Page images
PDF
EPUB

jour plus triste et plus rêveur qu'à l'ordinaire devant le cardinal de Richelieu, qui lui demanda s'il travailloit. Il répondit qu'il étoit bien éloigné de la tranquillité nécessaire pour la composition, et qu'il avoit la tête renversée par l'amour. Il en fallut venir à un plus grand éclaircissement; et il dit au cardinal qu'il aimoit passionnément une fille du lieutenantgénéral des Andelys, en Normandie, et qu'il ne pouvoit l'obtenir de son père (M. de Lampérière). Le cardinal voulut que ce père si difficile vînt lui parler à Paris. Il y arriva tout tremblant d'un ordre si imprévu, et s'en retourna bien content d'en être quitte pour avoir donné sa fille à un homme qui avoit tant de crédit. (FONTENELLE, Additions à la Vie de son oncle.)

La première nuit de ses noces, qui se firent à Rouen, Corneille fut si malade, que l'on répandit à Paris le bruit de sa mort. Un pareil sujet étoit bien digne d'exercer la plume des poëtes, et Ménage lui fit aussitôt cette épitaphe:

CORNELII TUMULUS.

Hic jacet ille sui lumen Cornelius ævi,
Quem vatem agnoscit Gallica scena suum.
An major fuerit socco, majorve cothurno,
Ambiguum: certè magnus utroque fuit.

Quand on sut que Corneille étoit rétabli, Ménage

· Marie de Lampérière.

se hata également de célébrer sa guérison dans la pièce suivante:

CORNELIUS REDIVIVUS.

Doctus ab infernis remeat Cornelius umbris,

Et potuit rigidas flectere voce deas.
Threicium numeris vatem qui dulcibus æquat,
Debuit et numeris non potuisse minùs.

Les deux Corneille ont épousé les deux demoiselles de Lampérière. Il y avoit entre les frères le même intervalle d'âge qu'entre les sœurs ; ils ont eu un même nombre d'enfants; ce n'étoit qu'une même maison, qu'un même domestique; ils ont parcouru la même carrière. Enfin, après plus de vingt-cinq ans de mariage, les deux frères n'avoient pas encore songé à faire le partage des biens de leurs femmes situés en Normandie; il ne fut fait qu'à la mort de Pierre. (DE BOZE.)

et,

La distance qui étoit entre l'esprit des deux Corneille n'en mit aucune dans leur cœur. Ils étoient extrêmement unis, et logeoient ensemble. Thomas avoit le travail infiniment plus facile que Pierre ; quand celui-ci cherchoit une rime, il levoit une trappe, et la demandoit à son frère, qui la lui donnoit aussitôt. (VOISENON.)

M. Corneille, cinq ou six ans avant sa mort, disoit

qu'il avoit pris congé du théâtre, et que sa poésie s'en étoit allée avec ses dents. (CHEVREAU.)

On a accusé Corneille d'être un homme intéressé et moins avide de gloire que de gain: Corneille, qu'on sait avoir porté l'indifférence pour l'argent jusqu'à une insensibilité blâmable; qui n'a jamais tiré de ses pièces que ce que les comédiens lui donnoient, sans compter avec eux; qui fut un an sans remercier Colbert du rétablissement de sa pension; qui, après avoir vécu sans faire aucune dépense, est mort sans biens; Corneille enfin qui a eu le cœur aussi grand que l'esprit, les sentiments aussi nobles que les idées!

Peu de jours avant sa mort l'argent manquoit à cet illustre malade, fort éloigné de thésauriser; et le roi, ayant appris du P. La Chaise la situation critique du grand Corneille, lui envoya deux cents louis. (Le P. TOURNEMINE.)

A la fin de cette même année Corneille mourut; et mon père, qui le lendemain de cette mort entroit dans les fonctions de directeur, prétendoit que c'étoit à lui à faire faire, pour l'académicien qui venoit de mourir, un service suivant la coutume. Mais Corneille étoit mort pendant la nuit; et l'académicien

1684.

qui étoit encore directeur la veille prétendit que, comme il n'étoit sorti de place que le lendemain matin, il étoit encore dans ses fonctions au moment de la mort de Corneille, et que par conséquent c'étoit à lui à faire faire le service. Cette dispute n'avoit pour motif qu'une généreuse émulation: tous deux vouloient avoir l'honneur de rendre les devoirs funèbres à un mort si illustre. Cette contestation, glorieuse pour les deux parties, fut décidée par l'Académie en faveur de l'ancien directeur; ce qui donna lieu à ce mot fameux que Benserade dit à mon père: « Nul « autre que vous ne pouvoit prétendre à enterrer « Corneille; cependant vous n'avez pu y parvenir. » (L. RACINE.)

FIN DU SUPPLÉMENT.

« PreviousContinue »