Page images
PDF
EPUB

Une heure de froideur, à propos ménagée,
Peut rembraser une ame à demi dégagée',
Qu'un traitement trop doux dispose à des mépris
D'un bien dont cet orgueil fait mieux savoir le prix.
Hors ce cas, il lui faut complaire à tout le monde,
Faire qu'aux vœux de tous l'apparence réponde,
Et, sans embarrasser son cœur de leurs amours,
Leur faire bonne mine, et souffrir leurs discours;
Qu'à part ils pensent tous avoir la préférence,
Et paroissent ensemble entrer en concurrence 2;
Que tout l'extérieur de son visage égal 3

3

Ne rende aucun jaloux du bonheur d'un rival ;
Que ses yeux partagés leur donnent de quoi craindre,
Sans donner à pas un aucun lieu de se plaindre;
Qu'ils vivent tous d'espoir jusqu'au choix d'un mari,

1 VAR. Rembrase assez souvent une ame dégagée,

D'un bien dont un dédain fait mieux savoir le prix.

Faire qu'aux vœux de tous son visage réponde.

2 Vers supprimés:

Ainsi, lorsque plusieurs te parlent à-la-fois,
En répondant à l'un, serre à l'autre les doigts;
Et, si l'un te dérobe un baiser par surprise,
Qu'à l'autre incontinent il soit en belle prise.
3 VAR. Que l'un et l'autre juge, à ton visage égal,
Que tu caches ta flamme aux yeux de son rival.
Partage bien les tiens, et sur-tout sache feindre,
De sorte que pas un n'ait sujet de se plaindre.

Tiens bon, et cède enfin, puisqu'il faut que tu cèdes,
A qui paiera le mieux le bien que tu possèdes.

Mais qu'aucun cependant ne soit le plus chéri;
Et qu'elle cède enfin, puisqu'il faut qu'elle cède,
A qui paiera le mieux le bien qu'elle posséde
Si tu n'eusses jamais quitté cette leçon,
Ton Éraste avec toi vivroit d'autre façon.

MÉLITE.

Ce n'est pas son humeur de souffrir ce partage ;
Il croit que mes regards soient son propre héritage,
Et prend ceux que je donne à tout autre qu'à lui
Pour autant de larcins faits sur le bien d'autrui.

LA NOURRICE.

J'entends à demi-mot; achève, et m'expédie
Promptement le motif de cette maladie.

MÉLITE.

Si tu m'avois, nourrice, entendue à demi,
Tu saurois que Tircis '...

LA NOURRICE.

Quoi! son meilleur ami!

N'a-ce pas été lui qui te l'a fait connoître?

MÉLITE.

Il voudroit que le jour en fût encore à naître;
Et si d'auprès de moi je l'avois écarté2,
Tu verrois tout-à-l'heure Éraste à mon côté.

VAR. Tircis est ce motif.

LA NOURRICE.

Ce jeune cavalier!

Son ami plus intime, et son plus familier!

2 VAR. Et si dans aujourd'hui je l'avois écarté,
Tu verrois dès demain Éraste à mon côté.

LA NOURRICE.

J'ai regret que tu sois la pomme de discorde.

LA NOURRICE.

J'ai regret que tu sois leur pomme de discorde;
Mais, puisque leur humeur ensemble ne s'accorde,
Éraste n'est pas homme à laisser échapper;

Un semblable pigeon ne se peut rattraper :
Il a deux fois le bien de l'autre, et davantage.
MÉLITE.

Le bien ne touche point un généreux courage.

LA NOURRICE.

Tout le monde l'adore, et tâche d'en jouir.

MÉLITE.

Il suit un faux éclat qui ne peut m'éblouir.

LA NOURRICE.

Auprès de sa splendeur toute autre est fort petite '. MÉLITE.

Tu le places au rang qui n'est dû qu'au mérite.

LA NOURRICE.

On a trop de mérite étant riche à ce point.

MÉLITE.

Les biens en donnent-ils à ceux qui n'en ont point?

LA NOURRICE.

Oui, ce n'est que par-là qu'on est considérable.

MÉLITE.

Mais ce n'est que par-là qu'on devient méprisable. Un homme dont les biens font toutes les vertus

Ne peut être estimé

que des cœurs abattus.

LA NOURRICE.

Est-il quelques défauts que les biens ne réparent?

VAR. Auprès de sa splendeur toute autre est trop petite.

MÉLITE.

Mais plutôt en est-il où les biens ne préparent?
Étant riche, on méprise assez communément
Des belles qualités le solide ornement;

Et d'un luxe honteux la richesse suivie
Souvent par l'abondance aux vices nous convie.

LA NOURRICE.

Enfin je reconnois...

MÉLITE.

Qu'avec tout ce grand bien '

Un jaloux sur mon cœur n'obtiendra jamais rien.

LA NOURRICE.

Et que d'un cajoleur la nouvelle conquête T'imprime, à mon regret, ces erreurs dans la tête; Si ta mère le sait...

MÉLITE.

Laisse-moi ces soucis,

Et rentre, que je parle à la sœur de Tircis 2.

LA NOURRICE.

Peut-être elle t'en veut dire quelque nouvelle.

[blocks in formation]

Je la vois qui, de loin, me fait signe, et m'appelle.

LA NOURRICE.

Peut-être elle t'en veut dire quelque nouvelle.

MÉLITE.

Rentre, etc.

Rentre, sans t'informer de ce qu'elle prétend;
Un meilleur entretien avec elle m'attend.

SCÈNE II.

CLORIS, MÉLITE.

CLORIS.

Je chéris tellement celles de votre sorte,
Et prends tant d'intérêt en ce qui leur importe,
Qu'aux pièces qu'on leur fait je ne puis consentir',
Ni même en rien savoir sans les en avertir.
Ainsi donc, au hasard d'être la mal venue,
Encor que je vous sois, peu s'en faut, inconnue,
Je viens vous faire voir que votre affection
N'a pas été fort juste en son élection.

MÉLITE.

Vous pourriez, sous couleur de rendre un bon office,
Mettre quelque autre en peine avec cet artifice;
Mais pour m'en repentir j'ai fait un trop bon choix 2;
Je renonce à choisir une seconde fois;

Et mon affection ne s'est point arrêtée

Que chez un cavalier qui l'a trop méritée.

CLORIS.

Vous me pardonnerez, j'en ai de bons témoins,
C'est l'homme qui de tous la mérite le moins.

MÉLITE.

Si je n'avois de lui qu'une foible assurance,

VAR. Qu'aux fourbes qu'on leur fait je ne puis consentir.
2 VAR. Mais pour m'en repentir j'ai fait un trop beau choix.

« PreviousContinue »