdra la férocité stupide qui veut du sang, des ruines et des larmes.

La Famille humaine répudiera les guerres causées par l'antagonisme des nations, quand l'ignorance ne retiendra plus captive sa nature adoucie; elle effacera les divisions créées par l'antagonisme des religions quand la foi bornera son empire au fond des consciences; elle mettra en commun, pour la défense de son intérêt, les moyens acquis par chacun de ses membres dans l'évolution constante des forces de la Nature.

Et déjà ces belles institutions nommées Cour d'arbitrage, Conférence interparlementaire, Bureau permanent de la Paix, toutes les associations internationales qui se font une place grandissante dans les affaires humaines, portent le germe d'une transformation des mœurs à laquelle le fléau de la guerre ne résistera pas."

M. Robert, premier adjoint au maire, souhaite à son tour la bienvenue aux congressistes en la ville de Rouen et leur présente les excuses de M. Leblond, maire. qui n'a pu assister à la séance d'ouverture.

,,La tâche que vous vous êtes imposée, dit-il, est en effet noble entre toutes; aussi la ville de Rouen est-elle fière d'avoir été choisie pour être le siège de vos assises de paix et de concorde entre les nations.

Il vous a paru légitime

comme l'a si bien exprimé votre Comité d'organisation que la France, la France républicaine, fut désignée par le Bureau international de la Paix pour recevoir les congressistes du monde entier, parce qu'elle donne elle-même un bel exemple de propagande infatigable en faveur de la substitution du Droit à la Force. Nous partageons ce sentiment.

Quoi de plus désirable, en effet, que d'empêcher par des moyens de justice et d'équité ces effroyables collisions entre peuples, qui engendrent de si cruels malheurs, de si grandes souffrances chez les nations aux prises entre elles, et jettent sur le monde entier un malaise indéfinissable, sinon un complet désarroi? Que de ruines amoncelées! que de deuils dans les familles! Et cela parfois pour une simple question d'amour-propre, un malentendu entre souverains.

Détournons nos regards d'un spectacle aussi affligeant et augurons bien d'un avenir de concorde et de confraternité parmi la grande famille humaine! Tous ici, nous voulons espérer que le XXe siècle, encore à son aube, verra s'accomplir cette réforme tant désirée, de faire régler par un arbitrage, comme cela se fait souvent entre particuliers de bonne foi, les questions internationales qui se posent fréquemment.

-

Est-ce donc possible? Ce n'est pas sans angoisse qu'on envisage la question et qu'on se demande quel sera le peuple assez puissant, assez sûr de lui-même en face des nations qui ne respectent que les forts, comme le disait l'autre jour, à Montélimar, l'honorable M. Loubet, président de la République pour faire le premier pas sans rien sacrifier de sa sécurité? Est-ce des progrès de la science ? Est-ce de la multiplication des Congrès, prélude d'une entente de plus en plus large entre peuples de toutes langues, qu'il faut attendre la réalisation de ce magnifique idéal?

Bien hardi qui pourrait se prononcer. Du moins peut-on dire, sans crainte de s'abuser, que vos délibérations et les résolutions qui en résulteront háteront sûrement cet heureux évènement.

Telles sont, à n'en pas douter, Mesdames et Messieurs, et j'ajoute, à votre honneur, les hautes et judicieuses pensées qui vous ont inspiré de venir ici travailler à l'œuvre essentiellement humanitaire et démocratique que poursuivent avec persévérance les Sociétés de la Paix.

Au nom de la ville de Rouen, je vous en félicite, et à vous tous, venus ici en amis de tous les points du globe, je souhaite d'un cœur ardent la bienvenue."

La série des discours de représentants des diverses nations. tous couverts d'applaudissements, est ouverte par M. le Dr Adolphe Richter, président de la Société allemande de la Paix et délégué en même temps de la Société danoise de la Paix.

