Page images
PDF
EPUB

un de ces hommes dont on loue les intentions, dont on voudrait louer la doctrine, et que l'on réfute en regrettant de le réfuter. Nous l'avons loué en douze lignes, nous allons le critiquer en quinze pages. C'est que son mérite est visible et sa doctrine persuasive. La brièveté de nos louanges, comme l'étendue de nos critiques, est une preuve de notre estime et de son talent.

I

Deux choses sont à remarquer dans le livre de M. Jean Reynaud : le but, qui est la conciliation de la philosophie et de la religion; la méthode, qui est l'habitude d'affirmer sans preuve. Considérons tour à tour le but et la méthode, et voyons en premier lieu si le but que s'est proposé M. Reynaud peut être atteint.

L'auteur de Ciel et Terre juge que depuis deux cents ans l'astronomie, la physique, la géologie, l'histoire naturelle et l'histoire ont transformé l'idée qu'on se faisait de la nature, et que l'idée ainsi acquise doit à son tour aujourd'hui transformer les dogmes chrétiens. Mais il juge en même temps que les anciennes croyances contiennent autant de vérité que les découvertes modernes, que la tradition et l'autorité ont les mêmes droits à notre foi que l'examen et l'expérience, et que, loin de jeter la religion à terre, il faut en faire la première pierre du nouvel édifice. Pressé entre deux méthodes et deux doctrines, il ne peut se résoudre à sacrifier ni l'une ni l'autre ; il emploie toute son érudition et toute sa dialectique à les ac

corder. Des deux personnages qu'il met en scène, le théologien arrive ordinairement le premier et expose la croyance de l'Église. Le philosophe écoute respectueusement, admet le fond du dogme, puis présente des interprétations, des adoucissements, des restrictions et des accommodements de toute espèce. Il ne veut pas renverser le christianisme, mais l'affermir. Il prétend le ramener à ses origines, lui rendre son sens primitif, le pousser dans sa voie naturelle ; il est plus chrétien que les chrétiens. Il oppose au théologien non seulement les découvertes et l'esprit moderne, mais les Écritures et l'esprit ancien. Il l'engage à abandonner l'enfer et les peines éternelles, non seulement au nom de la justice et de l'humanité, mais encore au nom des livres saints et de la primitive Église. Il soutient que nul concile n'a fait à ce sujet de déclaration formelle, que si celui de Trente a prononcé le mot fatal, c'est incidemment et sans affirmation précise; que le mot éternel, en hébreu, n'a pas une rigueur mathématique et signifie simplement un temps très long; que d'ailleurs beaucoup d'exemples nous autorisent à ne pas interpréter l'Écriture à la lettre, et qu'enfin, s'il faut subir le sens littéral, on doit rapporter les deux phrases célèbres de l'Évangile non pas aux «< peines individuelles, qui cesseront, mais à l'institution de l'enfer, laquelle durera toujours ».

On voit que si M. Jean Reynaud froisse les dogmes, c'est d'une main délicate, que son plus cher désir est de s'entendre avec l'Église, et que, s'il tient à la science, c'est pour la faire entrer dans le christianisme. On se fera de lui une idée assez exacte en le concevant comme un contemporain de saint Thomas qui aurait vécu quarante ans en Sorbonne, imbu et

