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terre, il met au défi d'obtenir d'un travailleur anglais un appui pour engager une guerre quelconque. Et comme les travailleurs sont la grande majorité, l'orateur considère comme acquise l'opinion favorable au principe de l'arbitrage et il exprime la conviction que le projet d'arbitrage franco-anglais sera bientôt, non pas un projet, mais une réalité.

Il est persuadé que si l'affaire de l'Alaska aboutit à un échec, l'opinion publique ne saura pas distinguer entre la Commission mixte et un Tribunal arbitral et que l'échec sera mis sur le compte du Tribunal arbitral. Il y a lieu, tout en couvrant de fleurs le projet de M. Barclay, d'écarter son idée de recourir seulement à la conciliation. M. Green termine sa déclaration en se prononçant pour l'arbitrage obligatoire.

M. Scott:

M. Scott émet l'avis que, faire comme si le Tribunal d'arbitrage n'existait pas et parler de conciliation, ce serait retourner cinq ans en arrière, ce qui constituerait une politique réactionnaire. Ce n'est pas ce qu'il veut. Il ne refuse pas la conciliation, mais il met l'arbitrage en première ligne.

La parole n'étant plus demandée et la discussion ayant le caractère d'un échange d'idées, il n'est pas voté de résolution. Une motion en faveur de l'arbitrage obligatoire dans tous les cas avait été présentée, mais l'Assemblée ne se croit pas qualifiée pour se prononcer par un vote.

La séance est levée à 7 heures, après quelques paroles de remerciements du président, M. Hodgson Prall.

Soirée chez M. Jules Siegfried.

A 9 heures du soir, M. et Mme Jules Siegfried offraient, dans leur magnifique villa de la Côte, une réception splendide à tous les congressistes et à toutes les autorités de la ville du Hâvre. Les conversations les plus amicales et les plus animées s'échangèrent entre les invités et avec leurs hôtes.

M. Siegfried adressa aux membres du Congrès une allocution très applaudie, à laquelle répondirent MM. Frédéric Passy, président d'honneur, et Emile Arnaud, président du Congrès.

SÉANCE DE CLÔTURE SOLENNELLE

Dimanche 27 septembre 1903, à 4 h. de l'après-midi, dans la grande salle du Cercle Franklin, au Havre.

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M. Georges Trouillot, ministre du Commerce, accompagné de notabilités administratives, fait son entrée dans l'immense salle aux accents de la „Marseillaise" exécutée par le Cercle musical havrais et l'Harmonie maritime, et aux cris de Vive la Paix“ poussés par l'assistance. Il prend place à la table de la présidence sur l'estrade, à la droite de M. Emile Arnaud, président du Congrès. A ses côtés MM. Frédéric Passy, président d'honneur; Elie Ducommun, secrétaire général; Fosse, préfet de la Seine-Inférieure; Verdier-Havard, sous-préfet du Havre; Marais, maire du Havre; Siegfried, député; Saint, chef de cabinet du ministre; Bressaud, chef adjoint du cabinet de M. le Préfet; Mme Séverine, Mme Maria Pognon, la baronne de Suttner, MM. Spalikowski, Genestal, conseiller général; les membres du bureau du Congrès et de la Commission d'organisation du Congrès; les membres de l'administration municipale et la plupart des conseillers municipaux du Havre.

Près de 3000 auditeurs occupent les bancs de la salle.

M. H. Follin, vice-président du Congrès:

Mesdames, Messieurs!

Au nom des pacifistes havrais qui ont organisé cette réunion, j'ai une triple mission à remplir au début de cette séance.

Il me faut tout d'abord adresser à Monsieur le Ministre du commerce, qui a bien voulu venir la présider, l'expression de notre vive reconnaissance. La présence ici d'un membre du gouvernement, et du premier Gouvernement républicain dont le chef ait proclamé publiquement que l'orientation vers l'organisation définitive de la justice internationale fait partie de sa politique, cette présence a pour nous, Mesdames et Messieurs, une haute signification.

Nous savons, et s'il en était autrement nous n'aurions plus besoin de tenir de Congrès, nous savons que nos résolutions expriment parfois, en matière de questions internationales, des idées un peu plus radicales que celles des Gouvernements. Les hommes qui dirigent nos affaires publiques ont d'autres devoirs

