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LE BOUDDHISME

Die Religion des Buddha und ihre Enstehung, par M. KOEPPEN.

SI

LES ORIGINES

Ce livre est un résumé excellent et complet, comme il s'en fait souvent en Allemagne, des cinq ou six cents monographies et des cinq ou six mille dissertations spéciales qui pendant vingt ans se sont accumulées sur un sujet. Il est de plus fort clair, écrit en style abondant par un homme compétent, décidé, point pédant, excellent logicien et très au fait des matières philosophiques. Par malheur, l'auteur est Allemand, et il écrit en allemand, ce qui fait qu'en France on ne le lira guère c'est pourquoi nous allons, avec son aide, exposer le sujet au lecteur 1.

1. Consulter encore: Spence Hardy, Manual of Buddhism. Eastern monachism; E. Burnouf, Lotus de la bonne loi, Introduction à l'histoire du Bouddhisme; Foucaux, Rgya-tcherrol-pa; Wilson, traduction du Rig-Veda; les Pèlerins bouddhistes; the Hindus,

Stanislas Julien,

Colebrooke, On the philosophy of

et surtout Lassen, Indische Alterthumskunde.

I

Quand les Aryens descendirent à travers les passes du Caboul pour s'établir dans le Penjâb, ils ressemblaient fort aux Perses tels que les décrit Hérodote, ou aux Germains tels que les décrit Tacite. C'étaient des tribus demi-fixées, demi-errantes, ayant pour principale richesse de grands troupeaux de bœufs et de vaches, possédant des villages, des bourgs, et connaissant déjà l'agriculture, bref, situées, comme les peuplades d'Arminius et de Cyrus, sur les confins de la vie nomade et de la vie sédentaire, chaque famille régie par le père, chaque tribu menée par une sorte de roi ou chef de guerre; point de castes, point de corporation cléricale, chaque père de famille sacrificateur dans sa maison; des mœurs simples, libres et saines, comme on en rencontre à l'origine chez tous les peuples de notre race; nulle rêverie mystique et maladive; au contraire, des sentiments mâles, honorables, et des prières aux dieux pour demander la force, la gloire, la victoire et le butin.

Si maintenant on cherchait le trait qui, dès ce moment, les distingue entre toutes ces races de la même souche, on le trouvera dans leur imagination, qui est de la plus rare délicatesse et de la plus étonnante fécondité. Nulle part le mythe n'a été si transparent ni si abondant. Il semble que cette race ait été faite pour voir des dieux dans toutes les choses et des choses dans tous les dieux. C'est le ciel lumineux qu'ils adorent, la grande clarté épanouie qui enveloppe et ranime toutes choses. C'est la foudre victo

rieuse, le tonnerre bienfaisant qui fend les nuages et délivre de leur prison les pluies fertilisantes; ce sont les deux rayons jumeaux qui s'élancent du bord du ciel pour annoncer le retour de la lumière; ce sont les rougeurs du matin, «<les Aurores blanchissantes qui sortent de l'ombre avant le soleil et, comme une jeune fiancée devant son époux, découvrent en souriant leur sein en sa présence. » C'est Agni, le feu qui sort des bâtons frottés l'un contre l'autre, << tout habillé de splendeur, » aux couleurs changeantes, aux formes innombrables, mais charmant, qui court sur toute la terre, languit et renaît, «< devient souvent vieux et redevient toujours jeune. » Ce sont les vents, les fleuves, les divers aspects du soleil, bref, les puissances naturelles, non pas transformées en hommes, comme chez Homère, mais intactes et pures. On n'imagine point, avant d'avoir lu les Védas, une limpidité si grande. Le mythe n'est point ici un déguisement, mais une expression; point de langage plus juste et plus souple; il laisse entrevoir, ou plutôt il fait apercevoir les formes des nuages, les mouvements de l'air, les changements des saisons, tous les accidents du ciel, du feu, de l'orage; jamais la nature extérieure n'a rencontré une pensée aussi molle et aussi pliante pour s'y figurer avec l'inépuisable variété de ses apparences. Si ondoyante que soit la nature, cette imagination l'est autant. Elle n'a point de dieux fixes; les siens sont fluides comme les choses; ils se confondent les uns dans les autres. Varouna est Indra, car le tonnerre est le ciel foudroyant; Indra est Agni, car la foudre est le feu céleste. Chacun d'eux est, à son tour, le dieu suprême; aucun d'eux n'est une personne distincte; chacun

