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blesses qu'elle ne réparât en même temps par quelque chose de noble.

L'Académie françoise donna ses sentiments sur le Cid, et cet ouvrage fut digne de la grande réputation de cette compagnie naissante. Elle sut conserver tous les égards qu'elle devoit et à la passion du cardinal et à l'estime prodigieuse que le public avoit conçue du Cid. Elle satisfit le cardinal en reprenant exactement tous les défauts de cette pièce, et le public en les reprenant avec modération, et même souvent avec des louanges.

Quand Corneille eut une fois pour ainsi dire atteint jusqu'au Cid, il s'éleva encore dans les Horaces; enfin il alla jusqu'à Cinna et à Polyeucte, au-dessus desquels il n'y a rien'.

· On peut croire que Fontenelle parle ainsi, moins parcequ'il

était neveu du grand Corneille, que parcequ'il était l'ennemi de Racine, qui avait fait contre lui une épigramme piquante, à laquelle il avait répondu par une épigramme plus violente encore. Les connaisseurs pensent qu'Athalie est très supérieure à Polyeucte, par la simplicité du sujet, par la régularité, par la grandeur des idées, par la sublimité de l'expression, par la beauté de la poésie. Il est vrai que ces connaisseurs reprochent au prêtre Joad d'être impitoyable et fanatique, de dire à sa femme, qui parle à Mathan: Ne craignez-vous pas que ces murailles ne tombent sur vous, et que l'enfer ne vous engloutisse? d'aller beaucoup au-delà de son ministère, d'empêcher qu'Athalie n'élève le petit Joas, qui est son seul héritier; de faire tomber la reine dans le piège; d'ordonner son supplice comme s'il était son juge; de prendre enfin le brave Abner pour dupe. On reproche à Mathan de se vanter de ses crimes; on reproche à la pièce des longueurs. Presque tous ces défauts sont ceux du sujet ; mais le grand mérite

Ces pièces-là étoient d'une espèce inconnue, et l'on vit un nouveau théâtre. Alors Corneille, par l'étude d'Aristote et d'Horace, par son expérience, par ses réflexions, et plus encore par son génie, trouva les sources du beau, qu'il a depuis ouvertes à tout le monde dans les discours qui sont à la tête de ses comédies. De là vient qu'il est regardé comme le père du théâtre françois. Il lui a donné le premier une forme raisonnable; il l'a porté à son plus haut point de perfection, et a laissé son secret à qui s'en pourra

servir.

Avant que l'on jouât Polyeucte, Corneille le lut à l'hôtel de Rambouillet, souverain tribunal des affaires d'esprit en ce temps-là. La pièce y fut applaudie autant que le demandoient la bienséance et la grande réputation que l'auteur avoit déja. Mais, quelques jours après, Voiture vint trouver Corneille, et prit des tours fort délicats pour lui dire que Polyeucte n'avoit pas réussi comme il pensoit', que sur-tont

de cette tragédie est d'être la première qui ait intéressé sans amour, au lieu que dans Polyeucte le plus grand mérite est l'amour de Sévère. (V.)

'C'est qu'on n'avait encore vu que les comédies de la Passion et des Actes des Apôtres. D'ailleurs il faut peut-être pardonner à l'hôtel Rambouillet d'avoir condamné l'imprudence punissable de Polyeucte et de Néarque, qui exercent dans le temple une violence que Dieu n'a jamais commandée. On pouvait craindre encore qu'un homme qui résigne sa femme à son rival ne passât pour un imbécile plutôt que pour un bon chrétien. Le caractère bas de Félix pouvait déplaire; mais on ne fesait pas réflexion que Sévère et Pauline feraient réussir la pièce. (V.)

b.

le christianisme avoit extrêmement déplu. Corneille, alarmé, voulut retirer la pièce d'entre les mains des comédiens qui l'apprenoient; mais enfin il la leur 'aissa sur la parole d'un d'entre eux qui n'y jouoit point, parcequ'il étoit trop mauvais acteur. Étoit-ce donc à ce comédien à juger mieux que tout l'hôtel de Rambouillet1?

Pompée suivit Polyeucte. Ensuite vint le Menteur, piéce comique, et presque entièrement prise de l'espagnol, selon la coutume de ce temps-là.