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et d'autres responsabilités que les nôtres; ils ont un peu moins que nous à s'occuper de l'avenir et un peu plus du présent; aussi nous nous inclinons respectueusement devant le verdict de leur conscience civique lorsqu'ils ne croient pas devoir nous suivre, dans la voie de la réalisation de nos vœux, aussi vite que nous le souhaiterions. Mais ce dont nous avons conscience aussi, c'est que nous pouvons être pour les gouvernements des auxiliaires utiles et aussi bien quelquefois nécessaires, lorsque nous étudions et que nous facilitons les solutions de l'avenir, comme les travaux de nos prédécesseurs ont facilité la grande œuvre de La Haye, lorsque nous donnons une formule organique aux aspirations profondes, mais jusqu'ici trop timides, des peuples vers la Paix définitive, lorsque nous créons enfin une opinion publique pacifique, capable de faire contre-poids, dans les circonstances délicates et périlleuses qui font peser parfois sur les hommes au pouvoir de si terribles soucis et de si angoissantes responsabilités, aux affolements du patriotisme mal éclairé et aux suggestions des rêveries mégalomanes. Ce véritable rôle de notre action, M. le Ministre du Commerce l'a compris, puisqu'il vient aujourd'hui clôturer nos travaux; c'est un encouragement précieux: nous l'enregistrons avec joie et avec reconnaissance.

M. Follin adresse ensuite l'expression de la reconnaissance des pacifistes à M. Jules Siegfried, député, à M. Marais, maire, et au Conseil Municipal du Havre, pour l'admirable concours qu'ils leur ont prêté dans l'organisation des solennités du Congrès.

Enfin, dit-il, il nous appartient, les premiers, de saluer publiquement ici tous nos hôtes, venus de tous les coins de la France et de l'étranger pour participer à nos travaux; de saluer surtout tous ces pionniers de la grande idée de la Paix par le droit, I dont nous avons souvent parlé dans nos conférences, dont nous vous avons quelquefois fait passer les portraits devant les yeux -, qui sont depuis tant d'années sur la brèche et qui, aujourd'hui, commencent à entrevoir l'aurore de l'ère nouvelle dont ils auront été les précurseurs.

En venant ici aujourd'hui, tour à tour, prendre la parole, ils vont vous offrir le vivant spectacle de cette union qui ne sera pas la négation, mais, au contraire, l'apothéose de l'idée de patrie de cette union de Patries que nous rêvons . . . et que vous, citoyennes, par votre action sur la conscience des générations nouvelles, vous, citoyens, par vos votes, vous réaliserez.“

...

M. Emile Arnaud, président du Congrès:

,,Mesdames, Messieurs!

Huit mois se sont écoulés depuis le jour où, dans cette même salle, j'avais l'honneur de faire, sous la présidence de M. Frédéric Passy, une conférence sur l'organisation pratique de la Paix. C'était au lendemain du jour où M. le Ministre de la Guerre, dans un débat parlementaire, avait déclaré que la guerre est un fléau. Depuis ce temps une série de faits intéressants se sont produits. On a vu en France se constituer un Groupe parlementaire de l'arbitrage international; on a vu les Conseils généraux demander, au nombre de 60 sur 61, l'arbitrage permanent.

Nous ne pouvions espérer, à cette date du 25 janvier, qu'aujourd'hui des délégués du monde entier viendraient ici, au Havre, nous donner leur concours pour la cause de la Paix, et pourtant les voici! Que viennent-ils vous dire?

Ils vous disent que les Amis de la Paix ont, comme préoccupation primordiale, l'inviolabilité et le respect de la vie humaine. Examinant avec impartialité, comme les représentants de la conscience des nations civilisées, les évènements politiques contemporains, ils constatent avec une grande douleur certains évènements récents. Ils pensent à l'Arménie et à la Macédoine, où l'inviolabilité de la vie humaine est loin d'être respectée, et ils demandent aux Gouvernements de faire ce qu'ils ont fait en Crète, c'est-à-dire de rétablir la sécurité avec la liberté, de mettre fin à un état de choses intolérable, dangereux pour la Paix générale. Ils viennent vous dire que les évènements du Vénézuéla, et l'arbitrage qui a suivi, ont pu faire établir ce principe supérieur de justice, à savoir que nulle parmi les Puissances, comme d'ailleurs nul parmi les individus ne saurait être, à la fois, juge et partie. Je dois exprimer toute la satisfaction des pacifistes d'avoir vu ce conflit recevoir sa solution par la voie diplomatique et arbitrale. A ce sujet, le Congrès a envoyé au Président Roosevelt un télégramme de respectueuses félicitations auquel il a été répondu comme suit:

« Je suis chargé par le Président des Etats-Unis de vous exprimer le plaisir que lui a donné votre dépêche.» Signé: Adee, chargé du Ministère des Affaires étrangères.

Enfin, à la requête de l'un des représentants du peuple anglais, le Congrès a décidé que les pacifistes ont le devoir de rappeler aux nations que toute annexion violente est contraire aux principes fondamentaux de la justice internationale.