,,C'est avec un vif plaisir, dit-il, que je prends la parole pour vous apporter les salutations sincères et cordiales de mes compatriotes allemands et leurs meilleurs vœux pour le succès des travaux du XIIe Congrès de la Paix. D'abord je m'empresse de témoigner ici notre reconnaissance pour l'excellent accueil qui nous a été fait, de remercier nos collègues français des sentiments hospitaliers avec lesquels ils nous ont tendu la main, la municipalité de cette ville, qui nous a fait souhaiter la bienvenue si gracieusement par la bouche éloquente de son représentant, et last not least comme disent nos collègues, le gouvernement, qui nous a fait connaître d'une manière si encou

rageante et si charmante ses opinions pacifiques et qui a donné un si vigoureux appui à l'organisation de ce Congrès.

Nous sommes venus avec beaucoup de plaisir dans cette vieille ville de Rouen, autrefois si belliqueuse, qui a assisté à tant de combats sanglants dans le passé, qui a subi l'invasion des Anglais et a vu se dresser le bûcher de Jeanne d'Arc. A présent elle voit une autre invasion anglaise, non pas le glaive, mais la branche d'olivier à la main, car vous trouvez dans le programme du Congrès une réunion de Congressistes anglais et français pour la discussion du projet Barclay, savoir d'un traité d'arbitrage franco-anglais. C'est un signe incontestable d'un changement énorme des temps et des hommes et d'une marche ascensionnelle vers le triomphe de l'humanité dans ce pays. C'est un progrès que nous devons principalement au zèle et au dévouement infatigables de nos collègues français. La Société allemande de la Paix m'a chargé de vous féliciter chaleureusement, vous, collègues français, pour l'énergie et l'habileté dont vous faites preuve et qui vous ont permis, ces derniers temps, de réaliser de notables progrès. C'est avec un certain sentiment d'envie que nous avons suivi vos efforts, mais que dis-je? ce n'était pas un sentiment d'envie, c'était un sentiment d'admiration pour votre travail et pour ses résultats. Les noms des Passy, des d'Estournelles, des Richet, des Arnaud et de tant d'autres chefs sont sur les lèvres de tous les pacifistes allemands; nous nous réjouissons de leur œuvre et nous estimons qu'il n'y a pas lieu de nous décourager maintenant, malgré le peu que avons pu faire chez nous en faveur du mouvement pacifique.

Nous pensons que notre devoir est de suivre votre exemple, qu'il nous faut renouveler et accentuer nos efforts de tous les côtés pour assurer chez nous la victoire de nos idées communes. Espérons que le jour n'est plus éloigné où nous aurons réussi à préparer et à cultiver le sol allemand de manière que M. d'Estournelles puisse conduire aussi à Berlin ses partisans parlementaires et qu'il puisse achever cette croisade pacifique avec le même succès admirable que celle d'Angleterre!

Notre idée l'emportera dans les temps futurs, nous en sommes persuadés, parce que c'est une évolution toute naturelle de la civilisation, qui doit aboutir au règne du droit et de la justice. Un Français illustre de nos jours, hélas mort trop jeune, a dit dans une autre occasion: «La vérité est en marche!>> Aujourd'hui nous osons dire: «C'est la Justice qui est en marche vers la paix et l'arbitrage» et c'est pour cette raison que j'espère que les travaux du XIIe Congrès qui va s'ouvrir tout à l'heure contribueront à aplanir la route du progrès des idées pacifiques et à en écarter les obstacles!

Je dois ajouter ici quelques paroles pour le Danemark. Ce matin j'ai été surpris par une lettre de mon ami Frédéric Bajer. Empêché de venir ici représenter sa patrie, il me priait de bien vouloir le faire à sa place, comme membre honoraire de la Société danoise.

Voilà un bon exemple de la solidarité des peuples: le Danemark représenté par l'Allemagne! Vous me permettrez de vous présenter l'expression des sentiments amicaux de la Société danoise pour ce Congrès et pour les travaux de la Paix en général. Dans ces pays scandinaves on a fait des efforts considérables pour arriver à la neutralité. J'espère qu'on y réussira.“

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