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TIRCIS.

Penses-tu m'arrêter par ce torrent d'injures'?
Que ce soient vérités, que ce soient impostures,
Tu redoubles mes maux au lieu de les guérir.
Adieu: rien que la mort ne peut me secourir.

SCÈNE V.

CLORIS.

Mon frère.... Il s'est sauvé; son désespoir l'emporte :
Me préserve le ciel d'en user de la sorte!
Un volage me quitte, et je le quitte aussi;
Je l'obligerois trop de m'en mettre en souci.
Pour perdre des amants, celles qui s'en affligent
Donnent trop d'avantage à ceux qui les négligent:
Il n'est lors que la joie; elle nous venge mieux;
Et, la fit-on à faux éclater par les yeux,

C'est

montrer par bravade à leur vaine inconstance 2 Qu'elle est pour nous toucher de trop peu d'importance.

VAR. Penses-tu, m'amusant avecque des sottises,

Par tes détractions rompre mes entreprises?

Non, non, ces traits de langue, épandus vainement,
Ne m'arrêteroient pas encore un seul moment.

VAR. C'est toujours témoigner que leur vaine inconstance
Est pour nous émouvoir de trop peu d'importance.

Aussi ne veux-je pas le retenir d'aller;

Et, si d'autres que moi ne le vont rappeler,

Il usera ses jours à courtiser Mélite.

Outre que l'infidéle a si peu de mérite,

Que l'amour qui pour lui m'éprit si follement
M'avoit fait bonne part de son aveuglement.

Dans la même sottise une autre embarrassée.

Que Philandre à son gré rende ses vœux contents;
S'il attend que j'en pleure, il attendra long-temps.
Son cœur est un trésor dont j'aime qu'il dispose;
Le larcin qu'il m'en fait me vole peu de chose;
Et l'amour qui pour lui m'éprit si follement
M'avoit fait bonne part de son aveuglement.
On enchérit pourtant sur ma faute passée;
Dans la même folie une autre embarrassée
Le rend encor parjure, et sans ame, et sans foi,
Pour se donner l'honneur de faillir après moi.
Je meure, s'il n'est vrai que la moitié du monde'
Sur l'exemple d'autrui se conduit et se fonde!
A cause qu'il parut quelque temps m'enflammer,
La pauvre fille a cru qu'il valoit bien l'aimer,
Et, sur cette croyance, elle en a pris envie;
Lui pût-elle durer jusqu'au bout de sa vie!
Si Mélite a failli me l'ayant débauché,
Dieux, par-là seulement punissez son péché;
Elle verra bientôt que sa digne conquête 2
une aventure à me rompre la tête :

N'est

pas

VAR. Je meure,

s'il n'est vrai que la plupart du monde.
2 VAR. Elle verra bientôt, quoi qu'elle se propose,
Qu'elle n'a pas gagné, ni moi perdu grand chose.
Ma perte me console, et m'égaie à l'instant.

Qu'en ce plaisant malheur je serois satisfaite!
Si je puis découvrir le lieu de sa retraite,
Et qu'il me veuille croire, éteignant tous ses feux,
Nous passerons le temps à ne rire que d'eux.
Je la ferai rougir cette jeune éventée,
Lorsque son écriture, à ses yeux présentée,
Mettant au jour un crime estimé si secret,

Un si plaisant malheur m'en console à l'instant.
Ah! si mon fou de frère en pouvoit faire autant,
Que j'en aurois de joie, et que j'en ferois gloire!
Si je puis le rejoindre, et qu'il me veuille croire,
Nous leur ferons bien voir que leur change indiscret
Ne vaut pas un soupir, ne vaut pas un regret.
Je me veux toutefois en venger par malice,
Me divertir une heure à m'en faire justice;
Ces lettres fourniront assez d'occasion

D'un peu de défiance et de division.

Si je prends bien mon temps, j'aurai pleine matière A les jouer tous deux d'une belle manière.

