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il les fait secourir. Il combat Renaud, mais seulement quand il voit Renaud délivré, armé, en selle sur Bayard, et muni de toute sa force. Il y a une idée qu'ils ne peuvent supporter, celle de la déloyauté ; tout sanglants, à demi morts, elle les ressuscite : Richard est tombé percé d'un coup de lance, évanoui; «< par la plaie li pert le foie et le pomon. » Quand il revient à lui, il songe à l'honneur de Renaud, son frère « Il est salies en pies, n'i fist arestion. << empoigna la plaie de son ventre en son poing; << ses boiax i rebote et lie à son giron. Et a traite « l'épée ki li pent al gieron, vers Girart s'aproca «<et li dist par iror: Hé! glos, ce dist Richars, Jà n'en aura reproce Renaud,

<< menti aves del tot.

<< lit fixt Aymon.

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Et

Que jà Richars ses frères y soit « ocis par vos! » Et d'un coup gigantesque il fend de l'épaule jusqu'à la cuisse le cheval avec l'homme, en deux tronçons.

Les chroniqueurs latins du moyen âge ont un mot pour désigner les barons: miles, armiger; en effet, ce mot est le seul qui donne à ces mœurs leur vrai caractère. Le seigneur a son vassal, qui mange son pain, le sert à table, lui verse à boire, soigne son cheval; de même aujourd'hui, le capitaine a son soldat. Le seigneur, comme le vassal, est, par l'éducation et les instincts, un homme du peuple; Charlemangne frappe Richard, son prisonnier, se collette avec lui, et tous deux se jettent par terre.

Ces deux traits, à mon avis, résument tous les sentiments du moyen âge. Ce sont des soldats, pour les coups de poing et pour les hauts faits, pour la rudesse inculte et pour le dévouement loyal, pour le corps et pour le cœur. En effet, au dixième siècle,

quand le peuple des hommes libres prend les armes et vit sous les armes, c'est le moyen âge qui commence; au quinzième siècle, quand il pose les armes et les remet aux mains des soudoyers ou des armées permanentes, c'est le moyen âge qui finit.

RACINE

SI

ESPRIT DE SON THÉATRE

M. Lahure publie à très bas prix de très bonnes éditions des plus grands écrivains français, Montesquieu, Rousseau, Saint-Simon, Fénelon, Molière, la Fontaine, Racine; Saint-Simon entier coûte vingt-six francs; Rousseau, seize francs; Racine, quatre francs; cela est admirable; de là une occasion pour relire Racine et un prétexte pour en parler.

I

Comme Shakspeare et Sophocle, Racine est un poète national; rien de plus français que son théâtre ; nous y retrouvons l'espèce et le degré de nos sentiments et de nos facultés. L'abolition des mœurs monarchiques a beau lui nuire; même sous notre démocratie, il retrouvera sa gloire; son génie est l'image du nôtre; son œuvre est l'histoire des passions écrite à notre usage; il nous convient par ses

défauts et ses mérites; il est pour notre race le meilleur interprète du cœur.

Le talent de bien dire, voilà l'esprit de cette race, esprit moyen entre la haute spéculation et l'observation minutieuse, entre l'invention hardie des idées. universelles et la collection scrupuleuse des petits faits. Cet esprit circule entre ces deux extrêmes et les rapproche; il sait expliquer, éclaircir, développer; il est capable de mettre toute idée à la portée de tout esprit; il n'avance que pas à pas; il ne sort d'une idée que pour entrer dans l'idée la plus voisine; il sait les voies de penser les plus unies, les plus directes et les plus coulantes; il a horreur de tout écart; il est par excellence méthodique et universel; c'est le professeur de l'espèce humaine et le secrétaire de l'esprit humain. Il n'est ni érudit ni peintre; il ne retirera de chaque objet que quelque idée sommaire accessible à tous; il laissera glisser hors de ses prises le pêle-mêle des menus détails; il n'apercevra point la multitude des circonstances particulières et sensibles qui donnent à la chose son caractère et son relief. D'autre part, il n'est ni métaphysicien ni artiste; il laissera les Grecs et les Allemands sonder la nature intime de l'objet; il n'en prendra qu'une idée courante. Toute son envie est de saisir agilement une notion nette, de circulation facile, qui puisse se traduire du premier coup en une autre, et celle-ci de même, de façon que toutes forment une échelle suivie, où nul barreau ne manque ou ne casse, et qu'on puisse gravir ou descendre tout entière en un instant. Son travail est de fixer le sens des mots généraux ; son œuvre est d'établir l'ordre des idées générales; son mérite est de disserter par delà des vérités lo

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