Quoique le Menteur soit très agréable, et qu'on l'applaudisse encore aujourd'hui sur le théâtre, j'avoue que la comédie n'étoit point encore arrivée à sa perfection. Ce qui dominoit dans les pièces, c'étoit l'intrigue et les incidents, erreurs de nom, déguisements, lettres interceptées, aventures nocturnes; et c'est pourquoi on prenoit presque tous les sujets chez les Espagnols, qui triomphent sur ces matières. Ces pièces ne laissoient pas d'être fort plaisantes et pleines d'esprit: témoin le Menteur dont nous parlons, Don Bertrand de Cigaral, le Geôlier de soi-même. Mais enfin la plus grande beauté de la comédie étoit inconnue; on ne songeoit point aux mœurs et aux

Peu de temps après que Corneille eut donné Polyeucte, La Serre fit représenter sa tragédie de Thomas Morus, et elle eut un succès inouï. « On y suoit, dit La Serre, au mois de décembre, et l'on tua quatre portiers, de compte fait, la première fois qu'elle fut jouée: voilà ce qu'on appelle de bonnes pièces! M. Corneille n'a point de preuves si puissantes de l'excellence des siennes; et je lui céderai volontiers le pas quand il aura fait tuer cinq portiers en un seul jour. »

caractères; on alloit chercher bien loin le ridicule. dans des événements imaginés avec beaucoup de peine, et on ne s'avisoit point de l'aller prendre dans le cœur humain, où est sa principale habitation'. Molière est le premier qui l'ait été chercher là, et celui qui l'a le mieux mis en œuvre : homme inimitable, et à qui la comédie doit autant que la tragédie à Corneille.

Comme le Menteur eut beaucoup de succès, Corneille lui donna une suite, mais qui ne réussit guère. Il en découvre lui-même la raison dans les examens qu'il a faits de ses pièces. Là il s'établit juge de ses propres ouvrages, et en parle avec un noble désintéréssement, dont il tire en même temps le double fruit, et de prévenir l'envie sur le mal qu'elle en pourroit dire, et de se rendre lui-même croyable sur le bien qu'il en dit2.

'Fontenelle oublie ici que la comédie du Menteur est une pièce de caractère. Il y a beaucoup d'incidents; il en faut aussi. Les pièces de Molière n'en ont peut-être pas assez. Tous servent à faire paraître le caractère du Menteur.

On avait long-temps avant Molière plusieurs pièces dans ce goût en Espagne, le Menteur, le Jaloux, l'Impie ou le Convié de Pierre, traduit depuis par Molière, sous le nom du Festin de Pierre. (V.)

› La critique que cet excellent poëte a faite de ses ouvrages est une entreprise sur lui-même, qui lui a gagné le cœur et l'estime de tous les honnêtes gens. On pourroit dire que nous n'avouons de petits défauts que pour persuader que nous n'en avons pas de grands; mais il faut penser autrement de M. Corneille, qui no consultoit pas l'amour-propre quand il s'agissoit d'exercer les vertus dont sa belle ame étoit ornée. (VIGNEUL DE MARVILLE.)

A la Suite du Menteur succéda Rodogune. Il a écrit quelque part que, pour trouver la plus belle de ses pièces, il falloit choisir entre Rodogune et Cinna ; et ceux à qui il en a parlé ont démêlé sans beaucoup de peine qu'il étoit pour Rodogune. Il ne m'appartient nullement de prononcer sur cela; mais peut-être préféroit-il Rodogune, parcequ'elle lui avoit extrêmement coûté: il fut plus d'un an à disposer le sujet. Peut-être vouloit-il, en mettant son affection de ce côté-là, balancer celle du public, qui paroît être de l'autre. Pour moi, si j'ose le dire, je ne mettrois point le différend entre Rodogune et Cinna: il me paroît aisé de choisir entre elles, et je connois quelque pièce de Corneille que je ferois passer encore avant la plus belle des deux.

On apprendra dans les examens de P. Corneille, mieux que l'on ne feroit ici, l'histoire de Théodore, d'Héraclius, de Don Sanche d'Aragon, d'Andromède, de Nicomède, et de Pertharite. On y verra pourquoi Théodore et Don Sanche d'Aragon réussirent fort peu, et pourquoi Pertharite tomba absolument. On ne put souffrir dans Théodore la seule idée du péril de la prostitution; et si le public étoit devenu si délicat, à qui Corneille devoit-il s'en prendre qu'à lui-même ? Avant lui, le viol réussissoit dans les pièces de Hardy. manqua à Don Sanche un suffrage illustre, qui lui fit manquer tous ceux de la cour; exemple assez commun de la soumission des François à de certaines autorités. Enfin un mari qui veut racheter sa femme en cédant un royaume fut encore sans comparaison

Il

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