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SCÈNE V.

ÉRASTE.

A la fin je triomphe, et les destins amis
M'ont donné le succès que je m'étois promis.
Me voilà trop heureux, puisque par mon adresse
Mélite est sans amant, et Tircis sans maîtresse ;
Et, comme si c'étoit trop peu pour me venger,
Philandre et sa Cloris courent même danger.

Mais par quelle raison leurs ames désunies
Pour les crimes d'autrui seront-elles punies?

Que m'ont-ils fait tous deux pour troubler leurs accords?
Fuyez de ma pensée, inutiles remords ';

La joie y veut régner, cessez de m'en distraire.
Cloris m'offense trop d'être sœur d'un tel frère;
Et Philandre, si prompt à l'infidélité,

N'a que la peine due à sa crédulité 2.

Mais

que me veut Cliton qui sort de chez Mélite3?

1 VAR. Fuyez de mon penser, inutiles remords;
J'en ai trop de sujet de leur être contraire.
Cloris m'offense trop, étant sœur d'un tel frère.

Vers supprimés:

Allons donc sans scrupule, allons voir cette belle,
Faisons tous nos efforts à nous rapprocher d'elle,
Et tâchons de rentrer en son affection

Avant qu'elle ait rien su de notre invention.

3 VAR. Cliton sort de chez elle.

SCÈNE VI.

ÉRASTE.

Eh bien, que fait Mélite?

SCÈNE VI.

CLITON, ÉRASTE.

CLITON.

Monsieur, tout est perdu: votre fourbe maudite,
Dont je fus à regret le damnable instrument,
A couché de douleur Tircis au monument.
ÉRASTE.

Courage! tout va bien, le traître m'a fait place;
Le seul qui me rendoit son courage de glace,
D'un favorable coup la mort me l'a ravi.

CLITON.

Monsieur, ce n'est pas tout, Mélite l'a suivi.

ÉRASTE.

Mélite l'a suivi! que dis-tu, misérable?

CLITON.

Monsieur, il est trop vrai; le moment déplorable' Qu'elle a su son trépas, a terminé ses jours.

Ah ciel! s'il est ainsi....

ÉRASTE.

CLITON.

Laissez là ces discours,

Et vantez-vous plutôt que par votre imposture

Ces malheureux amants trouvent la sépulture2,

Et

que votre artifice a mis dans le tombeau

■ VAR. Monsieur, il est tout vrai: le moment déplorable.

VAR. Ce pair d'amants sans pair est sous la sépulture.

Ce que le monde avoit de parfait et de beau.

ÉRASTE.

Tu m'oses donc flatter, infame, et tu supprimes'
Par ce reproche obscur la moitié de mes crimes?
Est-ce ainsi qu'il te faut n'en parler qu'à demi?
Achève tout d'un coup; dis que maîtresse, ami3,
Tout ce que je chéris, tout ce qui dans mon ame
Sut jamais allumer une pudique flamme,
Tout ce que l'amitié me rendit précieux,
Par ma fourbe a perdu la lumière des cieux 3;
Dis que j'ai violé les deux lois les plus saintes
Qui nous rendent heureux par leurs douces contraintes;
Dis que j'ai corrompu, dis que j'ai suborné,

Falsifié, trahi, séduit, assassiné;

Tu n'en diras encor que la moindre partie 4.
Quoi! Tircis est donc mort, et Mélite est sans vie!

VAR. Tu m'oses donc flatter, et ta sottise estime
M'obliger en taisant la moitié de mon crime?

2 VAR. Achève tout d'un trait; dis que maîtresse, ami.
3 VAR. Par ma fraude a perdu la lumière du jour.
4 VAR. Que j'ai toute une ville en larmes convertie,
Tu n'en diras encor que la moindre partie.
Mais quel ressentiment! quel puissant déplaisir !
Grands dieux! et peuvent-ils jusque-là nous saisir,
Qu'un pauvre amant en meure, et qu'une âpre tristesse
Réduise au même point, après lui, sa maîtresse?

