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ÉRASTE.

En faut-il tant avoir pour ce nouveau venu?

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Vous ayant pu servir deux ans, et davantage,
Qu'il faut si peu que rien à toucher mon courage.

MÉLITE.

Encor si peu que c'est vous étant refusé,
Présumez comme ailleurs vous serez méprisé.

ÉRASTE.

Vos mépris ne sont pas de grande conséquence,
Et ne vaudront jamais la peine que j'y pense;
Sachant qu'il vous voyoit, je m'étois bien douté
Que je ne serois plus que fort mal écouté.

MÉLITE.

Sans que mes actions de plus près j'examine,
A la meilleure humeur je fais meilleure mine;
Et s'il m'osoit tenir de semblables discours,
Nous romprions ensemble avant qu'il fût deux jours.

ÉRASTE.

Si chaque objet nouveau de même vous engage,
Il changera bientôt d'humeur et de langage 1.
Caressé maintenant aussitôt qu'aperçu,
Qu'auroit-il à se plaindre, étant si bien reçu?
MÉLITE.

Éraste, voyez-vous, trève de jalousie;

VAR. Il ne tardera guère à changer de langage.

Purgez votre cerveau de cette frénésie :
Laissez en liberté mes inclinations.

Qui vous a fait censeur de mes affections?

Est-ce à votre chagrin que j'en dois rendre compte1?

ÉRASTE.

Non, mais j'ai malgré moi pour vous un peu de honte
De ce qu'on dit par-tout du trop de privauté
Que déja vous souffrez à sa témérité.

MÉLITE.

Ne soyez en souci que de ce qui vous touche.

ÉRASTE.

Le moyen, sans regret, de vous voir si farouche
Aux légitimes vœux de tant de gens d'honneur,
Et d'ailleurs si facile à ceux d'un suborneur?

MÉLITE.

Ce n'est pas contre lui qu'il faut en ma présence
Lâcher les traits jaloux de votre médisance.
Adieu. Souvenez-vous que ces mots insensés
L'avanceront chez moi plus que vous ne pensez.

SCÈNE III.

ÉRASTE.

C'est là donc ce qu'enfin me gardoit ton caprice2!
C'est ce que j'ai gagné par deux ans de service!

VAR. Vraiment, c'est bien à vous que j'en dois rendre compte.

ÉRASTE.

Aussi j'ai seulement pour vous un peu de honte

Qu'on murmure par-tout de trop de privauté.

* VAR. C'est donc là ce qu'enfin me gardoit ta malice!

C'est ainsi que mon feu, s'étant trop abaissé,
D'un outrageux mépris se voit récompensé!
Tu m'oses préférer un traître qui te flatte1;
Mais dans ta lâcheté ne crois pas que j'éclate,
Et que par la grandeur de mes ressentiments
Je laisse aller au jour celle de mes tourments.
Un aveu si public qu'en feroit ma colère
Enfleroit trop l'orgueil de ton ame légère,
Et me convaincroit trop de ce desir abject
Qui m'a fait soupirer pour un indigne objet.

VAR. Tu me préfères donc un traître qui te flatte!

Inconstante beauté, lâche, perfide, ingrate,
De qui le choix brutal se porte au plus mal fait,
Tu l'estimes à faux, tu verras à l'effet,

Par le peu de rapport que nous avons ensemble,

Qu'un honnête homme et lui n'ont rien qui se ressemble.
Que dis-je, tu verras? Il vaut autant que mort:

Ma valeur, mon dépit, ma flamme, en sont d'accord.

Il suffit; les destins, bandés à me déplaire,

Ne l'arracheroient pas à ma juste colère.
Tu démordras, parjure, et ta déloyauté
Maudira mille fois sa fatale beauté.

Si tu peux te résoudre à mourir en brave homme,
Dès demain un cartel l'heure et le lieu te nomme.

Insensé que je suis! hélas! où me réduit

Ce mouvement bouillant dont l'ardeur me séduit?
Quel transport déréglé! quelle étrange échappée !
Avec un affronteur mesurer mon épée!
C'est bien contre un brigand qu'il me faut hasarder,
Contre un traître qu'à peine on devroit regarder!
Lui faisant trop d'honneur, moi-même je m'abuse;
C'est contre lui qu'il faut n'employer que la ruse:
Il fut toujours permis de tirer sa raison
D'une infidélité par une trahison.
Vis doncques, déloyal, vis, mais en assurance
Que tout va désormais tromper ton espérance;
Que tes meilleurs amis s'armeront contre toi,

Je saurai me venger, mais avec l'apparence
De n'avoir pour tous deux que de l'indifférence.
Il fut toujours permis de tirer sa raison'
D'une infidélité par une trahison.

Tiens, déloyal ami, tiens ton ame assurée
Que ton heur surprenant aura peu de durée ;
Et que, par une adresse égale à tes forfaits,
Je mettrai le désordre où tu crois voir la paix.
L'esprit fourbe et vénal d'un voisin de Mélite
Donnera prompte issue à ce que je médite.

Et te rendront encor plus malheureux que moi.
J'en sais l'invention, qu'un voisin de Mélite
Exécutera trop aussitôt que prescrite.

Pour n'être qu'un maraud, il est assez subtil.

SCÈNE IV.

ÉRASTE, CLITON.

ÉRASTE.

Holà! ho! vieil ami.

CLITON.

Monsieur, que vous plaît-il?

ÉRASTE.

Me voudrois-tu servir en quelque bonne affaire?

CLITON.

Dans un empêchement fort extraordinaire,
Je ne puis m'éloigner un seul moment d'ici.

ÉRASTE.

Va, tu n'y perdras rien; et d'avance, voici
Une part des effets qui suivent mes paroles.

CLITON.

Allons, malaisément gagne-t-on dix pistoles.

' Corneille a dit encore, dans le premier monologue du Cid :

Mourir sans tirer ma raison !

On dit aujourd'hui tirer raison sans pronom.

.

A servir qui l'achète il est toujours tout prét,
Et ne voit rien d'injuste où brille l'intérêt.
Allons sans perdre temps lui payer ma vengeance,
Et la pistole en main presser sa diligence.

SCÈNE IV.

TIRCIS, CLORIS.

TIRCIS.

Ma sœur, un mot d'avis sur un méchant sonnet
Que je viens de brouiller dedans mon cabinet.

CLORIS.

C'est à quelque beauté que ta muse l'adresse?

TIRCIS.

En faveur d'un ami je flatte sa maîtresse.
Vois si tu le connois, et si, parlant pour lui,
J'ai su m'accommoder aux passions d'autrui.

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SONNET.

Après l'œil de Mélite il n'est rien d'admirable. »

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