nourri de discussions sur la psychologie et la hiérarchie des anges, sur l'origine de l'âme et la transmission du péché originel, sur la création continue, sur le paradis et sur l'enfer. Ce docteur scolastique se trouve tout d'un coup transporté au dix-neuvième siècle. Il lit Rousseau, visite les laboratoires, apprend la géologie et l'astronomie, et se trouve fort embarrassé. Ses idées anciennes sont gothiques, ses idées nouvelles sont hérétiques. Il aime les unes autant que les autres, et veut les garder toutes. Que faire ? Il les fait plier toutes; il élargit sa religion et rétrécit sa philosophie, en sorte que sa philosophie puisse tenir dans l'enceinte de sa religion. Il tend une main à saint Augustin et l'autre à Herschel, les tire à lui l'un et l'autre, les place de front et leur impose la concorde. Il compose une philosophie à l'usage des gens religieux, une religion à l'usage des philosophes. Il veut rendre la philosophie religieuse, et la religion philosophique. Il admet toujours le péché originel, mais il entend par là le triomphe originel des penchants égoïstes et brutaux. Il conserve la rédemption, mais au sens spirituel, et considère le Christ non comme un Dieu, mais comme un législateur sublime qui a ramené l'homme à l'espérance et à la vertu. Il veut croire au ciel et à l'enfer, mais il appelle de ce nom les conditions successives plus ou moins heureuses que les âmes rencontreront dans les diverses planètes après leur mort. Il accepte la résurrection de la chair, mais il interprète ce dogme en disant que notre âme se formera un autre corps, lorsqu'elle sera dégagée du premier. Toutes ces interprétations témoignent de sentiments élevés et d'intentions excellentes ; il a l'amour de Dieu comme un théologien du moyen âge,

et l'amour de l'humanité comme un philosophe des temps modernes; mais que doit-on penser de sa tentative? Elle attaque une vérité conquise par trois siècles d'efforts, la séparation de la méthode philosophique et de la méthode théologique. Elle renverse tout principe et croyance en acceptant deux principes de croyance nécessairement opposés. Elle défait le passé, compromet l'avenir, et mérite d'être réfutée d'autant plus franchement qu'elle n'est pas la première, qu'elle ne sera pas la dernière, et qu'elle signale une inconséquence habituelle et naturelle de ' l'esprit humain.

II

Comparons donc la religion et la science; cherchons sur quel fait primitif chacune d'elles assoit sa croyance, pourquoi chacune des deux autorités détruit l'autre, pourquoi chacune des deux méthodes exclut l'autre, pourquoi toute tentative pour les confondre est à la fois contraire à la science et à la religion.

Qu'est-ce qu'une religion? On le saura en considérant les sectes qui sont nées pendant les deux derniers siècles en Angleterre et qui croissent tous les jours en Amérique. Ces pays sont des laboratoires où l'on peut étudier en grand, de près et tous les jours, les fermentations de l'esprit. Une religion est une doctrine qu'établissent deux facultés, l'inspiration et la foi. L'inspiration la fonde, et la foi la propage; l'inspiration suscite ses auteurs, et la foi lui attire sest fidèles. Au commencement, il se rencontre des hommes

qui se déclarent en commerce avec le monde surnaturel; ils voient Dieu, ils pénètrent sa nature; une voix intérieure leur dicte un symbole nouveau, et voilà qu'une métaphysique et une morale tout entières revêtues d'images sensibles se lèvent devant leur esprit. Ils subissent l'ascendant invincible du Dieu qui leur parle. Ils montrent aux hommes le ciel où ils ont été ravis. Ils répètent les paroles divines qu'ils ont entendues, et de cette vision primitive, publiée par une prédication ardente, attestée par des sacrifices héroïques, confirmée par un genre de vie extraordinaire, naît la religion. Les auditeurs, à leur tour maîtrisés, acceptent l'autorité du prophète. Ils n'ont pas besoin de raisonnements pour le croire; la foi s'impose à eux, comme la révélation s'est imposée à lui. Ils sentent qu'il voit, qu'il sait, qu'il communique avec le monde invisible. Ils voient par lui; ils lisent dans ses yeux, dans son accent et dans ses écrits les visions qui le possèdent; il est pour eux comme un miroir où ils contemplent le monde surnaturel réfléchi. Et, quand ils veulent exprimer la force nouvelle et toute-puissante qui a transformé leur croyance et conquis leur âme, ils disent que Dieu se communique à l'homme par deux voies, qu'il touche le cœur des fidèles et entraîne leur assentiment, que cet assentiment et cette illumination sont des puissances étrangères et supérieures à l'homme, que la foi et la vision rejettent tout contrôle humain, échappent à la discussion, font taire les réclamations des facultés inférieures, et règnent seules, divines et incontestées parmi les contradictions, les hésitations et les faiblesses de toutes les autres.

Essayez maintenant d'opposer des objections à une

« PreviousContinue »