CLITON.

Tous ces discours ne font....

ÉRASTE.

Laisse agir ma douleur,

Traître, si tu ne veux attirer ton malheur;
Interrompre son cours, c'est n'aimer pas ta vie.
La mort de son Tircis me l'a doncques ravie!

Je ne l'avois pas su, Parques, jusqu'à ce jour,
Que vous relevassiez de l'empire d'Amour;
J'ignorois qu'aussitôt qu'il assemble deux ames
Il vous pût commander d'unir aussi leurs trames.
Vous en relevez donc, et montrez aujourd'hui '
Que vous êtes pour nous aveugles comme lui!
Vous en relevez donc, et vos ciseaux barbares
Tranchent, comme il lui plaît, les destins les plus rares!
Mais je m'en prends à vous, moi, qui suis l'imposteur!
Moi, qui suis de leurs maux le détestable auteur!
Hélas! et falloit-il que ma supercherie

Tournât si lâchement tant d'amour en furie!
Inutiles regrets, repentirs superflus,

Vous ne me rendez pas Mélite qui n'est plus!

VAR. J'ignorois que, pour être exemptes de ses coups,
Vous souffrissiez qu'il prît un tel pouvoir sur vous.

Tranchent, comme il lui plaît, les choses les plus rares!
Vous en relevez donc; et, pour le flatter mieux,
Vous voulez comme lui ne vous servir point d'yeux.
Mais je m'en prends à vous; et ma fnneste ruse,
Vous imputant ces maux, se bâtit une excuse.
J'ose vous en charger, et j'en suis l'inventeur,
Et seul de ses malheurs le détestable auteur.

Mon courage au besoin se trouvant trop timide
Pour attaquer Tircis autrement qu'en perfide,
Je fis à mon défaut combattre son ennui,
Son deuil, son désespoir, sa rage, contre lui.
Hélas! et falloit-il que ma supercherie
Tournât si lâchement son amour en furie?
Falloit-il, l'aveuglant d'une indiscrète erreur,

Contre une ame innocente allumer sa fureur?
Falloit-il le forcer à dépeindre Mélite

Des infames couleurs d'une fille hypocrite?
Inutiles regrets!

Vos mouvements tardifs ne la font pas
revivre :
Elle a suivi Tircis, et moi je la veux suivre.
Il faut que de mon sang je lui fasse raison,
Et de ma jalousie, et de ma trahison,

Et que de ma main propre une ame si fidéle'
Reçoive.... Mais d'où vient que tout mon corps chancelle?
Quel murmure confus! et qu'entends-je hurler!
Que de pointes de feux se perdent parmi l'air!
Les dieux à mes forfaits ont dénoncé la guerre;
Leur foudre décoché vient de fendre la terre,
Et, pour leur obéir, son sein me recevant 、
M'engloutit, et me plonge aux enfers tout vivant.

Je vous entends, grands dieux; c'est là-bas que leurs ames
Aux champs Élysiens éternisent leurs flammes;
C'est là-bas qu'à leurs pieds il faut verser mon sang :
La terre à ce dessein m'ouvre son large flanc,
Et jusqu'aux bords du Styx me fait libre passage.
Je l'aperçois déja, je suis sur son rivage.
Fleuve, dont le saint nom est redoutable aux dieux,
Et dont les neuf replis ceignent ces tristes lieux,
N'entre point en courroux contre mon insolence',

VAR. Et que, par ma main propre, un juste sacrifice

De mon coupable chef venge mon artifice.
Avançons donc, allons sur cet aimable corps
Éprouver, s'il se peut, à-la-fois mille morts.

D'où vient qu'au premier pas je tremble, je chancelle?
Mon pied, qui me dédit, contre moi se rebelle.
Quel murmure confus!

2 VAR. Ne te cholère point contre mon insolence.
Ce n'est pas que je veuille, en buvant de ton eau,
Avec mon souvenir étouffer mon bourreau.
Non, je ne prétends pas une faveur si grande;

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