d'eux n'est qu'un moment de la nature, capable, suivant le moment de l'aperception, de contenir son voisin ou d'être contenu par son voisin. A ce titre, ils pullulent et fourmillent. Chaque moment de la nature et chaque moment de l'aperception peuvent en fournir un. On voit des qualités, des attributs divins, même des attributs d'attributs devenir des dieux. Le breuvage qu'on offre aux dieux, la prière, l'hymne, toutes les parties du culte finissent elles-mêmes par se transformer en forces divines, en êtres divins qu'on invoque et qu'on révère. Partout où il y a une puissance, et il y en a partout, l'Aryen met un dieu qui n'est point un individu, mais une puissance. Étrange assemblage de pénétration métaphysique et d'émotion poétique, d'aptitude à comprendre la nature et d'inclination à figurer la nature. Nulle race, à son origine, n'a fait preuve d'une intelligence si fine et si sensible, si prompte aux créations incessantes et absorbantes, si disposée à se déployer et à s'étouffer sous le luxe de la végétation de ses propres dieux.

Que le lecteur veuille bien remarquer cette forme d'esprit primitive; si l'on y joint la situation nouvelle que la conquête et le climat feront aux peuplades aryennes, on a les deux causes qui vont engendrer le reste. Toute l'histoire de la condition et de la pensée de la race indienne y tient en raccourci. On touche ici les forces indestructibles qui mènent le tourbillon des événements humains et des volontés humaines, qui font les institutions, qui suscitent les religions, qui ploient les idées, qui constituent les caractères, que nul accident ne peut arrêter, que nul effort personnel ne peut vaincre, et qui condamnent des centaines de millions de créatures à l'oppression, au génie, à l'im

moralité, à l'hallucination et au désespoir. C'est de ces points de vue, comme d'une éminence, qu'on peut embrasser tout entière la lamentable et grandiose bataille de la vie. Nous ne nous réjouissons pas ici, comme Scipion, à l'aspect du carnage qui abattait pêle-mêle les deux armées de Massinissa et de Carthage. Nous ne sommes point des Romains, nous nous sentons hommes; la pitié nous prend; nous faisons un retour sur notre propre destinée. S'il y a quelque chose de grand et capable de nous faire réfléchir sur les chances auxquelles notre espèce est assujettie, ce sont ces tragédies vraies et non feintes qui ont pour théâtre un demi-continent, pour durée trente siècles, pour personnages des puissances fatales, et qui, à travers les misères et les sanglots de quatre-vingt-dix générations humaines, entre-choquent leurs catastrophes sans jamais se reposer dans un dénoûment.

Ils s'avancèrent par degrés de l'Indus au Gange, subjuguant la population noire, aux cheveux plats, qui occupait la péninsule, population grossière, sujette à d'horribles maladies de peau, qui adorait les serpents, les démons de l'air, et qui fut traitée comme un troupeau d'animaux ignobles. Il y eut là de longues guerres, un grand établissement et une sorte de moyen âge, comme après l'invasion des Goths d'Alaric, des Lombards d'Alboïn et des Franks de Clovis. La vie sédentaire remplaça la vie nomade; le régime patriarcal fit place aux monarchies militaires. Les classes se distinguèrent. Au-dessous de la race noble et conquérante descendit la race vaincue et vile, les coûdras, sorte de serfs, journaliers et manouvriers, qui s'étaient soumis à la conquête, et plus bas encore les impurs, les outlaws, les sauvages brutaux, qui, obstinés contre

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