En voici déja l'un qui craint de m'aborder.

SCÈNE VI.

PHILANDRE, CLORIS.

CLORIS.

Quoi, tu passes, Philandre, et sans me regarder!

Elle reconnoîtra qu'elle aime un indiscret.
Je lui veux dire alors, pour aggraver l'offense,
Que Philandre, avec moi toujours d'intelligence,
Me fait des contes d'elle, et de tous les discours
Qui servent d'aliment à ses vaines amours,
Si, qu'à peine il reçoit de sa part une lettre,
Qu'il ne vienne en mes mains aussitôt la remettre :
La preuve captieuse, et faite en même temps,
Produira sur-le-champ l'effet que j'en attends.

SCÈNE VI.

(RETRANCHÉE.)

PHILANDRE.

Donc, pour l'avoir tenu si long-temps en haleine,

PHILANDRE.

Pardonne-moi, de grace; une affaire importune
M'empêche de jouir de ma bonne fortune;
Et son empressement qui porte ailleurs mes pas
Me remplissoit l'esprit jusqu'à ne te voir pas.

CLORIS.

J'ai donc souvent le don d'aimer plus qu'on ne m'aime; Je ne pense qu'à toi, j'en parlois en moi-même.

PHILANDRE.

Me veux-tu quelque chose?

CLORIS.

Il t'ennuie avec moi;

Mais comme de tes feux j'ai pour garant ta foi,

Il me faudra souffrir une éternelle peine,
Et payer désormais avecque tant d'ennui
Le plaisir que j'ai pris à me jouer de lui?
Vit-on jamais amant dont la jeune insolence
Malmenât un rival avec tant d'in prudence?
Vit-on jamais amant dont l'indiscrétion
Fût de tel préjudice à son affection?

Les lettres de Mélite en ses mains demeurées,
En ses mains, autant vaut, à jamais égarées,
Ruinent à-la-fois ma gloire et mon honneur,
Mes desseins, mon espoir, mon repos et mon heur.
Mon trop de vanité tout au rebours succède :

J'ai reçu des faveurs, et Tircis les possède,

Et cet amant trahi convaincra sa beauté
Par des signes si clairs de sa déloyauté.
C'est mal avec Mélite être d'intelligence,
D'armer son ennemi, d'instruire sa vengeance;
Me pourra-t-elle après regarder de bon œil?
M'oserois-je en promettre un gracieux accueil?
Non, il les faut ravoir des mains de ce bravache,
Et laver de son sang cette honteuse tache.
De force, ou d'amitié, j'en aurai la raison :

Je ne m'alarme point. N'étoit ce qui te presse,
Ta flamme un peu plus loin eût porté la tendresse,
Et je t'aurois fait voir quelques vers de Tircis
Pour le charmant objet de ses nouveaux soucis.
Je viens de les surprendre, et j'y pourrois encore
Joindre quelques billets de l'objet qu'il adore;
Mais tu n'as pas le temps; toutefois si tu veux
Perdre un demi-quart d'heure à les lire nous deux...

PHILANDRE.

Voyons donc ce que c'est, sans plus longue demeure; Ma curiosité pour ce demi-quart d'heure

S'osera dispenser.

CLORIS.

Aussi tu me promets,

Je m'en vais l'affronter jusque dans sa maison;
Et là, si je le trouve, il faudra que sur l'heure,
En dépit qu'il en ait, il les rende, ou qu'il meure.

SCÈNE VII.

PHILANDRE, CLORIS.

PHILANDRE.

Tircis....

CLORIS.

Que lui veux-tu?

PHILANDRE.

Cloris, pardonne-moi

Si je cherche plutôt à lui parler qu'à toi;

Nous avons entre nous quelque affaire qui presse.

CLORIS.

Le crois-tu rencontrer hors de chez sa maîtresse?

PHILANDRE.

Sais-tu bien qu'il y soit?

CLORIS.

Non pas assurément;

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