Le Congrès a reconnu qu'il est important d'étudier d'une manière précise les stipulations contenues dans les conventions et déclarations votées par la Conférence intergouvernementale de La Haye.

Le Congrès estime que, les conventions faisant la loi des parties, à défaut de législateur la loi internationale résulte de la convention; que dès lors, grâce aux Conventions de La Haye qui se réfèrent aux principes du droit des gens, le droit international public est entré dans le domaine du droit positif et que les nations ont le devoir absolu de s'y soumettre.

Les conventions de La Haye doivent être complétées par des traités d'arbitrage permanent et, l'ordre juridique international ainsi établi, on pourra arriver à la limitation des armements et à la diminution des charges militaires.

Le Congrès a rappelé aux chefs d'Etat et aux Gouvernements les résolutions unanimes de la Conférence de La Haye sur la limitation des armements, et après avoir, d'un coup d'œil rapide, passé en revue les autorités de ce monde, afin de choisir parmi elles un homme estimé partout, admiré par tous, les délégués du monde entier ont unanimement désigné, à l'honneur de notre pays, le Président de la République française. Ils lui ont demandé d'user de sa haute influence personnelle pour qu'une nouvelle Conférence inter-gouvernementale soit convoquée, en vue d'aboutir à la limitation des charges militaires qui écrasent le monde.

Le Congrès s'est adressé aussi au Gouvernement de la République française pour lui demander de prendre la glorieuse initiative d'une négociation entre les Gouvernements en vue de la réduction générale et simultanée des armements. Voici, Monsieur le Ministre, notre supplique, que nous vous prions de vouloir bien transmettre, en notre nom, au Gouvernement dont vous faîtes partie.

Dans un certain nombre de résolutions sur la solution pacifique des litiges internationaux, sur la liberté des échanges entre nations, sur la liberté de l'air, les délégués ont dit quels étaient, dans leur esprit, les meilleurs moyens de rapprocher les nations entre elles.

Comme l'argent est le nerf de la Paix, après avoir été trop longtemps le nerf de la guerre, on a proposé la création d'une Caisse internationale de la Propagande, à Berne. De cette façon le « sou de la paix », le « louis de la paix », le « chèque de la paix » viendront donner des ressources à ceux qui ont déclaré la guerre à la guerre. Ce sera pour vous tous le moyen de participer à cette grande œuvre, en envoyant votre obole à M. Elie Ducommun, qui, depuis 15 ans, y donne toutes ses veilles et qui nous a déclaré qu'il y consacrerait son existence entière.

Au nom du Congrès, je remercie le Gouvernement de la République et particulièrement M. le Ministre du Commerce, que j'appellerai du nom de Ministre de la Paix, en attendant que ce nom soit réservé à son collègue M. le Ministre des Affaires étrangères. Je remercie au nom du Congrès tout entier M. le Maire du Havre, la Municipalité du Havre et toute la population havraise, de leur accueil, qui restera pour chacun de nous inoubliable.

Et devant tous, je veux tirer la moralité de ces réunions. Il est possible à des citoyens et citoyennes de nationalités différentes, de religions différentes, de toutes races et de toutes civilisations, de s'entendre et de découvrir au grand problème qui agite le monde des solutions acceptables. Notre devoir est de préparer ces solutions et les Gouvernements ont, eux, le devoir d'en assurer l'application."

M. Frédéric Passy:

,,Mesdames, Messieurs.

Je disais, il y a trois semaines, à la Conférence interparlementaire de Vienne, et j'ai répété, il y a deux jours, à l'occasion du Congrès de Rouen, que nos idées, nos généreuses idées de justice et de paix, après avoir été longtemps, trop longtemps, de très petites et très modestes personnes réduites à aller à pied ou en omnibus au milieu souvent des moqueries et des injures, étaient en train de devenir de très grandes personnes admises à monter avec honneur dans les carrosses des rois, des empereurs et des présidents de République. Notre XIIe Congrès a été tenu sous la Présidence d'honneur de M. le Président de la République, dont les sympathies nous sont acquises.

Nous avons eu, il y a trois ans, pour ouvrir le Congrès de la Paix à Paris, la présence d'un ministre: le Ministre du Commerce; nous avons aujourd'hui, pour clôturer nos travaux, la présence d'un autre ministre: c'est encore le Ministre du Commerce.

Et pourquoi le Ministre du Commerce? Mon ami Arnaud vient de vous le dire. Je l'aurais dit s'il ne l'avait dit avant moi: parce que le Ministre du Commerce est le Ministre de la Paix. Le libre commerce est le grand facteur de la Paix.

La Paix est la condition essentielle du développement du commerce et je suis heureux, puisque l'occasion m'en est offerte dans cette ville, qui vit en grande partie du commerce, je suis heureux de rendre justice et hommage

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